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Chapitre 4 : Eudes de Châteauroux et le Talmud

1.2 Cardinal et légat (1244-1254/55)

Le 28 mai 1244, Innocent IV créait un consistoire de douze cardinaux, dont Eudes de Châteauroux et Hugues de Saint-Cher (mort en 1263). Entre le 12 et le 14 novembre 1244, ces derniers se rendent à Suse pour recevoir par le pape l’anneau cardinalice223. C’est à partir de ce moment qu’Eudes de Châteauroux devient très actif au sein de la cour pontificale. Quelques mois plus tard, en août ou en septembre 1245, il est désigné par Innocent IV comme légat en France de la croisade, cette légation consistant spécifiquement à organiser et prêcher la croisade224. Le 23 février 1248, il est alors âgé d’environ soixante ans, une seconde légation suit et cette fois-ci le cardinal est choisi pour accompagner Louis IX et l’armée croisée en terre sainte. Durant son séjour, il joue un rôle important auprès du roi, tant au plan religieux que politique225. Des deux légations (1245-1254), quinze sermons de son activité homilétique nous sont connus. Pour la première légation, il suit la lignée spirituelle de saint Bernard en mettant de l’avant les thèmes de salut et de privilèges accordés aux croisés. Ainsi, nous pouvons voir que le sermo de cruce et de

inuitatione ad crucem226, prêché la mi-octobre 1245, a pour thème principal le devoir de prendre la croix : « In hiis uerbis breuiter uobis ostenditur quare crucem assumere debeatis. Assumptione

enim crucis quasi a ligno crucis omnis cordis amaritudo dulcoratur »227. Le légat ressort ainsi

quelques arguments traditionnels de la croisade en comparant la prise de la croix à l’imitation du Christ, à l’occasion de gagner son salut et d’obtenir l’acquittement et l’annulation de ses péchés. Toutefois, la prédication n’est pas la seule obligation du légat, puisque la croisade au XIIIe siècle

est aussi un pénible et exigeant projet d’organisation encadrée par le droit canon.

222 Pour plus de détails concernant Thibaut de Sézanne et Henri de Cologne, cf. infra, pt 4.2, p. 75.

223 CHARANSONNET Alexis, L’Université, l’Église et l’État dans les sermons du cardinal Eudes de

Châteauroux (1190?-1273), thèse cit., p. 106.

224 Ibid., p. 111. 225 Loc. cit.

226 Sermo de cruce et de inuitatione ad crucem. BnF Paris latin 15947, RLS no 604, f. 178ra-178vb Édité par A.

Charansonnet dans sa thèse, pp. 713-716.

227 Sermo de cruce et de inuitatione ad crucem, lignes 1-4 dans l’édition d’A. Charansonnet, thèse cit., p. 713.

« Dans ces mots est montré brièvement pourquoi vous devez prendre la croix. Choisissez la croix parce que

Son statut en tant que légat lui donne le pouvoir d’entreprendre de nombreuses réformes, notamment liturgiques, de l’Église de France, mais aussi un effort de purification de la société visant à sanctifier le royaume228. Entre 1245 et jusqu’à son départ en croisade en 1248, il

s’occupe de réformer avec fermeté et beaucoup de zèles de nombreuses églises – comme celles du diocèse de Sens ou encore de la collégiale de Meaux. Le légat est si exigeant et rigoriste qu’après son départ vers la terre sainte de nombreuses plaintes s’élèvent et le pape doit intervenir pour modérer la rigueur des statuts qu’il a édictés dans de nombreux monastères229. Eudes de Châteauroux voulait ainsi corriger certaines pratiques dans les églises et monastères qu’il jugeait non conformes. Sont alors interdits : toute activité autre que religieuse dans l’église, bavardages et allées et venues inopportunes durant l’office, et les clercs qui s’absentent des offices sont punis sur leurs revenus. Enfin, les messes doivent être célébrées aux heures prescrites pour ne pas ébranler l’ancienneté des rites liturgiques. Le légat pontifical désire également, tout comme le souhaite Louis IX, purifier la société chrétienne. Pour ce faire, il doit éradiquer les ennemis de la foi chrétienne à l’intérieur de la chrétienté. Il s’agit bien entendu des hérétiques, mais aussi des juifs qui ont dévié du judaïsme – tels que les adhérents et défenseurs des livres talmudiques et de Maïmonide. Enfin, il lui faut aussi faire taire les voix au sein de l’université qui ne se conforment pas à la lignée de l’orthodoxie et continuent à étudier Aristote et certaines thèses condamnées230. C’est dans cet état d’esprit que le légat pontifical quitte, avec le roi de France et l’armée croisée, Paris, le 12 juin 1248.

Ils descendent en Égypte, après quelques mois à Chypre, le 28 novembre 1249. L’organisation de la croisade est toutefois un échec total. Ils assistent à une cuisante défaite en Égypte et le roi ainsi que de nombreux barons sont pris en captivité moyennant une rançon le 6 avril 1250, au lendemain du départ vers Damiette. Seuls quelques navires parviennent à s’échapper des mains musulmanes et l’un des navires porte Eudes de Châteauroux et le duc de Bretagne. Le légat se réfugie alors à Damiette et a pour rôle de garder la ville pendant la captivité du roi jusqu’au paiement de la rançon231. Le 6 mai 1250, soit un mois après leur capture, le roi et les barons sont finalement libérés. Ils rendent Damiette aux Mamelouks et arrivent à Acre le 14

228 CHARANSONNET Alexis, L’Université, l’Église et l’État dans les sermons du cardinal Eudes de

Châteauroux (1190?-1273), thèse cit., p. 168.

229 Loc. cit.

230 Ibid., pp. 172-173

231 Ibid., p. 263. C’est Matthieu Paris qui fournit les renseignements les plus détaillés sur le rôle joué par le légat

mai. Un conseil est tenu à Acre en juin, suite à la lettre de la régente Blanche de Castille qui implore son fils, Louis IX, de revenir au plus vite en France. Eudes de Châteauroux et la majorité des croisés, dont les frères du roi, veulent abréger le séjour. Néanmoins, le 26 juin, Louis IX décide de rester. Selon Joinville et d’autres chroniqueurs, le roi commence ses pèlerinages en terre sainte en mars 1251 et est presque toujours accompagné d’Eudes de Châteauroux232. Leur premier pèlerinage est à Nazareth. Avant juillet 1253, alors qu’il est à Jaffa, le souverain apprend la mort de sa mère survenue quelques mois auparavant, soit le 26-27 novembre 1252. Premier informé, c’est le légat qui est chargé de l’annoncer au roi. À compter de février 1254, Louis IX songe sérieusement à retourner en France et planifie pour les deux mois suivants les préparatifs de départ233. Eudes de Châteauroux confie alors à Joinville qu’il désire rester un an de plus à Acre, après le départ des croisés et du roi, avant d’aller à la curie romaine. Le légat explique alors qu’il veut ainsi dépenser tous ses deniers pour fermer le faubourg d’Acre de sorte que « je leur [les Poulains de terre sainte] mousterai tout des que je n’en porte point d’argent si ne me

courront nue à la main [c.-à-d. ils ne courront pas après moi]»234. Eudes de Châteauroux semble de ce fait tenir sa promesse, puisqu’il reste encore plusieurs mois en terre sainte pour fortifier Acre et dépenser le reste de son argent. Il profite de la prolongation de son séjour pour concevoir une première mise en ordre des centaines de sermons accumulés depuis ses débuts oratoires.