2. Se construire une représentation de soi
2.2 La représentation de soi de l’enfant ayant un frère ou une sœur autiste
Une première étude de la représentation de soi des fratries de personnes autistes, à laquelle
nous avons participé dans le cadre du Master, a donné lieu à une publication pour introduire un
programme de recherche lancé par Claudon (Claudon, Claudel, et coll., 2007).
Le but de ce programme est de tenter d’élucider les conditions psychiques spécifiques qui
participent à la construction identitaire des frères et sœurs de personnes autistes.
Les premiers résultats tendent à montrer une fragilité des soubassements identitaires chez les
enfants de telle fratrie.
Nous présenterons tout d’abord la démarche suivie dans cette première étude et expliciterons
les résultats observés, pour préciser ensuite de quelle manière nous nous inscrivons dans ce
programme de recherche.
2.2.1 Hypothèses de travail et analyse des résultats
A partir des publications précédentes et d’une expérience clinique centrée sur le vécu des
fratries de personnes autistes, trois hypothèses de travail ont été posées et mises à l’épreuve de
données cliniques recueillies auprès de 41 enfants (âgés de 7 à 10 ans) issus de 20 familles
différentes.
La première hypothèse portait sur la construction des assises narcissiques et de l’image du
corps et consistait à postuler une fragilisation dans ce processus de construction.
La seconde portait sur l’équilibre affectif dans le lien parents-enfant et prévoyait une altération
au niveau de l’engagement dans la dynamique œdipienne.
Enfin, avec la troisième hypothèse étaient envisagées une adaptation sociale et une
compensation affective/émotionnelle de surface, en l’absence de symptômes
psychopathologiques dans la situation actuelle.
Ces hypothèses ont été testées à partir d’outils cliniques et projectifs : entretien clinique et tests
projectifs (Rorschach, test des contes, dessin de la famille) choisis pour leur propension à
favoriser l’expression de la représentation de soi.
L’analyse des résultats a permis d’avancer trois arguments cliniques qui soutiennent assez
largement la première et la troisième hypothèse de travail :
- Les enfants rencontrés ont présenté effectivement une fragilité des assises narcissiques.
Celle-ci a semblé le plus souvent liée à l’intériorisation de relations précoces peu rassurantes, à des
identifications troublées, ainsi qu’à un fort idéal du moi parfois inaccessible, et pouvant être
source d’une faible estime de soi.
- Les images du corps sont apparues assez troublées : le corps était vécu comme une limite
unitaire mais fragile par presque 1/3 des enfants. L’image érogène était le plus souvent touchée,
avec un faible degré d’élaboration et de narcissisation de l’image du corps.
- Les enfants ont manifesté également un sentiment de culpabilité le plus souvent en lien avec
la relation aux parents, qui semblait faire écho à un besoin de restaurer une bonne image
parentale.
Quant à la deuxième hypothèse, elle s’est révélée utile à considérer même si elle n’a pas été
clairement vérifiée.
D’une manière générale, les observations faites sur l’échantillon de sujets ont confirmé une
altération sensible de la représentation de soi.
2.2.2 Discussion et perspectives de la recherche
Cette fragilité de la représentation de soi observée chez les frères et sœurs d’enfants autistes
apparaît avant tout liée au fonctionnement familial.
En effet, la relation au frère handicapé ne semble pas avoir directement un impact sur la
représentation de soi, sauf pour l’image du corps qui est parfois imprégnée par des traits
dysharmonieux de la pensée globale et des attitudes comportementales/corporelles de l’enfant
malade. C’est plutôt la qualité de la dynamique familiale et des liens identificatoires qui
semblent influer sur la qualité des assises narcissiques, du mode de relation établi, et de la
qualité globale de l’image du corps.
En d’autres termes, l’étude tend à montrer qu’avoir un frère ou une sœur autiste met en
difficulté non pas le système fraternel mais surtout le système familial dans sa fonction de
support aux identifications et aux capacités de séparation.
Aussi, la question de l’identité en devenir apparaît au premier plan à l’issue de cette première
étude. Même s’il n’existe pas ou peu de signes symptomatiques cliniquement repérables
(hypothèse 3), les altérations des bases identitaires, observées au niveau des assises
narcissiques et de l’image du corps, nous amènent à considérer le risque de décompensation qui
pourrait être induit par ces failles au cours du développement ultérieur.
Ainsi, un argument important se dégage pour nous en faveur d’une prévention secondaire lors
de la phase adolescente, afin de lutter contre l’apparition de troubles risquant de s’inscrire dans
une catégorie psychopathologique.
La présente recherche répond donc à la nécessité d’observer les modalités prises par les
composantes de la représentation de soi chez des adolescents ayant un frère ou une sœur
autiste, afin d’observer dans quelle mesure les pré-organisations établies pendant l’enfance
peuvent être des facteurs de désorganisation durant l’adolescence.
Synthèse :
- Le soi se constitue à partir de toutes les expériences corporelles et réflexives vécues par
l’individu, qui lui permettent de se sentir exister en tant que sujet à la fois comme les autres et
différent des autres.
- La représentation de soi est un contenant fantasmatique du soi, qui permet à l’individu de
s’exprimer et de se lier au monde.
Représentant l’individu dans son intégration psychosomatique, elle se situe à l’intersection de
l’investissement narcissique et de l’investissement objectal, et englobe l’image du corps,
l’identité, les identifications.
Par le rôle de contenant qu’elle donne au corps, l’image du corps se rapproche du concept
psychanalytique de Moi-Peau.
Par son rôle d’intégration de l’évolution individuelle au fil du développement libidinal et
cognitif, la représentation de soi se rapproche du concept psychanalytique de Moi-Pensant.
- Dans le cas de l’autisme, le développement identitaire de l’enfant peut se caractériser par un
narcissisme primaire qui empêche les introjections objectales, une image du corps
« évanescente », une identité et des identifications adhésives qui selon le cas peuvent favoriser
l’intégration d’expériences nouvelles et permettre un début de réflexivité.
- Pour le frère ou la sœur de l’enfant autiste, apparaît une fragilité de la représentation de soi
qui semble essentiellement liée à l’ensemble de la dynamique familiale.
Les failles observées sur le plan des assises narcissiques et de l’image du corps amènent à
s’interroger sur le développement de ces enfants de fratrie à l’adolescence.
3. Devenir adolescent lorsque l’on a un frère ou une sœur autiste
Dans le document
Etude clinique et projective de la représentation de soi chez des adolescents ayant un frère/une soeur autiste
(Page 82-86)