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Chapitre 4 : Eudes de Châteauroux et le Talmud

4. La rédaction du dossier Extractiones de Talmut

4.3 Le manuscrit parisien

Les Extractiones de Talmut sont composées dans un but précis : éclairer les théologiens sur les erreurs et les blasphèmes que renferme le Talmud, afin de montrer le danger que constitue ce livre. Pour la première fois, un dossier d’une aussi grande importance est conçu pour contrer la littérature juive et principalement la doctrine rabbinique. À ce jour, nous ne possédons qu’un seul exemplaire des Extractiones, le ms. latin 16558 de la Bibliothèque nationale de France. Malgré son importance, le manuscrit n’a toujours pas été édité et aucune étude codicologique n’a été menée avec minutie. Une étude générale, néanmoins, a été réalisée au siècle dernier par Isidore Loeb304 et plus récemment par Chen Merchavia305. Ainsi, par l’ampleur qu’un tel projet pourrait

301 Sententia Odonis, op. cit.

302 DAHAN Gilbert, « les traductions latines de Thibaut de Sézanne », op. cit., p. 101. 303 Loc. cit.

304 LOEB Isidore, « La controverse de 1240 sur le Talmud », dans Revue des études juives, vol.1 (1880), p. 247-

261; t.2 (1881), p. 248-270; t.3 (1881), p. 39-57. (Description sommaire du manuscrit aux p. 259-260 du premier article)

305 MERCHAVIA Chen, ha-Talmud bi re'i ha-Natsrut (500-1248) [en hébreu] trad. Le Talmud au miroir de la

avoir, nous renonçons pour l’heure à entreprendre une étude codicologique en nous contentant ici d’étudier principalement son contenu.

Les Extractiones de Talmut, que la Bibliothèque nationale de France possède, est un manuscrit du XIIIe siècle qui a été « logé à la maison de Sorbonne par maître Pierre de Limoges », selon son propriétaire en 1869306. Pierre de Limoges, de son vrai nom Pierre de la Sépière, est né à Donzenac près de Brive au diocèse de Limoges, dans la première moitié du XIIIe siècle307. Il serait donc contemporain aux évènements de la condamnation du Talmud, mais semble n’être encore qu’un étudiant lorsqu’il vient faire ses études à Paris. Il devient toutefois maître en théologie au plus tard en 1262308. Il aurait donc acquis et, à sa mort, légué les Extractiones ainsi que toute sa bibliothèque à la Sorbonne. Concernant l’état du ms. 16558, il est aujourd’hui en mauvaise condition, plusieurs folios sont illisibles, jaunis par le temps. Volume de 238 feuillets en parchemin, il est divisé en deux parties qui sont précédées par un prologue similaire : un au début de la première partie et l’autre au début de la seconde. Certains historiens309 croient alors en un éventuel jumelage de deux dossiers. Puisque, d’une part, la foliotation est différente entre les deux parties du manuscrit et, d’autre part, l’index biblique à la toute fin du manuscrit ne renvoie qu’à la deuxième partie du manuscrit. Toutefois, ces arguments nous apparaissent insuffisants pour justifier qu’il y ait eu réellement deux dossiers distincts. Plus encore, en marge du commentaire des trente-cinq articles, De articulis litterarum pape (fol. 211va-217vb), de la deuxième partie du manuscrit se trouvent quelques fois des mots qui renvoient à la première partie. Par exemple, à la marge du dixième article (fol. 213va) est écrit le mot goy et du dix-

huitième article (fol. 215rb) le mot blasfema. Ces renvois peuvent de ce fait supposer qu’il y ait

un véritable lien entre les deux parties.

La première partie des Extractiones310 contient principalement des extraits du Talmud

traduits en latin, mais aussi des extraits de Rashi, puis quelques passages de la liturgie juive311. Les matières extraites du Talmud sont classées thématiquement selon les principaux chefs

306 Le propriétaire du ms. latin 16558 en 1869 écrit une préface, en français, au début des Extractiones.

307 BÉRIOU Nicole, « Pierre de Limoges et la fin des temps », dans Mélanges de l'Ecole française de Rome.

Moyen-Age, Temps modernes, vol. 98, n°1, 1986, p. 68.

308 Ibid., p. 69.

309 LOEB Isidore, La controverse sur le Talmud sous saint Louis, Paris, J. Baer (éd.), 1881, p. 5. ; ou encore G.

DAHAN dans son article « les traductions latines de Thibaut de Sézanne », op. cit., p. 97, note 19.

310 Extractiones, ms. de Paris, BnF lat. 16558, des fol.1ra-96ra.

d’accusation : de auctoritate Talmud (fol. 5ra-9ra), de sapientibus et magistris (fol.9ra-12va), de blasphemiis humanitaris Christi (fol.12vb-14vb), de blasphemiis contra Deum (fol.14vb-18rb), de blasphemiis contra christianos (fol.18rb-24rb), de erroribus (fol. 24rb-33va), de sortilegiis (fol.

33vb-37rb), de sompniis (fol. 37rb-41va), de futuro seculo et statu post mortem (fol.41va-44rb), de

messys (fol.44rb-46rb), de stultitiis (fol.46rb-66va), de turpitudinibus et immunditiis (fol.66va-70va),

de fabulis (fol.70va-96ra)312. Quant à la seconde partie313, nous retrouvons les mêmes extraits pris du Talmud, mais cette fois-ci classés dans l’ordre des traités talmudiques314. Y figurent également à la suite des traités, entre autres : la lettre de Grégoire IX contenant les trente-cinq chefs d’accusation de Nicolas Donin315, les gloses de Salomon de Troyes316, les confessions de Yehiel de Paris et de Judas317, ainsi que la sentence finale d’Eudes de Châteauroux318. Enfin, les derniers folios des Extractiones319 montrent un véritable effort intellectuel par un index bien détaillé de citations scripturaires.

Il faut également prendre en considération l’écriture du manuscrit et les langues utilisées. En lisant les Extractiones, nous pouvons remarquer que les traducteurs transcrivent différemment les mots en hébreu. Par exemple, en lettres latines le d est retranscrit par un z320. À cela, deux explications sont possibles. Il est concevable que les traducteurs aient confondu les deux lettres ד et ז en retranscrivant de l’hébreu au latin321. Ou bien, que les juifs ashkénazes, très présents à Paris, prononçaient différemment les mots hébreux par rapport aux textes écrits. La deuxième hypothèse est beaucoup plus plausible, puisque nous savons que Thibaud de Sézanne, l’un des traducteurs, est un juif converti qui a suivi un enseignement approfondi, étant jeune, dans une

yéshiva. Ainsi, Thibaud de Sézanne aurait transcrit de l’hébreu en lettres latines, en suivant la

vocalisation ashkénaze. Les traducteurs vont utiliser également à certains moments la langue

312 Extractiones, ms. de Paris, BnF lat. 16558.

313 Extractiones, ms. de Paris, BnF lat. 16558, dès fol.97ra à 338vb.

314 DAHAN Gilbert, « les traductions latines de Thibaut de Sézanne », op. cit, p. 97.

Par exemple : Mohed : traités Berakhot, Shabat (fol. 99rb – 132rb); Yeshu’ot : traités Bava qama, Bava mezi’a, Bava

batra […] (fol. 132rb – 202va), etc.

315 Extractiones, ms. de Paris, BnF lat. 16558 : fol. 211va- 217vb.

316 Salomon de Troyes (Salomonis Trecensis) : il s’agit en fait de Rashi. ms. lat 16558, aux fol. 224va- 230rb. 317 Dans les Extractiones, Yehiel de Paris est appelle Vivo Meldensis (Vivo de Meaux). Ms. lat 16558, fol. 230vb-

231va.

318 Ms. latin 16558, fol. 232va- 234va. 319 Ibid., fol. 234va- 238vb.

320 Par exemple, dans le ms. lat. 16558, le prologue, au fol. 97rb, le mot seder est écrit sezer. Ou encore, le titre en

tête du fol. 184r, le mot avodazara, est écrit avozazara.

vernaculaire pour préciser certaines traductions : [fol. 27rb] « Dixit spiritus disceptans, gallice

desresnanz gabriel »322. Enfin, les traducteurs vont faire des ajouts, qu’ils identifient en

soulignant, pour traduire un mot ou l’expliquer. Dans les deux parties du manuscrit, nous en retrouvons assez souvent.

Faute de temps et d’espace, il ne nous est pas possible de parcourir toutes les dénonciations intentées contre le Talmud dans le manuscrit. Par conséquent, nous allons nous concentrer uniquement sur les principales erreurs trouvées dans les livres talmudiques et condamnées par l’Église.