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A – La disparition de l’atteinte au corps pour la recherche de la preuve

Dans le document Le corps humain en droit criminel (Page 33-35)

Du corps humain pouvait dépendre, pendant longtemps, la survie d’un homme accusé. Il pouvait être une preuve, en lui-même, de la culpabilité (1). Il pouvait également amener l’homme à reconnaître sa faute, tant la souffrance du corps peut affaiblir les convictions d’une personne (2).

1 - L’ORDALIE ET LE DUEL : LA PREUVE PAR LE CORPS

L’histoire de la justice criminelle permet de constater l’importance qui était octroyée au corps humain, véritable dispositif probatoire à l’époque franque et au moyen-âge. Le droit franc et l’ancien droit ont en effet recours à ce que l’on peut qualifier de « preuves irrationnelles », celles – ci faisant appel à Dieu et aux forces magiques. On distingue alors les ordalies, et le duel. Il s’agit de moyens de preuve, utilisés à partir de l’époque carolingienne, consistant à faire supporter une épreuve à l’accusé (ordalies simples) ou à plusieurs suspects (duel judiciaire), Dieu ou les « forces magiques » intervenant en faveur de celui qui dit la vérité.

L’ordalie suppose d’exposer le corps au feu, ou à l’eau le plus souvent. On cite souvent l’ordalie du feu, consistant à faire saisir un fer rouge à l’accusé, puis à recouvrir la main d’un pansement scellé. Au bout de 3 jours, on examine l’état de la main, et si celle-ci est en voie de guérison, l’accusé est déclaré innocent47. Les ordalies doubles, ou duels, étaient à l’origine assez modérés (par volonté de l’église), la plus commune consistant à garder les bras en croix le plus longtemps, le premier à les décroiser étant déclaré coupable48.

Les ordalies simples vont disparaître au XIIème siècle, face aux contestations univoques de l’Eglise et des juristes, dénonçant l’absence de valeur de telles preuves. Pourtant, le duel judiciaire, lui, reste la preuve privilégiée, lorsque les juges estiment ne pas avoir suffisamment de preuves rationnelles. Il peut intervenir à différentes phases du procès : au début, lorsque l’accusé répond à l’accusation par une formule de duel, ou en cours de procédure, pour empêcher à un témoin de s’exprimer par exemple. La noblesse ou la bourgeoisie combattra à cheval, le roturier, à pied, ce qui peut entrainer des inégalités. Cela est d’autant plus dangereux que, si lors d’un procès civil, le duel s’arrête dès la première blessure, il continuera jusqu’à la mort, ou la blessure mortelle, lors d’un procès pénal. L’Eglise, la bourgeoisie et l’Université (notamment les juristes, nourris de droit romain) vont

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L’expression « en mettre sa main au feu » étant issue de cette pratique.

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demander l’interdiction de cette pratique49, ce qui fût fait par une ordonnance de 1258. Le duel n’est alors plus un moyen de preuve, mais un crime.

Pendant des siècles, ce fût donc au corps de prouver l’innocence de la personne. Mais longtemps en France, il fût également utilisé afin d’obtenir la preuve suprême de la culpabilité : l’aveu.

2 - LA TORTURE : L’AVEU DU CORPS

Apparue à Rome, la torture redevient une pratique courante dans le système médiéval (à partir du XIIIème siècle), en raison de la modification du système de preuve liée à la disparition de l’ordalie et du duel. La preuve rationnelle est préférée. Le juge cherche alors à obtenir l’aveu, par tout moyen. Ce sont les tribunaux de l’inquisition qui amorcent cette pratique de la « question préparatoire ». La première référence textuelle à la torture dans un tribunal laïque apparaît en 1246. Cet usage devient une coutume. La législation royale règlemente par la suite cette pratique, dans une ordonnance de 1254 : « on ne peut soumettre à

la torture des personnes de bonne renommée que s’il y a de graves indices sur la personne ».

D’autres ordonnances vont par la suite poser des conditions, comme celle de 1315, qui impose que le crime pour lequel on recherche l’aveu soit puni de la peine de mort50, qu’il existe déjà une preuve « semi pleine » (c'est-à-dire un commencement de preuve) et que le recours à la torture soit décidé lors d’un véritable jugement. Malgré ces conditions, la torture est, au XIVème siècle, fréquemment utilisée. Les méthodes vont différer selon les provinces, car elles sont apparues localement, d’après chaque coutume. Paris use de la question par l’eau (on fait boire à l’accusé de grandes quantités d’eau), la Bretagne a recours à la question par le feu. La plupart du temps, la torture conduit à l’aveu, de part sa cruauté, et sa répétition : si l’individu n’avoue pas, ou se rétracte, la procédure peut être répétée trois fois. Cela va changer avec l’ordonnance de Saint Germain en Laye, de 1670, sous l’impulsion de Colbert, qui va en limiter l’emploi. Les conditions d’utilisation sont plus strictement réglementées, et surtout, après un aveu sous la torture, l’accusé doit confirmer son aveu lors d’un interrogatoire. En cas de rétractation, il ne peut plus être soumis à la question préparatoire. Alors qu’au moyen-âge, les aveux étaient obtenus assez facilement, dès le XVIème siècle, avec le contrôle de la torture, l’aveu se fait de plus en plus rare (environs 8% des personnes soumises à la question). Le recours à ce procédé est donc moins fréquent, et fini par être interdit par une ordonnance de Louis XVI, en 1780. La question préalable, visant à faire

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Seule la noblesse souhaitait conserver ce mode de preuve, cela n’étonnant pas au regard de sa fonction première : le combat.

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dénoncer les éventuels complices, avant l’exécution du condamné, est, quant à elle, interdite en 1788. Depuis lors, le recours à la torture, que ce soit pour obtenir l’aveu, exécuter une peine ou terroriser une population, est prohibé par le droit interne51 et par divers textes internationaux52.

Le corps a donc été, au fil de l’histoire, tant un mode de preuve de l’innocence, qu’un véritable intermédiaire pour aboutir à la condamnation de l’accusé. Aujourd’hui, le corps remplit toujours cette même fonction de fidèle serviteur de la justice, et ce parfois contre l’intérêt de la personne qui le détient.

Dans le document Le corps humain en droit criminel (Page 33-35)