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Chapitre 4 : Eudes de Châteauroux et le Talmud

4. La rédaction du dossier Extractiones de Talmut

4.4 Erreurs, blasphèmes et le Talmud : Le commentaire des trente-cinq chefs

4.4.3 De blasphemiis contra beatam virginem

En effet, pour l’autorité cléricale, il est inenvisageable d’accepter des propos qui ternissent l’image de la mère de Dieu, si importante tant au plan religieux que culturel. C’est que le culte marial, qui se développe au XIe siècle, devient particulièrement florissant et prospère au XIIIe siècle grâce aux ordres mendiants. Le XIIIe siècle français voue ainsi un véritable culte à

reine d’Adiabène, Flavius Josèphe en parle dans son Histoire des Juifs, Arnauld D'ANDILLY (trad. et éd.), Amsterdam, Chezla Veuve Schippers & Henry Wetstein, 1681, livre vingtième, pp. 454-457.

340 LAMBERT Christian Yohanan, Le Talmud et la littérature rabbinique, op. cit., p. 101.

341 BRUCE Frederick Fyvie, Jesus and Christian origins outside the New Testament, Grand Rapids, Eerdmans,

1974, p. 58.

Marie. La Vierge devient alors la principale référence des dévotions personnelles et des identifications communautaires créant un fort sentiment d’unité343. Par ailleurs, Louis IX et son

entourage – Blanche de Castille, les frères mendiants et les dominicains – sont tous de grands dévots de Marie344. Cette vénération se voit également par les statuts synodaux de Paris, tel celui de Paris en 1213, qui incitent tous les chrétiens à apprendre et réciter avec dévotion l’Ave

Maria : « [25] Ad Horas beate Virginis semper dicatur tertius versus, scilicet “Maria mater gracie” : et cantentur in ecclesia cum nota et devotione non in surgendo et calciando345 ». Les développements doctrinaux jouent aussi un rôle important quant à la protection de l’image de la Vierge en prenant soin d’éloigner d’elle toutes conceptions négatives qui la dévalorisent346. Le culte marial est donc en pleine expansion et se voit bien implanté dans la société, de sorte que de nombreux fabliaux et histoires sur les juifs et Marie vont être écrits et très vite diffusés. Nous pourrions songer ici aux travaux de Gautier de Coincy (1177/78-1236), tel Les miracles de la

Sainte Vierge347. Avec le procès du Talmud qui débute en 1240, les histoires populaires et les décrets officiels vont ainsi se confondre, considérant désormais les juifs comme ennemis et blasphémateurs de la Vierge348. Ainsi, de vives animosités éclatent durant le procès du Talmud lorsqu’émergent les accusations de blasphème à l’encontre de Marie. Un des exemples donnés par Nicolas Donin, lors du procès du Talmud, se trouve dans les écrits talmudiques et considère

343 PLATELLE Henri, « Marie, Vierge, Mère, Souveraine au Moyen Age occidental », dans La dévotion mariale

de l’an mil à nos jours, BÉTHOUART Bruno et LOTTIN Alain (éd.), Arras, Artois Presses Université, 2005, p.23.

344 LE GOFF Jacques, LE GOFF Jacques, « Saint-Louis et les Juifs », dans Le brûlement du Talmud à Paris,

Gilbert DAHAN (dir.), p. 43.

345 PONTAL Odette, Les Statuts synodaux du XIIIe siècle, Paris, Bibliothèque nationale, 1971, t.1, p. 60.

Il s’agit de l’article 25, sous le titre Articles concernant le sacrement de l’autel. Une traduction en français est faite à la page 61 et qui va comme suit : « [25] Qu’aux Heures de la bienheureuse Vierge on ne manque jamais de

dire le troisième verset c’est-à-dire “Maria mater gracie” et que ces Heures soient psalmodiées dans l’église et que cela se fasse avec dévotion et non point en se levant et en marchant ».

346 LAMY Marielle, « Marie toujours plus sainte », dans Structures et dynamiques religieuses dans les sociétés

de l’Occident latin (1179-1449), DE CEVINS Marie-Madeleine et MATZ Jean-Michel (dir.), Rennes, Presses

universitaires de Rennes, 2010, p. 336.

347 DE COINCY Gautier, Les miracles de la Sainte Vierge, publié par l’abbé POQUET Alexandre, Paris, Didron,

1857, LXII-797 pages. Source : Bibliothèque nationale de France (BnF). Dans cette œuvre plusieurs histoires se rapportent aux juifs et à Marie, dont une intitulée Comment Saint-Jerome raconte de l’ymage Nostre-Dame que le

Juif jeta en la chambre coie (p. 423-426). Ce texte traite d’un juif à Constantinople qui entre dans la maison d’un ami

chrétien et voit une image de Marie, la saisit et la jette dans un lieu privé : « [11] Par aventure ainsi avint c’un juif en

la meson vint d’un crestien dont iert acointes. Malicieus estoit et cointes ; Crestiente moult despisoit, et moult volontiers medisoit de la puissant Dame celestre. [16] Pres de lui en une fenestre garda et vit en une tablete ou peinte avoit une ymagete a la semblance Nostre Dame. [26] Au juif bouli touz li sans, quant il oy parler de lui [de

Marie]. [44] A la tablete courant vint, si l’a par mautalent getee parmi le treu d’une privee […] ».

348 CHESTER JORDAN, « Marian Devotion and the Talmud Trial of 1240 », dans Ideology and royal power in

Marie comme une femme adultère : « […] Sa mère, c’était Marie, la coiffeuse pour dames;

comme on dirait à Pumbadita : infidèle fut-elle à son mari »349. Yehiel de Paris, voyant la

réaction de la foule après cette citation, nie toutes les allégations en affirmant que le Talmud et les juifs n’ont rien contre Marie. Pour appuyer ses dires, il explique que, tout comme Jésus, le nom de Marie dans le Talmud ne correspond pas à la mère du Christ, mais à une femme qui avait aussi le nom de Myriam (Marie) et qui vécut quatre cents ans après350. Encore là, son assertion est trop dérisoire pour convaincre les juges qui l’accusent, à l’évidence, de fabuler. Quittons le procès pour nous concentrer sur Eudes de Châteauroux. Ce qui est étonnant c’est que ni ses sermons, ni ses lettres destinées au pape ne mentionnent les blasphèmes à l’encontre de Marie. D'ailleurs, cette accusation ne figure que très brièvement dans les Extractiones, au folio 216va-vb. Comment alors une telle allégation concernant la Vierge – qui a fait réagir toute une foule en émoi – n’est-elle pas relatée dans ses écrits ? En fait, Eudes de Châteauroux se concentre davantage sur les fables et histoires imaginaires trouvées dans le Talmud. Il ne cherche pas à condamner les juifs en tant qu’hérétiques, mais bien à dénoncer leur éloignement de l’ancienne Loi et leur détachement du sens littéral. C’est pourquoi pareillement, la dénonciation de blasphème envers les chrétiens, bien qu’elle soit de nombreuses fois soulevée dans les

Extractiones, ne va pas se retrouver dans les sermons d’Eudes de Châteauroux.