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3. Le vécu en détention : s’adapter à la prison

3.2. L’omniprésence du contrôle et de la surveillance

Dans son ouvrage Asiles (1961), Goffman présente le concept de l’institution totale qui désigne « un lieu de résidence et de travail, où un grand nombre d’individus, placés dans la

même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées »

(p.2). Il adapte ce concept à la prison. En contexte d’incarcération, la prison en tant qu’institution totale réfère à un contrôle à la fois répressif et accru ainsi qu’à une surveillance omniprésente (Goffman, 1961). Par ailleurs, d’après Artières, Lascoumes et Salle (2004), « une enceinte carcérale n’est pas un univers immobile et froid, mais est au contraire un

espace en tension perpétuelle dans lequel se jouent de multiples manœuvres et transactions pour maintenir un équilibre précaire entre ‟guerre” et ‟paix” » (p. 2). Dès lors, la prison

est déterminée par « une vie quotidienne et informelle sous tensions » (Artières et al., 2004, p. 2). Les tensions institutionnelles qui s’observent, au cœur de la prison, sont liées à la force

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de l’autorité carcérale et l’omniprésence d’un contrôle et d’une surveillance (Cabelguen, 2006 ; Chauvenet, 2010 ; Vacheret, 2002, 2006).

Dans son étude, Vacheret (2006) a réalisé 36 entrevues qualitatives auprès d’hommes « incarcérés dans trois pénitenciers canadiens » dans le but d’analyser « les formes de

contrôle social » au sein de l’institution carcérale. Selon les répondants, le contrôle ainsi que

les contraintes de l’institution – pertes de repères, cohabitation forcée, observation

constante – conditionnent considérablement leur vécu en détention. Il ressort de cette étude

que le contrôle réfère à la fois à un contrôle physique mais également à un contrôle psychologique. Compte tenu du fait que l’idéal réhabilitatif invite l’institution carcérale à s’ouvrir davantage vers l’extérieur, le premier type de contrôle a augmenté ces dernières années. De ce fait, les contrôles physiques tels que les « fouilles à nu » ou encore les « contrôles anti-drogues » se multiplient. Relativement au contrôle psychologique, l’étude met en évidence que l’incarcération de la personne contrevenante est marquée par

« l’incertitude ». Effectivement, le fait est que ce n’est plus tant le comportement ou les

actions du contrevenant qui vont dicter son avenir mais plutôt le regard que les intervenants vont poser sur ce comportement et sur ces actions : « le processus tel que décrit est un

système dans lequel les détenus sont dépendants à la fois du regard que leur intervenant porte sur eux, des recommandations que ce dernier va faire, et plus généralement des observations dont ils font l’objet » (Vacheret, 2006, p. 300). Ces différentes formes de

contrôle impliquent que le contrevenant respecte les règles imposées par l’institution notamment en suivant son plan correctionnel, en participant à des programmes, en adoptant un comportement conformiste.

Dans son étude précédemment développée, Cabelguen (2006) mentionne Sykes (1958), afin d’établir un lien entre le règlement de la prison avec le « mode d’organisation d’une

institution totale ». Effectivement, Cabelguen montre que la prison est, pour le détenu, un

« espace de contraintes », car tous ses déplacements, tout ce qu’il fait, le peu qu’il possède, tout ce qu’il veut acheter sont totalement contrôlés. Le contrevenant est enfermé dans un endroit clos - sa cellule -, soumis à un règlement précis qui dicte son comportement et auquel il doit se soumettre s’il veut éviter tout problème avec l’institution. Enfin, ses activités (de loisirs ou professionnelles) ne se limitent qu’à ce que l’institution propose et autorise. Par conséquent, le quotidien carcéral du détenu consiste à composer avec ce règlement que ce

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soit dans ses actions ou dans les échanges qu’il entretient avec autrui (surveillants, codétenus) : « le détenu doit donc composer à la fois avec une série de règles formelles, mais

également avec un certain nombre de règles informelles, qui s’inscrivent dans des échanges constants reposant sur des rapports interpersonnels normalisés, personnalisés, négociés ou conflictuels » (ibid, p. 2). Dans la suite de son étude, Cabelguen (2006) montre que l’attitude

des détenus face au règlement dépend également du degré d’application du pouvoir de l’autorité carcérale (surveillants et directeur notamment) au cœur de la prison, donc du niveau de coercition de l’établissement (niveau de sécurité). En somme, d’après lui « plus le

milieu sera organisé et/ou non coercitif, plus les détenus vont montrer des formes adaptatives plus individualistes et atomisées » (ibid, p .12), et donc moins il y a aura de

tensions. Ce qui signifie, à contrario, que moins le milieu sera organisé, plus les détenus risqueront d’adopter un comportement de rébellion ou de résistance, puisque d’après Cabelguen, comme le soulève Foucault (1975) « là où il y a pouvoir, il y a résistance » (p. 12). C’est donc un milieu dans lequel les tensions sont davantage présentes et sont à même de mener à des conflits.

Dans la même perspective, Chauvenet (2010) montre que les détenus sont soumis à une « règle pénitentiaire » qui dicte et encadre leur comportement, tout ce qui n’est pas autorisé étant défendu, cette règle permet ainsi aux représentants de l’autorité carcérale – surveillants, directeur - de garder le contrôle : « la règle pénitentiaire vise en premier lieu leur limitation,

sinon leur interdiction, pour éviter que les détenus ne deviennent un pouvoir » (p. 48). Selon

l’auteure, cette règlementation s’inscrit dans le prolongement du processus de surveillance omniprésente, processus dicté par le fonctionnement de l’institution carcérale. Chauvenet indique que ce qui est attendu de la personne contrevenante, est qu’elle adopte un « bon

comportement », et ce, en se soumettant à l’autorité carcérale. En somme, la soumission à

l’autorité ainsi que la relation « sécuritaire » qui s’instaurent entre les détenus et les surveillants font naître chez les contrevenants, une « peur », une « méfiance », voire une « paranoïa » (Chauvenet, 2010).

En détention, les surveillants étant l’un des principaux représentants de l’autorité, il incombe de traiter de la question de la relation entre surveillants et détenus (Lemire, 1981 ; Vacheret, 2002). Dans son étude, Vacheret (2002) a réalisé, dans deux pénitenciers canadiens, à sécurité moyenne, pour hommes une observation de trois mois « sur la base d’une présence

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quotidienne régulière, jours, soirs et fins de semaine » (p. 84), une trentaine d’entrevues

auprès de détenus incarcérés pour une peine allant de 2 ans à la perpétuité, et 26 entrevues avec des surveillants. Son étude vise à saisir « les interactions sociales survenant en prison ». D’après elle, l’analyse de la relation entre les surveillants et les contrevenants est « une des

clés de la compréhension de l’univers carcéral » (p. 83). La relation entre surveillants et

détenus est d’abord marquée par une « distance » et/ou une « séparation physique » qui sont liées au fonctionnement même de l’institution carcérale. Cette séparation physique est d’autant plus accentuée par la position de surveillance constante que les gardiens sont tenus d’occuper. Selon Vacheret, les surveillants et les détenus entretiennent un rapport « mutuel » de surveillance car l’un comme l’autre observe, épie les mouvements de l’autre. Alors que les gardiens exercent une surveillance à la fois « permanente » et « élargie » qui comprend « l’observation des faits et gestes des détenus, l’enregistrement des moindres évènements de

leur vie, la connaissance de leur dossier et l’intrusion dans l’intimité des personnes observées » (p. 86) ; les contrevenants, quant à eux, « écoutent, enregistrent et se communiquent les façons de faire des membres du personnel » (Vacheret, 2002, p. 86). Par

conséquent, les tensions sont fortes entre les deux acteurs en particulier car chacun à des moyens de pression à l’égard de l’autre, et parce que « l’action de l’un entraine une réaction

de la part de l’autre et ainsi de suite » (p. 91). Parallèlement, dans un objectif de maintien

de l’ordre, la mise en place d’une coopération entre gardiens et détenus a son avantage. En dépit de la surveillance mutuelle, il existe alors une « interdépendance mutuelle » qui consiste à développer non plus des rapports d’ignorance et de tension mais des relations « d’échanges et de bons procédés » (p. 92). Chacun y trouve alors son compte et l’ordre est maintenu entre les murs.