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3. Le vécu en détention : s’adapter à la prison

3.3. Les modèles d’adaptation

Comme nous venons de le présenter, la personne contrevenante, dans son quotidien carcéral, doit combiner la promiscuité d’autrui (Chauvenet, 2010 ; Gendron, 2010 ; Le Caisne, 2004 ; Léon et Denans, 2014) et l’omniprésence du contrôle (Cabelguen, 2006 ; Chauvenet, 2010 ; Vacheret 2002, 2006). Il s’agit, désormais, de présenter les modèles d’adaptation que le détenu va adopter face à ces deux éléments (Chauvenet, 2010 ; Clemmer, 1940 ; Gendron, 2010 ; Lhuilier, 2001 ; Vacheret, 2002).

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3.3.1. Prisonniérisation

L’étude de Clemmer (1940) relative à l’influence que le milieu carcéral a sur le détenu, permet de présenter le premier modèle d’adaptation. La prisonniérisation se caractérise par l’assimilation du détenu par le milieu carcéral. L’adaptation du détenu à la prison, notamment à son caractère hostile, se réalise dans l’adoption de nouvelles habitudes de vie et dans l’adhésion de nouvelles valeurs. Lors de son incarcération, tout détenu semble à des degrés différents, subir l’effet de la prisonniérisation.

Déshumanisée, contrainte de cohabiter avec d’autres, coupée du monde extérieur, la personne contrevenante ne vit pas seulement son incarcération, elle y survit. Dès lors, la prisonniérisation semble répondre à ce besoin de survie (Clemmer, 1940). Ainsi, le contrevenant se rend compte de l’avantage de trouver un emploi en détention, de s’affilier à un groupe de pairs. Il est de ce fait capable de « faire son temps » avec l’appui et le soutien d’autres contrevenants ; et ce, dans l’attente d’être libéré.

La prisonniérisation est également mise en valeur par le fossé visible qui se forme entre les gardiens et les détenus (Gendron, 2010). La méfiance d’un groupe envers l’autre accentue l’écart déjà présent entre ces deux acteurs et vient nourrir l’effet de la prisonniérisation. Il devient dès lors possible d’observer l’opposition de deux mondes qui coexistent au sein du même milieu, le monde fort des gardiens face au monde inférieur des détenus. Devant cette opposition, la prisonniérisation qui privilégie la solidarité entre détenus, est d’autant plus valorisée (Clemmer, 1940).

Dans ce contexte, la prisonniérisation est assimilable à une adaptation socialisante, qui s’observe notamment dans la solidarité qui se construit entre groupes de pairs. Finalement, l’incarcération de l’individu est marquée par un ajustement constant de son vécu relativement à l’environnement carcéral. De manière réciproque, l’environnement carcéral est sujet à des changements suivant les besoins de l’individu (Clemmer, 1940). Inspirée par les travaux de Clemmer, l’étude de Wheeler (1961) vient appuyer l’ajustement constant du contrevenant lors de son temps en détention. Il évoque alors la prisonniérisation sous la forme d’une courbe en U et évalue l’effet le plus fort de celle-ci lors de la phase centrale de l’incarcération.

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3.3.2. Conformisme

Le conformisme se caractérise par l’assimilation de la personne contrevenante à l’environnement hostile du milieu carcéral, par une forme de soumission ou d’acceptation au système organisationnel imposé par l’autorité (Vacheret, 2002). Dès lors, elle accepte de se conformer au règlement, plus précisément en agissant dans le respect des contraintes imposées par le milieu carcéral. Le détenu conformiste est celui qui s’adapte et qui « répond

aux attentes de l’institution, qui se conforme aux normes du rôle prescrit » (Lhuilier, 2001,

p. 22).

L’adaptation du détenu à la prison est caractérisée par une participation active aux programmes correctionnels offerts entre les murs ainsi qu’à une adhésion aux valeurs de réinsertion sociale. La personne contrevenante souhaite « tuer le temps » sans se créer de problèmes afin de préparer au mieux sa sortie, sans retomber dans les travers de la délinquance. Dans une étude sur les établissements de détention en France, Rostaing (1997) établit que l’implication de la personne contrevenante dans le respect des règlements et de l’autorité notamment, est comparable à une attitude de participation.

Le conformisme est également mis en valeur par une entente entre les gardiens et les détenus (Vacheret, 2002). Le détenu conformiste, reconnaissant la proximité physique des gardiens, va choisir de répondre par la coopération plutôt que par la méfiance. C’est finalement par la tolérance du gardien qu’il est possible d’observer le conformisme du détenu (Vacheret, 2002). Dès lors, cette situation de réciprocité va permettre l’instauration d’une relation d’échange. Dans ce contexte, le conformisme est assimilable à une adaptation intégrative ou d’intégration, qui s’observe dans le respect et la conformité du détenu à l’égard des règles et de l’autorité du milieu carcéral (Vacheret, 2002).

3.3.3. Isolement

L’isolement se définit comme l’adaptation ou l’ajustement de la personne contrevenante à l’environnement hostile du milieu, par un retrait volontaire du milieu carcéral (Chantraine, 2004). Le retrait volontaire est principalement comparable à un refus de contacts avec autrui, tant avec les autres détenus qu’avec les gardiens. Contrairement aux deux autres modèles précédemment présentés, l’isolement est un processus d’adaptation individuel, par lequel le

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détenu s’isole délibérément (Vacheret, 2006). Cet isolement consiste principalement à rester enfermé dans sa cellule et à éviter les espaces communs et les activités offertes au sein de la prison (Vacheret, 2006).

Dans leur ouvrage Anatomie de la prison contemporaine, Vacheret et Lemire (2007) distinguent deux retraits en ce qui a trait au modèle d’isolement. Dans un premier temps, il est possible d’observer un retrait psychologique qui est à la fois caractéristique d’un désir de fuite (Vacheret et Lemire, 2007). La fuite prend sa source dans la recherche de l’évasion à la fois physique et mentale, le désir du détenu étant d’oublier qu’il est en détention. Ce désir d’oubli est aussi recherché dans la consommation abusive de drogue et/ou de médicaments. Dans un second temps, il est possible d’identifier un retrait physique de la personne contrevenante. Celui-ci est caractérisé par l’autodestruction, prenant souvent la forme d’automutilations, et de manière plus dramatique conduit au suicide (Vacheret et Lemire, 2007).

Finalement, ce retrait volontaire marque l’inadaptation de la personne contrevenante au milieu carcéral notamment car elle est incapable d’accepter le délit commis ou de s’adapter du fait de difficultés personnelles. L’incarcération de cette personne est alors vécue dans la plus grande peur : une peur du milieu et de son caractère hostile ; une peur des autres à la fois si proches (promiscuité physique et spatiale) et si différents (type de délits et antécédents criminels) ; enfin, une peur de l’avenir entre et au-delà des murs (Chauvenet, 2010). Devant cette peur, la personne contrevenante adopte, au quotidien, une attitude de laisser-aller, considérant alors le temps comme immobile.