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Chapitre 4 : Eudes de Châteauroux et le Talmud

4. La rédaction du dossier Extractiones de Talmut

4.5 Les reproches faits aux Extractiones

Il faut savoir que les Extractriones ont été rédigés avec le souci d’une traduction précise, qui soit le plus sincère possible. Alors que les intellectuels chrétiens, même hébraïsants, ont très peu retraduit les textes bibliques, s’en tenant principalement à la Vulgate, nous pouvons constater ici une réelle progression358. Ainsi, les auteurs prennent soin de bien faire comprendre les difficultés engendrées par la traduction des textes talmudiques. Par exemple, l’auteur du prologue prend en considération la difficulté de transcrire la phonétique de l’hébreu : « Postremum

sciendum est quod latinarum defectus literarum miram nobis difficultatem generat et quasi impossibilitatem scribendi gallicum et hebreum » 359. Les traducteurs ont donc conscience de l’écart qui existe entre les langues sémitiques et le latin, mais ces préoccupations ne vont pas empêcher l’apparition de nombreuses erreurs et incompréhensions. L’une d’entre elles est la langue utilisée qui forme une barrière de premier plan à la compréhension du Talmud. En effet, si la langue de la michna360 est l’hébreu, la langue de la guémara*361 est beaucoup plus proche de

l'idiome populaire, sorte d’araméen plus ou moins corrompu. Le Talmud contient également de l'hébreu de toutes les époques selon l'ancienneté des textes reproduits. Ce qui complique la traduction et la compréhension des textes talmudiques pour les auteurs des Extractiones. Il faut donc une très bonne connaissance des langues sémitiques et des expressions talmudiques pour

358 DAHAN Gilbert, La polémique chrétienne contre le judaïsme au Moyen Âge, op. cit, p. 108.

359 DAHAN Gilbert, « les traductions latines de Thibaut de Sézanne », op. cit, p. 97. Ms. Latin 16558, fol. 98rb.

« Notre compréhension est limitée parce que toute littérature non latine nous génère de la difficulté et une quasi

impossibilité de traduire en gaulois [français] et en hébreu ».

360 La mishna est un recueil compilé au IIe siècle et écrit en hébreu qui rassemble toutes les décisions halakhites

(lois civiles pénales et religieuses). Voir LAMBERT Christian Yohanan, Le Talmud et la littérature rabbinique, op.

cit, pp. 45-46.

361 La guémara a commencé à être composé dès le début du IIIe siècle et s’est achevé vers l’an 500. Écrit en

araméen, il rassemble les commentaires et opinions de rabbins pour expliquer la mishna. Voir LAMBERT Christian Yohanan, Le Talmud et la littérature rabbinique, op. cit., pp. 46-47.

bien être en mesure de comprendre le Talmud et les écrits rabbiniques. Par conséquent, même avec une certaine connaissance de l’hébreu, les auteurs chrétiens sont restés sur la surface du texte, en traduisant le Talmud mot à mot, sans réussir à percer la signification des expressions talmudiques. Les traductions de certains termes vont alors donner un caractère souvent antichrétien au texte362. Nous pouvons penser, par exemple, au terme goy que les auteurs ont choisi de traduire par chrétien, causant par cette fausse traduction une mauvaise interprétation du texte et ainsi la rédaction de la partie De blasphemiis contra christianos363.

Les Extracitones de Talmut, complétés probablement vers 1248 sous Eudes de Châteauroux, ont été peu étudiés dans l’historiographie et pourtant ces dossiers relèvent d’une très grande importance. Nous l’avons vu, les auteurs ont fait un travail précis pour contrer pour la première fois une œuvre juive magistrale, le Talmud. Toutefois, par la complexité du langage, des termes ou encore par la lecture au sens littéral des fables et histoires imaginaires, le Talmud est mécompris par Eudes de Châteauroux et ses pairs. Ainsi, cette incompréhension du judaïsme, qui s’accroît chez le légat, ne fait qu’augmenter son hostilité envers les juifs. De nombreux sermons qu’il rédige dès 1240 reflètent en effet un antijudaïsme grandissant et durable364.

5. Endurcissement de la pensée d’Eudes de Châteauroux ?

Nous pouvons croire à un réel endurcissement de la pensée d’Eudes de Châteauroux envers les juifs et le judaïsme. Son rôle fondamental dans l’affaire du Talmud est bien la reprise et l’accentuation du processus de condamnation des textes talmudiques et rabbiniques365. En

effet, dès son accession au cardinalat, en 1244, et avec l’élévation du nouveau pape Innocent IV en 1243, Eudes de Châteauroux reprend la condamnation du Talmud avec vigueur. Ce qui est intéressant, c’est qu’il est vu par les autres docteurs chrétiens plutôt comme un homme de conciliation366. Il cherche, de ce fait, souvent à faire des arrangements : par exemple, durant la

362 DAHAN Gilbert, « les traductions latines de Thibaut de Sézanne », op. cit, p. 115. 363 Cf. supra, pt. 4.4.4, De blasphemiis contra christianos, pp. 85-87.

364 CHARANSONNET Alexis, L’Université, l’Église et l’État dans les sermons du cardinal Eudes de

Châteauroux (1190?-1273), thèse cit., p. 84.

365 Ibid., p. 175.

366 CHARANSONNET Alexis, « Du Berry en curie : La carrière du cardinal Eudes de Châteauroux (1190?-1273)

grève universitaire à Paris en 1229367, ou encore lorsqu’il prend le rôle de médiateur pour

résoudre la querelle liée à la succession de la maison de Flandre. Or, avec le Talmud il agit différemment dans le sens où nous pouvons percevoir une importante prise de position en refusant tout compromis. Il est assez draconien sur cette question, car ses inquiétudes demeurent même après la première crémation. Cette intransigeance, il ne la partage toutefois pas avec Innocent IV. Durant l’affaire du Talmud, il est ainsi possible de déceler une relation assez complexe entre Innocent IV et son légat, le pape se trouvant moins sévère envers les juifs et leurs livres.