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Chapitre 4 : Eudes de Châteauroux et le Talmud

2. Eudes de Châteauroux et l’orthodoxie doctrinale

2.1. L’inspiration augustinienne

Au tournant de 1230-1240, un changement d’attitude s’opère à l’université de Paris et semble être assez populaire247. Celle-ci a un nouveau statut qui la rend puissante et Eudes de

245 Ibid., p. 17. A. Charansonnet tient toutefois à préciser qu’il ne s’agit que d’un chiffre minimum pour la

deuxième édition.

246 CHARANSONNET Alexis, « L’évolution de la prédication […] », op. cit., p. 3.

247 CHENU Marie-Dominique, Le dernier avatar de la théologie orientale en Occident au XIIIe siècle, dans

Châteauroux – avec Guillaume d’Auvergne – compte changer la façon d’établir et de promouvoir l’orthodoxie doctrinale248. L’université devient alors très rigoureuse et porte un regard beaucoup

plus attentif aux évènements qui l’entourent. Ainsi, Guillaume d’Auvergne et Eudes de Châteauroux se rapprochent profondément par leur attachement à Augustin, ne serait-ce que par leurs partis-pris exégétiques extrêmement conservateurs. Augustin, effectivement, avait une orientation éminemment conservatrice envers le texte biblique249. Suivant la pensée augustinienne, Eudes de Châteauroux est cependant plus souple concernant la conversion en affirmant qu’il faut convertir par la parole et non par force. Toutefois, avec l’évêque de Paris, ils prennent un ton beaucoup plus virulent lorsqu’il s’agit de condamner les erreurs dogmatiques250. Guillaume d’Auvergne, dans son traité De universo (1231) écrit que l’erreur se combat non plus par la parole, mais par le glaive : « contra errorem igitur istum non est tam ratione

disceptandum, quam igne, et gladio pugnandum […] »251. Eudes de Châteauroux se montre également très radical dans son sermon de 1226 contre les albigeois et affirme qu’il faut désormais détruire les hérétiques : « Et rogemus Dominum Ihesum Christum ut destruat

hereses »252. C’est qu’au XIIIe siècle, les thèses condamnées de certains frères prêcheurs, clercs et maîtres de l’université de Paris sont toujours diffusées au sein de l’université253. Or, le clan augustinien, par leur orthodoxie, refuse toutes hétérogénéités dans une religion chrétienne qui doit être, comme Augustin l’invoque, unie et homogène. L’évêque et le chancelier, de ce fait, désirent plus que tout éliminer les erreurs doctrinales et religieuses254. C’est la raison pour laquelle le Talmud intéressa également l’université et de façon subite.

248 CHARANSONNET Alexis, L’Université, l’Église et l’État dans les sermons du cardinal Eudes de

Châteauroux (1190?-1273), thèse cit., pp. 91-92.

249 FREDRIKSEN Paula, « Divine Justice and Human Freedom : Augustine on Jews and Judaism, 392-398 »,

dans Jeremy COHEN, From Witness to Witchcraft, p. 32.

250 Loc. cit.

251 BIANCHI Luca, « Gli articoli censurati nel 1241/1244 e la lono influenza da Bonaventura a Gerson », op. cit.,

p. 155.

252 CHARANSONNET Alexis, L’Université, l’Église et l’État dans les sermons du cardinal Eudes de

Châteauroux (1190?-1273), thèse cit., p. 51, note 115.

253Pensons à l’interdiction, faite par les maîtres de Paris le 13 janvier 1241, d’enseigner dix propositions

provenant des écrits du dominicain Étienne de Vénizy (frater Stephanus) considérées comme fausses. Certains maîtres, tel que Jean le Page, se sont opposés à cette injonction, voulant continuer à suivre les thèses interdites de leur confrère. C’est pourquoi, l’évêque de Paris Guillaume d’Auvergne renouvelle la condamnation en janvier 1244 en menaçant les contrevenants à l’excommunication. Voir GOROCHOV Nathalie, Naissance de l’université : les

écoles de Paris d’Innocent III à Thomas d’Aquin (v. 1200-v.1245), op. cit., p. 529.

254 GOROCHOV Nathalie, Naissance de l’université : les écoles de Paris d’Innocent III à Thomas d’Aquin (v.

2.2. Doctrine augustinienne et le cas talmudique

Augustin n’était pas antijuif. D’ailleurs, ses écrits concernant les juifs n’appartiennent qu’à une maigre partie de ses œuvres. La seule idée majeure qu’il écrit dans son Contra faustum

manichaeum est que les juifs ont le rôle important de témoins et, par conséquent, ils ne peuvent

être tués255. De ce fait, pour Augustin, les juifs devaient survivre dans la chrétienté, parce qu’ils maintenaient la tradition biblique qui annonçait la vérité du christianisme : « Ainsi, jusqu’à la fin

des sept jours du temps, la préservation continue des juifs sera une preuve de croire les chrétiens qu’il y aura soumission méritée pour ceux, par l’orgueil de leur royaume, ont tué le Seigneur 256». Les juifs étaient alors les témoins vivants du peuple élu et de la réalisation des prophéties messianiques. Or, par tradition biblique, la doctrine augustinienne faisait référence à la lecture littérale de l’Ancien Testament257. En substituant cette pratique traditionnelle par une tradition rabbinique, le Talmud est devenu une menace pour la doctrine d’Augustin, faisant chanceler les fondements eschatologiques. C’est pourquoi le midrash* (l’exégèse biblique) et le Talmud devaient être maitrisés et censurés – voir condamnés au bûcher – peu importe leur utilité. Ainsi, nous pouvons, à juste titre, dire que l’orthodoxie d’Eudes de Châteauroux, concernant les livres talmudiques, suit la pensée augustinienne assidûment et c’est pourquoi il va être si intransigeant par rapport à ses prédécesseurs258 et certains de ses contemporains259 durant le procès et la condamnation du Talmud.

255 COHEN Jeremy, « Slay Them Not : Augustine and the Jews in Modern Scholarship », dans : Medieval

Encounters, 4 (1998), pp. 87-92.

256 FREDRIKSEN Paula, « Divine Justice and Human Freedom : Augustine on Jews and Judaism, 392-398 »,

dans : Jeremy COHEN, From Witness to Witchcraft, p. 50.

Voir citation dans Contra Faustum d’Augustin, livre XII, ch. 12.

257 Ibid., p. 46.

258 Pensons par exemple à Grégoire IX qui ne voulait que faire une censure de certains passages du Talmud. 259 Certains ne partageaient pas le désire radical de condamner au feu les livres talmudiques. Gauthier Cornut, par

exemple, prit la défense des juifs durant le procès du Talmud jusqu’à sa mort en 1241. Innocent IV, quant à lui, a été poussé par Eudes de Châteauroux et ne s’intéressait que très peu à cette affaire (voir le point 5 de ce chapitre).