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B La renaissance de l’atteinte au corps

Dans le document Le corps humain en droit criminel (Page 35-38)

La disparition de ces diverses atteintes physiques à la personne afin d’obtenir une « vérité » judiciaire n’a pas été sans affecter les moyens de preuves. Ceux-ci sont donc aujourd’hui différents, mais portent toujours une atteinte au corps, tout autre cependant, il faut bien en convenir. La science a été pour la recherche de la preuve d’un apport considérable (1), et les caractéristiques physiques de l’Homme constituent parfois un aveu du corps (2).

1 - LE CORPS HUMAIN COMME CHAMP D’INVESTIGATION SCIENTIFIQUE

Pour reprendre l’expression de Mme AMBROISE – CASTEROT, « autrefois, on

torturait le corps pour obtenir l’aveu, donné par la bouche. Aujourd’hui, on effleure la bouche d’un petit bâtonnet afin d’obtenir la vérité que contient le corps ».53 Le corps humain est devenu le nouveau terrain des investigations pénales, en ce que la qualité des preuves qu’il délivre est indéniable. Bien que le juge n’y soit pas tenu, ces preuves corporelles jouissent d’un crédit irréfutable. Au 19ème siècle, la rationalité scientifique l’emporte définitivement sur l’irrationnel et le religieux. Devant les différentes méthodes faisant leur entrée sur la scène judiciaire (empreintes génétiques, prises de sang, taux d’alcool dans l’air expiré, examen médical…), la doctrine, notamment MELLOR, MERLE, LARGUIER, s’interroge : alors que la justice a un pouvoir sur les biens de la personne (perquisitions, saisie…), elle « ne peut rien

sur son corps. Elle ne peut le frapper ; elle ne peut d’avantage lui extraire par effraction les

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Art 222-1 CP

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PIDCP, 1966 ; Convention de Genève de 1949 ; Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruel, inhumains ou dégradants, 1984…

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AMBROISE-CASTEROT, « La personne soupçonnée ou condamnée face aux soins ou vérifications sur sa personne », RDSS 2008,p.66

secrets que recèle sa constitution biologique »54. Et pourtant, c’est ce que le Code de Procédure Pénale prévoit. Le progrès scientifique a ainsi développé de nouvelles méthodes d’investigations. Ainsi, l’air expiré, ou encore l’analyse du cheveu permettra de constater une consommation d’alcool, ou de stupéfiants. Le questionnement génétique, quant à lui, est inconnu de la justice jusqu’aux années 1990, et fait son apparition avec la loi du 29 juillet 1994 sur la bioéthique. Paradoxalement, c’est d’abord l’article 16-11 du Code Civil qui lui apporte une existence pénale, en offrant la possibilité de prélever les empreintes génétiques dans le cadre d’une information judiciaire. Le parlement adopte finalement une législation spécifique, avec la loi du 17 juin 1998, qui insère le prélèvement des empreintes génétiques dans le Code Pénal, dans la partie relative au fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Ce dernier est une véritable base de données permettant une identification génétique des individus condamnés, ou même soupçonnés, pour un nombre déterminé d’infractions. Cependant, cette liste est telle qu’elle vise la grande majorité des infractions existantes. Parmi les prélèvements que l’on peut qualifier d’internes, il existe également la prise de sang. Si celle-ci peut être refusée pour la plupart des infractions, elle ne peut l’être en cas d’infraction de nature sexuelle (le but étant de protéger la victime d’une éventuelle contamination). La question du consentement est centrale, en ce que la justice française reconnaît le droit de ne pas s’auto-incriminer, et le droit à l’intégrité corporelle, ceux-ci étant en contradiction avec l’impératif de recherche de la preuve nécessaire à la résolution de l’affaire. Ce difficile équilibre à prendre en considération explique la solution quelque peu artificielle qui a été adoptée : dans la majorité des cas (celui des infractions sexuelles mis à part), le consentement est nécessaire, l’individu est donc libre de consentir à de telles mesures d’investigations. Pourtant, cette liberté est toute relative, le refus étant pénalement sanctionné. A titre d’exemple, le refus de se prêter à une analyse d’haleine ou sanguine dans le cadre d’une infraction au code de la route est érigé en infraction pénale. De même, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000€ d’amende, au titre de l’article 55-1 CPP, le refus d’une personne soupçonnée de se soumettre aux prélèvements externes nécessaires. Concernant les empreintes génétiques, le législateur va plus loin : une personne condamnée à une peine d’au moins dix ans d’emprisonnement doit, sur l’autorisation du procureur, se soumettre au prélèvement biologique, sans pouvoir s’y opposer (quant aux suspects, ils peuvent toujours refuser, mais risquent ici aussi un an de prison et 15000€ d’amende55). De ces diverses illustrations, il ressort que le corps peut être un véritable « traitre » pour la personne qui l’habite, et une manne d’informations sans pareille pour la

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MERLE, Le corps humain, la justice pénale et les experts, JCP 1955. I. 1219, n° 4 et n° 6

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justice. Alors que la jurisprudence prohibe le recours à l’hypnose pour obtenir l’aveu, car cette pratique consiste à extraire la vérité sans le consentement libre et éclairé de la personne suspectée, les méthodes de recherche scientifique parviennent à ce même résultat paradoxal : l’aveu corporel sans l’approbation de son auteur.

2 - LA RECHERCHE DE LA PREUVE PAR LE PHYSIQUE

La recherche de la preuve peut s’effectuer par le « physique », dans les deux sens du terme. En effet, d’une part, l’apparence physique va pouvoir confondre le suspect, et d’autre part, le contact physique pourra également apporter des éléments de preuve.

C’est tout d’abord l’anthropométrie (du grec anthrôpos, Homme, et Metron, Mesure) qui apparaît. Méthode d’identification la plus ancienne, fondée sur une étude de QUETELET, en 1870, reprise par BERTILLON, c’est une technique de mesure des particularités dimensionnelles de l’homme. Par ses premiers travaux, BERTILLON créé le « bureau d’identité », en 1882, à la préfecture de Police de Paris. L’année d’après, le service d’identité judiciaire naît, avec pour outil les données anthropométriques et les photographies. En 1894, le recours aux empreintes digitales intègre au processus d’identification judiciaire. Le corps de l’homme est donc devenu l’outil de la police.

Cette affirmation est d’autant plus vraie que le corps va pouvoir être « mis à nu » par la fouille corporelle afin qu’il révèle l’existence d’une infraction. Le terme « fouille » recouvre différentes hypothèses, plus ou moins attentatoires au corps. Si la fouille par palpation, n’impliquant aucun déshabillement, n’est que relativement attentatoire à l’intimité, il en va différemment de la fouille intégrale, et surtout des investigations corporelles internes56. Ces fouilles vont pouvoir être pratiquées par la police, la gendarmerie, la douane, et surtout par l’administration pénitentiaire. Si l’on observe les différents fondements textuels consacrant ces méthodes, on constate qu’il existe une sorte de « chaos juridique ». En effet, alors qu’en droit pénitentiaire, la circulaire du 14 mai 1986 règlemente les fouilles par palpations et les fouilles intégrales, rien ne porte sur les investigations internes, pourtant utilisées en milieu carcéral, et plus attentatoires au corps. A l’inverse, dans la police, aucun texte ne vient fonder véritablement les fouilles intégrales, alors qu’une loi prévoit le

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déroulement des fouilles anales57. Ce désordre textuel est d’autant plus dommageable que ces fouilles corporelles portent véritablement une atteinte au corps. Il était donc indispensable que la réglementation des fouilles corporelles internes, en milieu carcéral, soit établie, ce qui est désormais fait, avec l’article 24 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Celui-ci vient autoriser l’investigation corporelle interne lorsqu’elle pratiquée par un médecin requis par l’autorité judiciaire à cet effet (cela ne venant que sceller juridiquement une pratique déjà existante). Bien que la loi commence à règlementer cette pratique, elle n’en demeure pas moins attentatoire au corps. Si la fouille intégrale proscrit tout contact avec le corps, elle implique néanmoins une dénudation complète, ainsi que l’examen de la bouche, de la chevelure, et également de l’anus (la personne devant se pencher et tousser, pour vérifier qu’il n’y a rien dissimulé), examen qui doit être réalisé « minutieusement »58. Si cette méthode conduit à une atteinte à la dignité et à l’intimité, les investigations corporelles internes, elles, constituent une véritable atteinte à l’intégrité. Malgré le refus (juridiquement fondé, de part l’absence de l’élément moral) de la cour de cassation59 et de la CEDH60, de considérer ces fouilles internes comme une agression sexuelle, il est vrai que, cette tâche, même pratiquée par un médecin, vient faire du corps un objet que l’on peut inspecter.

Il est désormais évident que le corps est devenu un outil de la répression. Mais il est également le moyen de cette répression, et ce depuis l’existence même de la justice, privée comme étatique.

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