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Troisième partie : Les mesures de libération

1. Renoncer à la libération conditionnelle : réalités et évènements vécus

Dans la littérature, la libération conditionnelle est abordée par plusieurs études en termes de gestion du risque (Autixier, 2016 ; Feeley et Simon, 1992 ; Slingeneyer, 2007 ; Vacheret et Cousineau, 2005), d’accès et d’implication dans les programmes (Cabana et al., 2009 ; Vacheret et Cousineau, 2005 ; Vacheret, 2006), du rôle de l’agent de probation (Autixier, 2016 ; Arsenault, 1981 ; Roy, 2015). Ce sont donc ces trois éléments que nous allons mettre en lien avec nos résultats.

1.1. Une gestion du risque

A l’ère d’une « nouvelle pénologie », en rupture avec la pénologie moderne, plusieurs études (Autixier, 2016 ; Feeley et Simon, 1992 ; Slingeneyer, 2007 ; Vacheret et Cousineau, 2005) montrent que le contrevenant est désormais considéré comme un individu appartenant à un groupe comportant un risque pour la société. Dans cette perspective, nous pouvons ainsi constater que lorsqu’il est question de libération conditionnelle, il est question de risque ; un risque qui doit être évalué. Les résultats de notre analyse des propos des agents de probation ont permis de mettre en lumière que les évaluations sont un élément non négligeable dans la prise en charge et le suivi du contrevenant. Ils ont mentionné que les évaluations sont notamment l’outil capable d’évaluer le risque de récidive de la personne détenue. De leur point de vue, la libération conditionnelle semble également être une forme de contrôle. Dans cette perspective, la libération conditionnelle devient plutôt un outil de surveillance et de contrôle de certaines catégories de détenus (Autixier, 2016). La manière dont les agents se

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représentent cette mesure a ainsi émergé dans nos résultats. Il ressort de notre analyse que cette mesure semble être finalement plus contrôlante pour les agents qui, dans un contexte de gestion du risque, se voient confier la mission de veiller à la sécurité du public par la surveillance des personnes contrevenantes, ce qui a notamment déjà été identifié par Autixier (2016).

De ce fait, il semble que le contrôle de l’agent s’exerce à travers les recommandations qu’il fait à l’égard du contrevenant. Le risque du détenu a déjà été identifié par Vacheret (2006) comme pouvant influencer la recommandation ou la non-recommandation du détenu à sa libération conditionnelle, un constat qui se retrouve dans nos résultats. Effectivement, les personnes contrevenantes qui sont considérées par les agents comme représentant un risque plus « élevé » sont également celles qui ont reçu une recommandation négative. Nos résultats mettent néanmoins en évidence le fait que les agents évaluent les contrevenants non pas tant en termes de risques qu’en termes de besoins.

Alors que Feeley et Simon (1992) indiquent que des groupes d’individus se voient attribuer un niveau de dangerosité déterminant le niveau de risque que ceux-ci représentent ou peuvent représenter pour la société. Les criminels qui sont considérés ou jugés « dangereux » faisant ainsi l’objet d’un contrôle plus accru, ce constat est à nuancer avec nos résultats. Il apparaît que les agents de probation fondent leur pratique d’évaluation autant sur la question des besoins que sur celle des risques. Effectivement, nos résultats mettent non seulement en évidence l’évaluation de certains agents de probation à l’égard du risque de récidive de la personne incarcérée mais nos résultats montrent également la volonté des agents d’identifier et de répondre aux besoins de la personne contrevenante, concernant notamment le choix de leur programme, la préparation de leur projet de sortie.

Ainsi, l’analyse de nos données a mis en évidence le fait qu’aucun de nos participants incarcérés n’est considéré comme « dangereux », la dangerosité n’étant pas un élément soulevé par les agents de probation et les différents acteurs de l’institution pénale dans leurs évaluations et/ou leurs recommandations faites à l’égard du contrevenant.

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1.2. L’accès et l’implication dans les programmes correctionnels

Plusieurs études (Cabana et al., 2009 ; Vacheret et Cousineau, 2005 ; Vacheret, 2006) abordent la libération conditionnelle en termes d’accès et d’investissement dans les programmes correctionnels. Ces éléments ont également émergé dans nos résultats. La recherche de Weekes, Ginsburg et Chitty (2001) montre que les services correctionnels ont, depuis les années 1980, mis l’emphase sur l’élaboration, la mise en œuvre et l’accès à des programmes correctionnels au profit des délinquants incarcérés. Ce constat se retrouve dans nos résultats puisque les personnes contrevenantes rencontrées ont eu accès à des programmes correctionnels divers et variés, traitant de plusieurs thématiques telles que la gestion de la colère, la toxicomanie, la dépendance affective. Nos résultats ont toutefois montré que certains détenus avaient un accès limité aux programmes correctionnels. Effectivement, les agents de probation mettent en évidence le fait que certains profils de contrevenants, délinquants sexuels notamment, ne peuvent accéder à des programmes correctionnels au même titre que les détenus « réguliers » du fait de leur placement en secteur de protection.

L’investissement du détenu a déjà été identifié par Vacheret (2006) qui montre que la participation du détenu à des programmes correctionnels, un comportement conformiste ou encore le suivi de son plan correctionnel est le signe que le contrevenant respecte le contrôle et les règles imposés par l’institution. Les résultats des données recueillies nous ont permis de constater que la majorité de nos détenus, c’est-à-dire 5 sur 6 d’entre eux, est impliquée et participe à plusieurs programmes. Ils ont tous démontré une implication assidue et appliquée. Cette implication a de surcroit été reconnue et mise en évidence par les propos des agents de probation et dans les documents intégrés au dossier carcéral. La question de l’investissement du détenu dans les programmes a également été discuté par Cabana et al. (2009) qui montrent que l’implication dans les programmes correctionnels et la réussite de ces derniers ainsi qu’une bonne conduite en détention sont autant de facteurs qui pourraient influer « positivement » sur les chances de la personne contrevenante d’obtenir une libération conditionnelle. Cette étude qui vise notamment à comprendre les renonciations, a identifié les programmes non terminés comme une des raisons évoquées par le détenu lorsqu’il renonce à une demande de libération conditionnelle, ce constat ne se retrouve pas dans notre analyse. Effectivement, il apparaît que les programmes correctionnels ne sont évoqués ni par

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les contrevenants ni par les agents de probation ou par les différents acteurs de l’institution pénale comme une raison de renoncer à une demande de libération conditionnelle.

1.3. Le rôle de l’agent de probation

Enfin, dans la littérature, la libération conditionnelle est abordée en termes d’encadrement du détenu. Selon la loi sur le système correctionnel du Québec, l’agent de probation est chargé de la prise en charge et du suivi du détenu en détention. Les recherches d’Autixier (2016), d’Arsenault (1981) et de Roy (2015) ont permis de montrer que le rôle de l’agent de probation consiste notamment à répondre tant aux besoins matériels que psychologiques de la personne contrevenante. Dans cette perspective, les agents de probation interrogés ont mentionné que les évaluations aident à identifier les besoins du détenu. Ils ont également soulevé que leur rôle consistait à présenter les différentes démarches qui s’offrent au détenu – mesures de libération anticipée notamment – à l’orienter vers des programmes correctionnels qui correspondent à ses besoins, à le soutenir dans la réalisation de son projet de sortie. Alors que Cabana et al. (2009) mentionnent que le manque de soutien de l’agent de probation est parfois soulevé par le contrevenant et donné comme raison dans le cadre d’une renonciation à une demande de libération conditionnelle, ce constat ne se retrouve pas dans nos résultats. L’étude de Cabana et al. (2009) indique que le manque de soutien ne renvoie pas à la recommandation ou la non-recommandation de l’agent à l’égard du détenu mais s’apparente à l’insatisfaction du contrevenant concernant la manière dont l’agent a géré son dossier et la préparation de son cas. Nos résultats montrent qu’aucune des personnes contrevenantes interrogées ne verbalisent une insatisfaction concernant la gestion de son dossier par son agent. De plus, la plupart des détenus que nous avons rencontrés mentionne que leur agent de probation était présent. Chaque personne contrevenante a un avis sur sa prise en charge qui lui est propre et qui diffère de celui des autres. Toutefois, un contrevenant a soulevé un problème concernant notamment les délais de réponse des agents parfois trop longs voire inexistants, plus spécifiquement quand la demande du détenu a été faite par écrit, par le biais du système de « mémo ». Ce système consiste à ce que le détenu rédige un mémo pour toute question relative à sa prise en charge et ce mémo est distribué à la personne concernée. Ainsi, pour la personne contrevenant, rencontrer l’agent de probation dans le secteur et pouvoir lui parler librement sans forcément programmer une rencontre au

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préalable semblent être la manière d’agir qui convient le mieux à chacun des contrevenants interrogés.

À la lumière des faits soulevés dans la littérature qui montrent que l’expérience carcérale étiquette le détenu et le contraint à s’adapter au milieu, nos résultats ont mis en évidence le fait que les évènements vécus par nos participants incarcérés amènent des données intéressantes mais ne permettent pas nécessairement d’établir un lien de compréhension entre l’expérience carcérale de la personne contrevenante et la décision de renoncer à la libération conditionnelle. Effectivement, hormis le niveau de risque que représente le détenu et qui a été soulevé par certains agents, le manque d’accès ou l’implication dans les programmes ainsi que le manque de soutien de la part de l’agent de probation ne se retrouvent pas dans nos récits d’expérience. Il ressort notamment que les participants incarcérés interrogés s’investissent de manière constructive au milieu carcéral et n’éprouvent pas de difficulté à s’y adapter. Enfin, hormis le détenu incarcéré pour délinquance sexuelle, les personnes contrevenantes n’ont pas indiqué faire l’objet d’un étiquetage institutionnel.

2. Renoncer : une perception particulière de la libération