H1 : Difficulté pour s’engager dans le travail narcissico-objectal en direction de l’autre
sexué
Globalement, le rapport narcissico-objectal paraît particulièrement ébranlé chez les adolescents
ayant un frère ou une sœur autiste. La réactivation de la problématique œdipienne, et surtout
celle du processus de séparation-individuation, semblent avoir un impact sur la représentation
qu’ils se construisent d’eux-mêmes.
Les données recueillies avec l’ensemble des outils sélectionnés indiquent une fragilité des
assises narcissiques et une difficulté pour réaliser le deuil des objets de l’enfance.
L’investissement narcissique de soi apparaît davantage atteint chez les adolescents âgés de 13
à 15 ans (Rorschach). L’intégration psychique du corps en transformation, tâche qui caractérise
cette étape de l’adolescence (Jeammet et coll., 2001), pourrait être particulièrement éprouvante
pour ces sujets. Des défenses importantes sont souvent érigées pour tenter de donner une bonne
image de soi (R-CMAS).
Le désengagement par rapport aux identifications de l’enfance semble poser problème. Les
repères identificatoires apparaissent mal assurés. Le remaniement des identifications ne
concerne que les identifications secondaires et ne met pas en péril les identifications primaires.
Le sentiment d’identité est maintenu (entretien) mais les prises de positions sexuées s’avèrent
difficiles et souvent neutralisées (TAT). Au-delà de l’organisation œdipienne qui paraît peu
structurante, c’est surtout l’accès à une identité subjective qui peut être perturbé. Le
mouvement de défusion et de séparation par rapport aux imagos de l’enfance n’est pas toujours
clairement assumé. Le détachement des figures parentales peut être éprouvant (TAT, entretien)
et l’investissement de la sphère sociale peu aisé (SEI, entretien).
Les déplacements des investissements et des identifications paraissent souvent difficiles et
viennent révéler la force du lien aux objets de l’enfance et la menace que représente la perte
d’un certain type de relation.
Les modalités des relations objectales peuvent, quant à elles, être imprégnées des particularités
de l’autisme en montrant ponctuellement des replis et une protection émotionnelle qui réduisent
sensiblement le lien à l’objet. La dynamique relationnelle est le plus souvent teintée de
spécularité, d’idéalisation, renvoyant à la fonction d’étayage de l’objet, ou impliquant des
mouvements d’agressivité débordante (TAT et Rorschach). L’agressivité apparaît le plus
souvent réprimée ou subie (Rorschach). Les schèmes relationnels intériorisés durant l’enfance
(comportement de sollicitude, de réparation) tendent à se perpétuer et à se reproduire en dehors
de la sphère familiale.
Les relations objectales vers l’extérieur semblent plus particulièrement être affectées par la
fragilité des assises narcissiques. Les difficultés de mise en relation avec autrui, versus le
besoin impérieux de multiplier les relations, traduisent une angoisse d’abandon sous-jacente.
Cet investissement objectal apparaît d’autant plus déstabilisant que l’investissement narcissique
est fragile. Le moindre enclin à rechercher la présence de l’autre peut être rapproché également
du faible degré d’interaction avec le frère ou la sœur autiste. Compte tenu de ses difficultés
relationnelles, celui-ci ou celle-ci ne peut en effet ni apporter de soutien dans le réaménagement
des imagos parentales, ni intervenir face au risque de repli narcissique fréquent à cette étape du
développement.
Sans entrer dans un registre pathologique, l’analyse des données révèlent une fragilité des
acquis antérieurs chez certains adolescents, qui se traduit tant sur le plan des rapports
narcissiques que sur celui des rapports objectaux. Une période de plus grande vulnérabilité
semble se dégager pour les adolescents âgés de 13 à 15 ans.
H2:Difficulté pour intégrer psychiquement l’expérience du corps en transformation
Il s’agit de l’hypothèse la plus clairement validée.
L’image du corps, dont la structuration est mise à l’épreuve par la flambée pubertaire, apparaît
effectivement fragilisée chez les adolescents de fratrie avec autisme. Elle présente le plus
souvent un faible degré de narcissisation, ainsi qu’une unité et une intégrité de moindre qualité.
La construction d’une image du corps « capable de procréer » paraît affectée, l’accès peut en
être parfois barré.
Les données recueillies à partir des différents outils convergent pour signifier une difficulté
pour intégrer le vécu pubertaire sur un plan somato-psychique. C’est surtout la réactivation des
pulsions agressives qui paraît difficile à élaborer (Rorschach). Le poids des pulsions agressives
peut être relié au travail de séparation-individuation, mais aussi aux schèmes relationnels
intériorisés. D’une manière générale, apparaît un obstacle pour établir une logique de plaisir,
avec contrôle du comportement et restriction des affects (entretien, Rorschach).
Au-delà du vécu d’étrangeté du corps en transformation qui peut entraîner une perte des repères
et des limites (Birraux, 1994), l’image du corps de ces adolescents est souvent déformée voire
détériorée (Rorschach, TAT). Cette atteinte de l’image du corps, dont l’ampleur évolue selon
une disparité croissante au fil de l’âge, semblent traduire pour certains sujets une difficulté
particulière pour intégrer la réactivation pulsionnelle laquelle peut signer l’empreinte de
l’échange somato-psychique avec le frère ou la sœur autiste. Dans certains cas, la nature du
dialogue tonico-émotionnel avec le frère ou la sœur autiste (Bullinger, 2004) intériorisée durant
l’enfance pourrait faire écho avec le vécu pubertaire de l’adolescent et maintenir l’image du
corps dans une position aliénante. A l’inverse, dans d’autres cas, le vécu pubertaire ne semble
pas faire effraction et l’image du corps peut être éprouvée suffisamment contenante et
demeurer intègre.
Concernant l’intégration de la génitalité dans une image du corps sexuée, les données
recueillies à partir de l’entretien clinique révèlent un blocage fréquent face au projet de
procréation. L’idée de donner naissance à un enfant handicapé semble refoulée. Une angoisse
peut être projetée par les parents face à cette éventualité. Un long cheminement paraît
nécessaire pour que l’adolescent parvienne à intégrer et exprimer cette représentation avec
sérénité. Au-delà de l’angoisse face au risque génétique, l’inhibition observée semble révéler la
difficulté à « faire coexister » sans culpabilité la crainte d’avoir un enfant atteint de la même
pathologie que le frère ou la sœur autiste et l’expression d’un attachement à celui-ci ou celle-ci
(Scelles, 2010).
Les éprouvés et les images du corps semblent fonctionner comme des failles pour certains
adolescents. Cette représentation inconsciente du corps, construite dans l’interaction avec les
personnes de l’entourage, pourrait avoir un impact sur la conception d’avoir un enfant.
Cet impact puiserait son origine à un double niveau :
- celui de l’échange somato-psychique avec le frère / la sœur autiste au fil de son
développement ;
- celui de l’expérience relationnelle avec les parents et de leurs projections sur le
développement de la fratrie.
H3 : Difficulté pour se constituer en tant que sujet de son existence et pour élaborer des
projets d’avenir personnels
C’est au niveau de cette hypothèse que nous observons le plus de variations inter-individuelles.
Selon le cas, peut apparaître des difficultés pour se dégager de l’emprise du pouvoir de l’autre,
pour construire un espace psychique personnel ; ou peut apparaître au contraire une
appropriation et symbolisation du vécu infantile et pubertaire avec édification de projets
d’avenir dans un mouvement sublimatoire.
S’étant généralement conformé à une image idéalisée d’enfant soutenant et de frère protecteur,
les adolescents de fratrie avec autisme éprouvent souvent des difficultés pour abandonner la
position de toute puissance à laquelle ils ont pu s’identifier. Ils peuvent avoir recours à un
moi-idéal omnipotent pour répondre aux exigences extérieures intériorisées (TAT). Des difficultés
pour vivre à la hauteur des attentes perçues apparaissent dans certains cas (R-CMAS).
Distinguer son propre point de vue des idéaux parentaux n’est pas toujours aisé et semble
traduire parfois une dette difficilement solvable par rapport au vécu infantile (entretien). Le
poids du surmoi pourrait empêcher le processus de différenciation entre soi et l’autre. Nous
rejoignons Boucher (2006), selon qui les frères et sœurs de personnes handicapés sont souvent
confrontés à un dilemme douloureux car « conquérir et affirmer son identité c’est se
désengager du désir de solidarité fraternelle et familiale ».
Selon le cas, ces adolescents peuvent présenter une estime d’eux-mêmes plus ou moins
affectée, se traduisant parfois par une angoisse face à leurs potentialités actuelles et à venir
(entretien), ou au contraire par une attitude défensive à travers une image idéalisée
d’eux-mêmes (SEI). Ces résultats peuvent être rapprochés des études anglo-saxonnes qui, selon la
méthodologie employée, révèlent un niveau d’estime de soi plus ou moins important. Ils nous
amènent à souligner la nécessité de discriminer une organisation identitaire en faux-self qui
pourrait dissimuler le vrai-self (Winnicott, 1960), ou être érigée par défaut de construction d’un
vrai self (Konicheckis, 2006), afin de tenter d’approcher la réelle nature de l’image de soi.
L’appropriation et l’inscription de son histoire dans des projets d’avenir personnels s’effectuent
pour ces adolescents selon des trajectoires diverses. Tandis que certains répriment leur
subjectivité ou expriment un doute identitaire important, d’autres au contraire font preuve
d’une analyse fine de leurs désirs et pensées. Tandis que certains ne parviennent à se
positionner face à l’avenir, manifestent des projets en écho avec les attentes extérieures ou
projettent un avenir angoissant sur un mode persécutoire, d’autres à l’inverse parviennent à
s’engager dans un travail de sublimation de soi avec appropriation créatrice des différentes
facettes de leur identité propre (entretien, activité d’écriture). Les projets de vie et/ou projets
professionnels exprimés peuvent référer pour certains au handicap du frère ou de la sœur et
renvoyer, comme l’a déjà souligné Scelles (2010), à une position de sujet plus ou moins
aliénante vis-à-vis de l’objet fraternel.
Le contraste entre ces trajectoires s’accroît au fil de l’âge comme si pour certains adolescents
un réel obstacle dans le processus de différenciation de l’autrevenait entraver leur possibilité
de subjectivation, alors que pour d’autres la construction identitaire avait pu s’établir de
manière continue sans écueil et être remaniée au décours de la puberté. Aussi les résultats
observés ici corroborent avec ceux de Ansen-Zeder (2010) pour qui l’expérience d’être frère ou
sœur d’une personne handicapée mentale, au-delà des difficultés d’adaptatation qu’elle induit,
peut « favoriser l’émergence d’un processus de résilience ».
Enfin, concernant le risque de décompensation somatique, l’anxiété peut entraîner de façon
ponctuelle des répercussions d’allure psychosomatique. Deux cas de figure sont là encore à
distinguer : selon que les adolescents répriment leurs affects ou présentent une mentalisation
affective déficitaire (TAT, Rorschach, entretien), expriment des manifestations somatiques de
leur angoisse (Rorschach, entretien), résistent à verbaliser leurs tensions corporelles
(R-CMAS) ; ou à l’inverse qu’ils parviennent à enclencher une symbolisation des affects éprouvés
au cours de l’enfance et réactivés à l’adolescence.
L’évaluation d’éventuels signes de troubles somatiques n’est pas aisée même en prenant en
considération les représentations des parents, compte tenu d’un défaut de communication
fréquent dans ces familles.
3. Présentation de deux cas illustratifs contrastés : Pierre du
Dans le document
Etude clinique et projective de la représentation de soi chez des adolescents ayant un frère/une soeur autiste
(Page 157-162)