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A – L’existence d’atteintes justifiées

Dans le document Le corps humain en droit criminel (Page 60-62)

Le cadavre peut faire l’objet d’atteintes, ou du moins peut ne pas être préservé, tant pour les besoins d’une bonne justice (1) que pour l’intérêt thérapeutique d’autrui (2).

1 – L’ATTEINTE AU CADAVRE DANS L’INTERET DE LA JUSTICE

Il peut parfois être nécessaire de porter une atteinte à l’intégrité physique du cadavre. En effet, la justice, par exemple, peut, dans le cadre d’une enquête ou sur l’ordre du juge d’instruction, demander à ce qu’il soit procédé à une autopsie judiciaire afin de déterminer les circonstances de la mort. Dans ce cadre, il existe un vide juridique, dénoncé par le médiateur de la République. En effet, alors que, dans le cadre des autopsies médicales (c'est-à-dire le prélèvement d’organes à des fins thérapeutiques ou scientifiques), l’article 1232-5 CSP impose au médecin « de s'assurer de la meilleure restauration possible du corps », aucune disposition similaire n’existe concernant l’autopsie judiciaire, ni dans le Code de la santé publique, ni dans le Code de procédure pénale. La pratique révèle alors que dans la plupart des cas, les cadavres sont restitués dans un état déplorable, sans même avoir été recousu, et ne peuvent parfois même plus faire l’objet d’une reconnaissance par les proches. De même, aucun délai de restitution du corps n’est posé, et le devenir des organes prélevés n’est pas règlementé. Comme le soulève M. RICOUR, directeur du pôle de santé et sécurité des soins, "l'autopsie est déjà une atteinte à l'intégrité du cadavre, on ne peut pas ajouter de l'insulte à

la blessure"92.

La justice interdit même parfois la préservation de l’intégrité corporelle du cadavre. Ce n’est plus elle qui y porte atteinte, mais elle empêche que celui-ci soit conservé de façon à ne pas se dégrader. Ainsi, indirectement le Code pénal vient – il sanctionner la pratique de la cryogénisation des corps. En effet, aux termes de l’article 433-21-1 CP, « toute personne qui

donne aux funérailles un caractère contraire à la volonté du défunt ou à une décision judiciaire, volonté ou décision dont elle à connaissance, sera puni de 6 mois d’emprisonnement et de 7500€ d’amende ». Ainsi, si une décision de justice est rendue

concernant la cryogénisation d’un cadavre (interdite en France), et qu’elle est outrepassée, une sanction pénale est encourue. La préservation de l’ordre public prime alors sur la

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protection du cadavre et la liberté des personnes de choisir leur mode de sépulture, protégée par l’article 9 de la CEDH93.

Enfin, l’article 434-7 CP, sanctionnant le fait de « receler ou de cacher le cadavre d’une personne » n’apporte pas une protection supplémentaire au corps sans vie. En effet, il a pour objet de permettre l’action de la justice, et ne vise donc pas à empêcher une atteinte au corps humain.

2 – L’ATTEINTE AU CADAVRE DANS L’INTERET DU TIERS

L’intervention du législateur peut parfois suffire à résoudre, ou du moins contribuer à la résolution d’un problème de société. Les progrès de la médecine ont permis aux malades de profiter de greffes, indispensables à leur survie. La demande est cependant beaucoup plus élevée que l’offre, sachant que l’immense majorité des organes prélevés (95 %) proviennent de personnes décédées. Or, au regard des principes d’indisponibilité et d’inviolabilité du corps humain, le transfert d’organes d’un corps à un autre ne va pas sans soulever de difficultés. En 1968, M. SAVATIER René affirmait déjà que « ce n’est pas manquer de respect à un

cadavre, que d’en relativiser des éléments, en les greffant sur un homme à sauver. Car dans la hiérarchie des valeurs, celles que l’on sauve sur l’homme vivant, personnifiant l’esprit, priment sur celles du cadavre qui, déserté par l’esprit, va retourner à la poussière »94. Ainsi, dès 1976, la loi Caillavet institue une présomption de consentement au prélèvement d’organes sur le cadavre d’une personne majeure et capable : « des prélèvements peuvent être

effectués à des fins thérapeutiques ou scientifiques sur le cadavre d'une personne n'ayant pas fait connaître de son vivant son refus d'un tel prélèvement. » Ce principe est repris par la loi

du 29 juillet 1994, selon laquelle « ce prélèvement peut être pratiqué dès lors que la personne

n'a pas fait connaître, de son vivant, son refus d'un tel prélèvement ». Une différence est

cependant apparue en ce que les lois bioéthiques ont accordé un certain pouvoir à la famille (dans la loi de 1994) et désormais, aux « proches » du défunt (dans la loi de 2004), qui peuvent confirmer ou infirmer la présomption de consentement. Aujourd’hui, cette formule apparaît donc à l’article 1232-1 CSP. L’adage noli me tangere est écarté de droit, sauf à ce que le défunt ait exprimé son opposition au prélèvement de ses organes, en s’inscrivant dans le registre national des refus. Dans ce cadre, le prélèvement d’organes ne peut donner lieu qu’à de rares poursuites pénales, sauf à ce que le refus inscrit dans le registre national ait été outrepassé. L’article 511-7 CP prévoit une sanction spécifique lorsque l’établissement ayant effectué le prélèvement n’y était pas habilité. L’article 511-5-1 CP protégeant de façon plus

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Voir à ce sujet l’arrêt Martinot, rendu le 6 janvier 2006 par le Conseil d’Etat

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générale le corps sur lequel seront effectués des prélèvements à des fins scientifiques ne peut trouver à s’appliquer, en ce qu’il ne s’agit pas ici de prélèvement ayant une visée « thérapeutique ». Ainsi, seul l’article 225-17 CP trouve à s’appliquer, de façon générale, en ce qu’il y a une atteinte à l’intégrité du cadavre, qui ne rentre pas dans le cadre de la permission de la loi. Il est à noter que l’article L1121-14 CSP, autorisant que soient effectuées des recherches biomédicales sur le corps d’un défunt lorsque celui – ci, ou son entourage, y avait consenti, écarte expressément l’application de l’article 225-17 CP (« les dispositions de

l'article 225-17 du code pénal ne sont pas applicables à ces recherches»). Ceci est regrettable

car la permission de la loi permettait d’autoriser de telles recherches, sans qu’il ne soit utile d’écarter la protection issue de l’article 225-17 CP, qui ne peut donc jouer en cas de méconnaissance des obligations liées aux recherches biomédicales.

Le corps du défunt ne bénéficie pas d’une protection aussi générale que pouvait le laisser penser l’adoption de l’article 225-17 CP. Ceci est d’autant plus vrai que certaines atteintes au corps humain ne sont pas sanctionnées, alors même que les dispositions pénales pouvaient trouver à s’appliquer.

Dans le document Le corps humain en droit criminel (Page 60-62)