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A – L’enfant à naître : un outil utile

Dans le document Le corps humain en droit criminel (Page 52-55)

Le corps n’est pas, en droit pénal, une valeur protégée mais il peut être instrumentalisé. Ces réflexions générales développées précédemment trouvent également un écho en ce qui

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RASSAT, « L’enfant à naître peut – il être victime d’un homicide involontaire ? L’Assemblée plénière de la Cour de cassation prend position », JCP 2001, p1432

concerne l’enfant à naître. En effet, ne jouissant ni de la qualité de personne, ni de celle de chose, il n’est pas protégé, mais instrumentalisé, que ce soit pour la médecine (1) ou pour autrui (2).

1 – UN INSTRUMENT DE RECHERCHE

Le principe de respect de la vie humaine dès son commencement subit une nouvelle transgression par les recherches qui peuvent être menées sur l’embryon. La loi bioéthique du 29 juillet 1994 proscrivait de telles recherches, ne laissant place qu’à la possibilité d’ « étudier » l’embryon, impliquant que celui – ci ne subira pas d’atteinte. La brèche ouverte par cette notion d’ « étude », peu différente finalement de celle de « recherche », s’est étendue avec la loi bioéthique du 6 août 2004. Si elle pose une interdiction de principe quant à la recherche sur l’embryon, elle l’écarte aussitôt pour lui laisser une place, dans des conditions précises. Cela se traduit par la rédaction de l’article 511-19 CP, selon lequel « le fait de

procéder à une étude ou une recherche sur l’embryon humain : sans avoir préalablement obtenu le consentement écrit et l’autorisation […] et sans se conformer aux prescriptions législatives et réglementaires […] est puni de sept ans et 100 000 € d’amende. »

L’autorisation de ces recherches est donc le principe, l’interdiction n’intervient que si toutes les conditions ne sont pas remplies. Pour être permise, la recherche doit avoir pour but de réaliser des « progrès thérapeutiques majeurs ». En outre, elle ne peut en aucun cas permettre la constitution d’embryon aux seules fins de recherches. Si ce procédé est permis pour l’assistance médicale à la procréation (AMP), car l’embryon est alors un moyen, mais qui a une fin (sa naissance), il ne peut être toléré lorsque l’embryon n’est qu’un moyen sans fin, si ce n’est une contribution à la science en général. La recherche sur l’embryon répond en effet à des considérations utilitaristes, qui mènent à la négation de toute qualité d’ « être humain ». Pourtant, elle est nécessaire aux progrès de la médecine. La science n’est pas la seule à pouvoir tirer un intérêt de ces éléments inclassables que sont les embryons. En effet, ils peuvent permettre de sauver un être qui, lui, vit déjà.

2 - UN INSTRUMENT DE SURVIE

Le mécanisme du « bébé-médicament » est issu d’un amendement parlementaire déposé in extremis, intégrant ce procédé dans la loi du 6 août 2004 (contre l’avis du ministre de la santé, M. MATTEI). Il consiste à « fabriquer » un enfant afin de guérir son ainé qui est atteint d’une maladie permettant le recours à cette pratique. Le recours à deux procédés est

requis : l’AMP, permettant la fabrication des embryons ; et le diagnostic préimplantatoire (DPI), couplé d’une HLA (« antigène d'histocompatibilité lymphocytaire », pour vérifier la compatibilité), afin de choisir celui qui sera le plus à même de guérir l’enfant malade. C’est, comme le soulève M. ARDUIN85, une « pratique [dont la législation] est doublement

dérogatoire ». En effet, le décret d’application publié le 23 décembre 2006 prévoit qu’il ne

peut être envisagé qu’ « à titre expérimental » et « par dérogation au diagnostic préimplantatoire ». Or, ce DPI avait lui-même été légalisé par la loi bioéthique de 1994 qu’à « titre exceptionnel ». Ainsi, le recours au « bébé-médicament » peut n’être qu’ « exceptionnellement » admis, et en plus implique un dispositif qui n’est qu’ « exceptionnellement » toléré. La légitimité du procédé est donc discutable. Ceci est d’autant plus vrai que l’on sait, en recourant à ce procédé, que les embryons inutiles car non compatibles seront éliminés. Contrairement à l’AMP, qui prévoit la création d’embryons qui feront l’objet, en théorie, d’un projet parental (par les parents biologiques ou non), la fabrication des embryons dans le cadre du processus de « bébé-médicament » entraine la destruction des embryons que l’on a créé en sachant pertinemment quel sera leur sort. Pourquoi interdire alors la construction d’embryons voués à disparaître pour la recherche, alors que cela est permis pour ce procédé du bébé dit médicament ? En effet, pour un embryon sain et compatible, ce serait 30 embryons qui seraient supprimés environ. Aujourd’hui, cinq « bébés médicaments » seraient nés, et 195 embryons « assassinés », si l’on peut emprunter ce vocabulaire juridique aux atteintes à la vie des « personnes ». Dès lors, la compatibilité d’un embryon est doublement utile à la survie : à la sienne d’une part, et à celle de l’enfant malade d’autre part. Cette « instrumentalisation » de l’enfant à naître n’a pas échappé au Conseil d’Etat qui, dans une étude publiée le 6 mai 200986, préconise, après une prorogation du dispositif pour cinq ans de plus, de décider de son maintien ou de sa suppression. Il estime en effet que « l’enfant doit venir au monde d’abord pour lui-même ».

L’instrumentalisation de l’enfant à naître, s’il nie sa qualité d’être humain, permet donc d’aider la médecine, et surtout parfois, de « sauver une fratrie ». C’est en réalité au regard de sa finalité que le sort d’un embryon se joue, et non au regard de sa nature. En effet, s’il n’a aucune utilité et ne peut prétendre faire l’objet d’un projet parental, il sera détruit.

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ARDUIN Pierre-Olivier, « Bébé-médicament ou bébé-instrument ? », dans « Liberté Politique », 1er octobre 2009

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« La révision des lois bioéthiques » dans « Les études du Conseil d’Etat », 6 mai 2009, étude de l’Assemblée générale plénière

Dans le document Le corps humain en droit criminel (Page 52-55)