• Aucun résultat trouvé

Remise en question du caractère global des sanctions

Chapitre II : Critique de l’efficacité pratique des sanctions économiques

Section 2 : Mise en cause de la légalité des sanctions contre l’Irak

A. Remise en question du caractère global des sanctions

Les constats de violation des droits de l’homme vont avoir pour conséquence une redéfinition complète des sanctions économiques. La doctrine aura évidemment sa part de responsabilité dans ce changement, puisque des colloques ont été organisés à travers le monde aux fins de modeler les sanctions économiques de manière compatible avec les droits fondamentaux. Le professeur Bossuyt qualifie ce courant de « processus d’Interlaken », puisqu’il a été initié en Suisse, dans la ville du même nom, après l’organisation de deux conférences en 1998 et 1999440.

Le Secrétaire général des Nations Unies y fait même référence dans son rapport du millénaire et estime que « ces études ont maintenant suffisamment progressé pour mériter d’être sérieusement examinées par les Etats Membres441 ». Les Membres permanents du Conseil de sécurité avaient déjà initié cette réflexion dans une lettre dans laquelle ils s’engageaient à « évaluer objectivement les conséquences humanitaires à court et long terme des sanctions », ou encore à « veiller à ce que les modalités selon lesquelles les comités des sanctions examinent les demandes à caractère humanitaire soient aussi expéditives que possible442 ».

Ces engagements, peu contraignants, ne parlent pas encore de sanctions ciblées, mais le Conseil met un pied dans une réflexion sur les sanctions globales. Cette réflexion a évidemment été initié par des pressions extérieures tendant à limiter les pouvoirs du Conseil, et sera poursuivie par les travaux précités, jusqu’à ce qu’il abandonne complètement la logique globale des sanctions économiques adoptées contre l’Irak. Impossible d’en déduire un aveu du Conseil

440 Marc Bossuyt, op. cit., note 36, p. 39 : « Le dialogue sur les sanctions intelligentes a notamment suscité la table

ronde de Copenhague (24 et 25 juin 1996), le colloque sur les sanctions ciblées, organisé par les ONG à New York en décembre 1948, une conférence sur les sanctions intelligentes organisée à Londres les 16 et 17 décembre 1198 par l’Overseas Development Institute, un colloque intitulé « Les sanctions des Nations Unies et le droit international », organisé à Genève du 23 au 25 juin 1999 par l’Institut universitaire des hautes études internationales, un séminaire intitulé « Sanctions intelligentes, la prochaine étape : l’embargo sur les armes et les restrictions aux déplacements » organisé à Bonn (Allemagne) du 21 au 23 novembre 1999 par le Bonn International Centre for Conversion, les deux séminaires d’experts tenus en mars 1998 et mars 1999 à Interlaken et le séminaire sur les sanctions organisé à New York le 17 avril 2000 par l’Académie mondiale pour la paix. Des travaux importants ont également été réalisés dans le cadre du projet L’humanitarisme et la guerre à la Brown University, par le Joan B. Kroc Institute for International Peace Studies (University of Notre Dame) et Fourth Freedom Forum à Goshen, Indiana ».

441 Rapport du millénaire, op. cit., par. 233, p. 39 442 Lettre des cinq Membres permanents, op. cit., p. 2

93 qu’il doit respecter les droits fondamentaux. Comme le souligne madame Marjorie Beulay, il s’agit simplement d’une autorégulation du Conseil de sécurité qui « n’empiète pas sur l’autonomie des compétences du Conseil de sécurité443 ».

Il ne faut pas pour autant nier l’importance de la pratique du Conseil, qui, si elle est maintenue, pourrait facilement permettre de considérer que ce dernier reconnaît être lié par le respect de certaines règles du droit international général. L’interprétation contra legem de l’article 27(3) de la Charte a été retenue par la CIJ à la lumière de la pratique du Conseil. Il adoptait une pratique constante selon laquelle l’abstention d’un Membre permanent n’était pas un obstacle à l’adoption d’une résolution, alors même que ledit article exige un « vote affirmatif » des Membres permanents444. Un tel raisonnement serait possible à la lumière des considérations humanitaires motivant l’abandon des sanctions économiques globales.

Quoiqu’il en soit, les Nations Unies vont embrasser cette tendance à remettre en question le caractère global des sanctions économiques. Le Secrétaire général sera à la tête de cette démarche, en alarmant lui-même de la nécessité d’abandonner les sanctions globales445. Il va

aussi charger un « Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement » de rendre un rapport permettant d’anticiper les ajustements nécessaires aux Nations Unies, qui se situe dans « un tournant de son histoire446 ». Les sanctions font l’objet d’un traitement particulier dans ce rapport communiqué en décembre 2004, et insiste sur la création de mécanismes de suivis, sur l’importance de l’évaluation de la situation humanitaire par les comités des sanctions, et la nécessité d’encadrer davantage les sanctions ciblées447. Ces

propositions sont les mêmes que celles de la doctrine énoncées plus haut, et motiveront le passage aux sanctions ciblées, dites plus intelligentes que les sanctions globales.

443 Marjorie Beulay, op. cit., p. 357

444 Plus précisément, la Cour affirme : « les débats qui se déroulent au Conseil de sécurité depuis de longues années

prouvent abondamment que la pratique de l'abstention volontaire d'un Membre permanent a toujours et uniformément été interprétée, à en juger d'après les décisions de la présidence et les positions prises par les Membres du Conseil, en particulier par les Membres permanents, comme ne faisant pas obstacle à l’adoption de résolutions » (« Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité », op. cit., par. 22, p. 22).

445 La sonnette d’alarme est tirée dès 1995 dans le Supplément pour l’Agenda pour la Paix, op. cit., par. 66 à 65,

pp. 16-18 ; Rapport du millénaire, op. cit., par. 229 à 233, p. 39 dans lequel ce dernier parle pour la première fois des sanctions ciblées.

446 Rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, « Un monde

plus sûr : notre affaire à tous », A/59/565* (2/12/2004), par. 1

94