1.2 Dynamique de recombinaison de l’exciton
1.2.1 Rendement radiatif faible
La probabilité d’émission d’un photon par recombinaison d’un exciton est carac-térisée par le rendement radiatif :
η= γR
γR+ γN R
, (1.49)
où γR est le taux de désexcitation radiative de l’exciton, lié à son temps de vie ra-diatif intrinsèque τR = 1
γR, et γN R est son taux de désexcitation non-radiative (voir
Fig. 1.17). Le taux γN Rrend compte de l’occurrence de mécanismes de recombinaison
non-radiative comme par exemple l’émission de phonons, une recombinaison sur un défaut non-radiatif ou encore le transfert de charges du nanotube vers
l’environne-ment. Le rapport 1
γR+γN R = τexp correspond ainsi au temps de relaxation, c’est-à-dire le temps effectif au bout duquel le nanotube retrouve son état fondamental après
avoir été excité optiquement. Il est possible de mesurer τexp par exemple par des
expériences de spectroscopie de photoluminescence résolue en temps.
L’équation (1.49) peut être réécrite en terme de ces différentes temps caractéris-tiques :
˜
S
22γ
N Rγ
R˜
S
11N
absN
radγ
outFigure 1.17 – Représentation du processus de photoluminescence du nanotube de
carbone en compétition avec le processus de relaxation non radiative dont le taux est γN R.
L’évaluation de η est délicate. Une quantité moins difficile à évaluer expérimen-talement est le rendement quantique (RQ) de photoluminescence d’un nanotube. Il
est défini par le rapport entre le nombre de photons absorbés Nabs et le nombre de
photons ré-émis Nradpar le nanotube (cf. Fig. 1.17). À noter que l’estimation du RQ
s’effectue en excitant à plus haute énergie (absorption de ˜S22) que la luminescence
des nanotubes (émission de ˜S11). Ceci introduit une dépendance du RQ en fonction
du taux de désexcitation non-radiative γ21 entre l’exciton ˜S22 et l’exciton ˜S11 (cf. Fig. 1.17).
La première expérience, en 2002, capable de mesurer le RQ de photoluminescence du nanotube de carbone, a été peu encourageante en déterminant une valeur très
faible, légèrement inférieur à 10−3 [6]. L’année suivante, une autre mesure du RQ a
été réalisée et a conduit à une valeur de l’ordre de 10−3[43]. Nous verrons par la suite que le RQ est en réalité très variable selon la méthode de fabrication du nanotube. L’isolement de ce dernier, par rapport à son environnement microscopique, induit également de fortes variations du RQ.
La mesure du rendement quantique RQ permet seulement de donner une borne inférieure à la valeur de η, puisque le taux de désexcitation non-radiative γ21 n’est pas connu. En effet, η = RQ si γ21>>γ out, où γout est le taux de désexcitation de l’exciton ˜S22 vers tout autre état final que l’exciton ˜S11 (cf. Fig. 1.17). Pour tenter d’obtenir une valeur plus précise de η, et donner les ordres de grandeurs des temps caractéristiques apparaissant dans (1.50), nous allons nous intéresser à l’évaluation expérimentale de τexp et au calcul théorique de τR.
Nous avons évoqué le fait que le temps de relaxation τexp peut être estimé de
manière directe par des expériences de photoluminescence résolues dans le temps. En effet le temps de déclin de la photoluminescence correspond au temps caractéristique de relaxation de la population d’excitons photo-excités. La Fig. 1.18 montre le temps
est de l’ordre de la dizaine de picosecondes. La plupart des expériences recensées
jusqu’en 20052 ont d’ailleurs montré que le temps de déclin de la photoluminescence
des nanotubes de carbone varie de la dizaine à la centaine de picosecondes [44, 45, 46, 47].
Figure 1.18 – Déclin de la
fluores-cence d’un ensemble de nanotubes de carbone. La courbe épaisse et lisse cor-respond à l’ajustement d’une exponen-tiel décroissante. Le trait pointillé cor-respond à la réponse impulsionnelle du système. D’après [47]
Figure 1.19 – Signal pompe-sonde
résolu en temps de nanotubes de carbones. Relaxation de la
transition excitonique S˜11 à une
longueur d’onde de 1550 nm (en noir) et de la transition
excito-nique ˜S22 à une longueur d’onde
de 844 nm (en gris). D’après [48].
L’évaluation de τexp peut également être obtenue par des expériences de type
pompe-sonde résolues en temps. Elles sont particulièrement adaptées au cas précis où η<< 1. En effet elles permettent d’avoir accès au temps de vie de l’exciton par des techniques d’absorption et ne nécessitent pas de collecter les photons émis par le nanotube. La Fig. 1.19 montre le signal non-linéaire obtenu par ce type d’expé-riences sur un ensemble de nanotubes. La variation de transmission normalisée est représentée en fonction du délai entre l’impulsion de pompe et l’impulsion de sonde. La décroissance du signal à une longueur d’onde de 844 nm (en gris) représente la relaxation de la population d’exciton ˜S22, pompée par la première impulsion laser. La décroissance du signal à 1550 nm (en noir) représente la relaxation de la popu-lation de l’exciton ˜S11, qui a été créé en premier lieu par la relaxation des excitons
˜
S22. Le temps de relaxation τexp de l’exciton ˜S11 apparaît extrêmement rapide : de l’ordre de la picoseconde ou de la dizaine de picosecondes [48]. Une autre expérience
de type pompe-sonde a observé un temps de relaxation de l’exciton ˜S11 de l’ordre
de la dizaine de picosecondes [49].
La variabilité du temps caractéristique τexp d’une expérience à une autre (sur un ordre de grandeur), ou d’un nanotube à l’autre au sein d’une même expérience, est corrélée aux fortes variations du rendement radiatif. Remarquons pour le moment
2. Nous verrons que des techniques de fabrication différentes ont, par la suite, permis d’étendre le temps de vie excitonique.
que ceci présume une forte dépendance des propriétés excitoniques avec l’environ-nement du nanotube.
Ces résultats sur la valeur de τexp et ses variations en fonction de l’environnement du nanotube, sont appuyés par des calculs ab initio. Ces derniers ont déterminé des temps de décroissance de la fluorescence d’environ 150 ps dans un nanotube parfait (sans défaut et sans environnement), contre 10 ps dans un nanotube comportant des défauts qui localisent l’exciton [50]. La localisation de l’exciton assure que le pa-quet d’onde associé possède des composantes respectant la règle de sélection optique (K ≈ 0), ce qui diminue significativement le temps de vie excitonique.
Il nous reste à discuter de la valeur de τR. Celle-ci ne peut être mesurée
di-rectement. Le temps de vie intrinsèque de recombinaison d’un seul exciton a été calculé comme étant de l’ordre de la centaine de nanosecondes [47], à température ambiante. D’autres calculs théoriques plus aboutis que ceux de la référence [47] ont
déterminé le temps de vie τR. Par exemple, en prenant en compte la distribution des
excitons dans l’espace des K (dont seule une petite proportion s’accorde à la règle de sélection optique K ≈ 0) ainsi qu’une distribution d’excitons brillants et noirs
thermalisés à température ambiante, le temps de vie τR est évalué à la dizaine de
nanosecondes [51].
Les calculs théoriques de τR et les mesures expérimentales de τexp permettent
d’estimer le rendement radiatif η comme étant de l’ordre de 10−3. Nous avons
men-tionné le fait que le temps de relaxation τexp est fortement augmenté lorsque le
couplage du nanotube avec l’environnement est diminué. Ceci laisse présumer que la limite τexp ≈ τR, c’est-à-dire η ≈ 1, puisse être approchée en isolant le nanotube de son environnement. Cependant, des interactions et des canaux de désexcitation non-radiative, intrinsèquement liés à la physique interne du nanotube, limitent égale-ment le rendeégale-ment radiatif du nanotube. Nous allons passer en revue les propriétés de l’exciton, en particulier ses interactions au sein du nanotube (interactions exciton-exciton et exciton-exciton-phonon) et ses couplages avec l’environnement, pour montrer comment ces différentes interactions affectent son rendement radiatif.