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2. Se construire une représentation de soi

2.1 Le soi et la représentation de soi

2.1.2 La représentation de soi

1.2.2.4 Du Moi-peau au Moi-pensant

Pour Anzieu (1994), l’appareil mental s’étaie sur le Moi-Peau pour créer « un appareil à penser

les pensées » : ce qu’il appelle le penser ou Moi-Pensant.

Ainsi, la peau, le moi, le penser, remplissent des fonctions identiques à des niveaux

d’abstraction et de symbolisation différents.

Dès 1973, Anzieu souligne le double rapport d’étayage et de figuration symbolique entre le

moi et les sensations de la peau lorsqu’il définit le Moi-Peau : « première différenciation du

moi au sein de l’appareil psychique qui s’étaie sur les sensations de la peau et consiste en une

figuration symbolique de celle-ci ».

Pour Anzieu, penser est une activité du Moi, un moi conçu selon le modèle de la deuxième

topique freudienne, c’est-à-dire un moi en grande partie inconscient qui est dérivé des

sensations corporelles et qui est un précipité des objets incorporés et introjectés.

Dans la même ligne de réflexion que Bion, Anzieu considère que le penser est un appareil à

penser les pensées. Les pensées préexistent au penser. Ce sont les représentations que se fait

l’appareil psychique à partir des états et des mouvements du corps, et le penser va permettre la

mise en relation des pensées.

Comme le rappelle Chabert (2007) qui reprend les écrits de Anzieu (1993), le penser est généré

dans le psychisme par analogie et homologie avec la structure du corps et spécialement de la

peau. Cette générativité opère sur trois niveaux : la peau, le moi, le penser. Chaque niveau

s’articule au précédent par un processus dialectique d’emboîtement/retournement (qui ajuste,

transpose, modifie l’organisation précédente, tout en conservant des traces de sa structure). Au

niveau biologique, la peau contient les organes, les tissus, l’ossature du corps. Au niveau

psychologique, le moi contient les sensations, émotions, actions, fantasmatisations. Au niveau

intellectuel, le penser contient les pensées, les représente par des signes, les organise en

catégories et en théories : « par la mise en œuvre d’une activité de construction d’analogies,

d’homologies, d’établissement de correspondances et de concordances, par un jeu de

conjonctions et de disjonctions, il organise les pensées à la manière d’un microcosme dont le

monde serait le macrocosme » (Anzieu et Chabert, 2007).

Ainsi, pour Anzieu, le moi est comme la peau, et le Moi-Peau remplit des fonctions analogues

aux fonctions de la peau. A son tour, le Moi-pensant transpose les fonctions du Moi-Peau dans

une logique de contiguïté. En d’autres termes, le Moi-peau peut se comprendre comme une

métaphore de l’enveloppe corporelle, et le penser comme une métonymie du moi (Séchaud,

2007).

En 1993, Anzieu établit une continuité entre fonctions de la peau, fonctions du moi, catégories

du penser en ébauchant une grille qui classe, dans l’ordre de leur psychogenèse, huit fonctions

qui opèrent à ces trois niveaux :

« 1. Maintenance du corps par la peau ; du psychisme par le moi ; érection du penser ;

consistance du penser.

2. Contenance : la peau et ses pores ; la mémoire et ses trous ; le penser enveloppe et limite les

pensées ; pensées closes, pensées ouvertes.

3. Surface d’excitation : barrières de contact ; moi filtre ; constance/rupture du penser ; pensées

abstraites.

4. Surface d’inscription : traces sur la peau ; symptômes incrustés sur le moi ; signes du

penser ; pensées abstraites.

5. Consensualité : la peau comme sens commun ; le moi et les équivalences symboliques ; le

penser comme microcosme ; les systèmes de correspondance entre les pensées.

6. Individuation : arrachage de la peau commune et acquisition de sa propre peau ;

identité/altérité du moi ; totalisation du penser ; pensées personnelles.

7. Recharge énergétique : tonicité du corps entretenue par la seconde peau ; tension du moi

(syntonie/dystonie) ; force du penser ; pensées vraies.

8. Soutien de l’excitation sexuelle : plaisir de peau ; érotisation du moi ; sexualisation du

penser ; perversion des pensées. » (Anzieu et Chabert, 2007).

Selon Anzieu (1994), il existe une pensée concrète par image et une pensée abstraite par

schème, qui dérivent respectivement de l’image du corps et du schéma corporel.

Il considère que ces huit fonctions renvoient à des familles de schèmes : les schèmes de

consistance, d’enveloppe, de contact, d’inscription, de transformation, d’unité et de totalisation,

de singularité, de recharge libidinale.

Dans une perspective assez proche de celle de Anzieu, Claudon et coll. (2008) s’interrogent sur

la capacité de penser chez l’enfant autiste.

Pour eux, la part du corps de l’enfant expérimenté au cours de l’interaction avec ses parents

l’engage dans un processus de pensée. Les sources de la pensée seraient intrinsèques à

l’histoire d’un contexte interactionnel, sous l’effet de la construction d’un partage émotionnel.

Ils centrent leur étude sur l’activité du corps vécu dans l’ici et maintenant en tant que contexte

interactif fondamental et comme espace de pensée émotionnelle, et font l’hypothèse que la

pensée est d’abord un phénomène « corporel-tonique » équivalent à une expression de soi non

symbolique.

Même dans des situations autistiques, le corps de l’enfant, dans son fonctionnement somatique

et expérientiel, représente selon eux un « contexte interactif potentiel » et laisse donc présager

des capacités de penser. Ainsi, ils cherchent à décrire chez ces enfants en difficulté ce qui sert

de base aux capacités interactives, afin de mieux comprendre comment et grâce à quoi l’enfant

peut accéder au fil de son développement à des représentations symboliques et à la

communication qu’elles permettent.

Comme nous venons de le voir, différents processus sont en jeu dans le travail du penser.

Selon Anzieu (1994), la pulsion qui anime le psychisme induit une émergence en acte du

penser pour faire tenir ensemble les pensées, plus ou moins souplement, et leur donner un axe

directeur. Le penser requiert de régulariser le cours des affects. Il consiste à faire circuler les

pensées entre moi et les autres, entre le moi et les autres instances. Il peut constituer une

recharge libidinale et permettre un équilibre « entre le plaisir de penser et la pensée du plaisir ».

Ainsi, le concept de Moi-Pensant se rapproche du concept de représentation de soi dans la

mesure où il permet à tout un chacun d’intégrer psychiquement son évolution individuelle au fil

des expériences.

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