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L’impossible approche multisectorielle du programme

Chapitre II : Critique de l’efficacité pratique des sanctions économiques

Section 2 : Le programme pétrole contre nourriture (résolution 986) et la

B. L’impossible approche multisectorielle du programme

Difficile d’adopter une telle approche lorsque la résolution 986 (1995) insiste sur le caractère temporaire du programme (1). Pourtant, et sous l’impulsion du Secrétaire général et du Gouvernement irakien, des efforts seront faits afin de poursuivre une telle approche (2).

1. Une approche inadaptée en raison du caractère temporaire du programme L’approche multisectorielle consiste à concevoir l’assistance humanitaire au-delà des seuls besoins alimentaires ou en médicament. Il s’agit de se rendre compte de la complémentarité des secteurs, et de refuser de se concentrer seulement sur quelques-uns. Prenons un exemple afin de mieux comprendre. Le point de départ de l’assistance humanitaire est souvent perçu comme la livraison de denrées alimentaires. Le riz, produit généralement fourni dans une ration alimentaire, demande de l’eau afin d’être chauffé. Pour que cette eau ne soit pas contaminée, il faut que les centres d’assainissement fonctionnent ou soient réhabilités. Ces centres fonctionnent à leur tour à l’électricité qui est produite par d’autres infrastructures qu’il faut entretenir aussi. Enfin, si des maladies se propagent dans cette eau, il faut pouvoir offrir un accès aux soins à la population. Cette exemple illustre l’importance de ne pas seulement se concentrer sur les secours d’urgence. C’est pour cette raison que le Secrétaire général insiste autant sur l’urgence d’adopter une telle approche multisectorielle270.

Comme le relève le Secrétaire général : « lors de la Phase I, bien que le Programme ait porté sur huit secteurs, la majeure partie des ressources financières a été allouée aux secteurs de l’alimentation et de la santé271 ». Initialement, le programme couvrait donc huit secteurs :

l’alimentation, les médicaments, la nutrition, les réparations des infrastructures médicales, l’eau et son assainissement, l’électricité, l’agriculture, et l’éducation. Comme en témoigne l’annexe II(e) le programme s’est concentré sur les deux premiers secteurs jusqu’à la phase IV, au 30 mai 1998.

Le professeur Forteau souligne que cette approche sectorielle s’explique grandement à raison du caractère temporaire du programme énoncé plus haut. Ce dernier rapporte que « l’Irak a bataillé ferme pour que ce caractère temporaire soit expressément inscrit dans la résolution 986 (1995) car elle craignait que la formule ‘pétrole contre nourriture’ ne se substitue à la levée

270 Par exemple, la qualité de l’eau diminue car les coupures de courant, causée par le délabrement de la production

d’électricité, « font baisser la pression dans les conduites, ce qui permet les infiltrations dans les fentes », voyez le rapport de la Phase V, op. cit., para. 44, p. 12. Les efforts entrepris dans le secteur de l’assainissement des eaux sont donc neutralisés par l’inattention accordée au secteur électrique.

57 complète des sanctions272 ». C’est pour cette raison que les Membres du Conseil de sécurité

insistaient eux aussi sur le caractère temporaire du programme273.

L’approche sectorielle adoptée par le programme s’impose donc à raison de son caractère temporaire, et du fait que celui-ci doive être renouvelé tous les cent-quatre-vingt jours par le Conseil de sécurité. Seule une approche sur le court terme est donc possible dans ces conditions et impose au programme de se concentrer sur des biens de consommation immédiate plutôt que sur des produits permettant la réhabilitation des infrastructures. Le professeur Forteau rapporte que le Secrétaire général avait proposé un « plan unique et permanent (…) de manière à éliminer ce problème de la reconduction274 », mais l’Irak s’y était fermement opposés de peur que cela remette en cause le caractère temporaire du programme.

Le Secrétaire général insiste malgré tout pour adopter cette approche multisectorielle malgré la logique temporaire du programme, puisqu’elle ne lui permet pas de remplir les objectifs fixés par la résolution 986 (1995).

2. Une approche souhaitée par l’extension des secteurs concernés

Notifié de l’impossibilité du programme à subvenir aux besoins de la population, le Conseil de sécurité augmente les volumes de pétrole pouvant être exporté depuis l’Irak, afin d’augmenter les ressources du programme. Cet accroissement des ressources disponibles permet d’inclure de nouveaux secteurs au fil des phases : initialement concentré sur huit, ils porteront finalement sur vingt-quatre secteurs, dont dix proposé par le gouvernement irakien275.

(Voyez l’annexe II(e))

Le Secrétaire général se félicite du fait que l’ « augmentation des fonds disponibles a permis au programme, comme il lui était demandé, de se concentrer non seulement sur les secours d’urgence (produits alimentaires et médicaments) mais aussi sur la remise en état des

272 Mathias Forteau, op. cit., p. 148

273 Par exemple, le représentant du Honduras affirmait que le projet de résolution devait permettre « d’atténuer

temporairement les incidences de l’embargo économique », voyez S/PV.3519, p. 4 ; le représentant du Royaume- Uni affirmait que ce dernier avait « clairement indiqué que cette résolution [était] une mesure temporaire », ibid, p. 12 ; la délégation française soulignait à son tour que « les dérogations introduites par la résolution 986 (1995) [étaient] conçues comme un dispositif temporaire, qui [était] destiné à disparaître lorsque les conditions [seraient] remplies pour autoriser le Conseil à prendre de nouvelles décisions sur les prohibitions auxquelles l’Iraq [était] soumis », ibid, p. 13

274 Proposition du Secrétaire général formulée dans une lettre S/1998/90, paragraphe 51. Le refus de cette

proposition a été prononcé par le Gouvernement irakien dans une lettre S/1998/104. Ces documents sont cités par Mathias FORTEAU, op. cit., p. 149

275 Les programmes sont les suivants : les huit précédemment cités, dont deux perfectionnés (l’agriculture inclut

l’irrigation, et l’éducation se concentre davantage sur l’université) ; manutention alimentaire ; matériaux de construction ; transports et télécommunications ; eau et traitement des eaux ; travail et affaires sociales ; jeunesse et sport ; industrie ; information ; culture ; religions ; justice ; finance ; banque centrale.

58 infrastructures, ce qui a eu un impact direct sur tous les aspects de la situation humanitaire en Iraq276 » (nous soulignons). L’approche multisectorielle était cruciale pour permettre au

programme de remplir son mandat confié par le Conseil.

Il sera malheureusement difficile de tenir une telle approche. Plusieurs raisons ont déjà été avancées, comme le fait que le gouvernement ne soit pas parvenu à produire ou à exporter autant de pétrole qu’il était nécessaire, ou encore le blocage de nombreux contrats par le Comité des sanctions à cause du risque de « double usage ».

S’agissant de la baisse de production pétrolière, inutile de revenir dessus. Mais il faut souligner que cette diminution dans la production est couplée d’une instabilité des prix du pétrole, qui n’avaient jamais autant diminué historiquement. Au 31 octobre 1998, le prix du baril de pétrole avait baissé à 10$ l’unité pour ensuite tomber à son niveau le plus bas en décembre de la même année, soit 7$ l’unité277. Le Secrétaire général constate alors que la plupart

des efforts entrepris par le programme sont parfois neutralisé à raison de diminutions substantielles des prix du pétrole278. Autrement dit, le gouvernement irakien subissait une

double-contrainte l’empêchant de maintenir une approche multisectorielle : l’instabilité des prix ainsi que la diminution de la production de pétrole. (Voyez l’annexe II(b))

Enfin, difficile de tenir une approche concentrée sur la réhabilitation des infrastructures lorsque les produits nécessaires à cette réhabilitation peuvent aussi être utilisés pour fabriquer des armes. Ces produits à double usage, jusqu’en 2002279, ne faisait l’objet d’aucune liste et donc le blocage était à la discrétion d’un Membre du Comité. Ce Membre qui mettait un contrat en attente, demandait davantage d’informations à propos de son utilisation, au fournisseur. Ceci entraînait de nombreux retards que ce soit dans le traitement de la demande, ou ensuite dans sa livraison.

Un exemple rapporté par le docteur Jean Dupraz est à cet égard éclairant. Ce dernier décrit les adaptations qui ont été nécessaires pour permettre la livraison de chlore liquide en Irak ; un produit utilisé pour purifier l’eau, mais qui pouvait aussi être utilisé pour construire des armes chimiques280. Lors de la Phase I, le Gouvernement en avait commandé 2 750 tonnes, mais

276 Rapport de la Phase VIII, op. cit. para. 2, p. 1

277 Respectivement, rapports de la Phase IV, S/1998/1100, para. 4, p.1 et de la phase V (S/1999/573), para. 3, p. 2 278 Par exemple, lors de la Phase III (S/1998/477), para. 145, p. 40, ce dernier constate que l’amélioration relative

à l’approbation des contrats par le Comité a été neutralisé par une diminution du prix du pétrole.

279 Résolution 1409, para. 2 : « Décide d’adopter la liste révisée d’articles sujets à examen (S/2002/515) et les

procédures révisées relatives à son application » ; voyez le prochain paragraphe pour plus de développements à son propos.

59 seulement un cylindre d’une tonne sera livré en Irak en octobre 1997. L’UNICEF a dû développer « a heavy and time-consuming tracking system281 » (nous soulignons) afin de

s’assurer que les cylindres étaient effectivement utilisés pour purifier l’eau.

A force de mettre en place des verrous pour encadrer son exécution, le programme a été l’objet d’une bureaucratie envahissante impossible à neutraliser malgré les efforts mis en œuvre dans ce sens.

Deuxième paragraphe : Les évolutions du programme pour surmonter les obstacles

Les efforts entrepris pour améliorer la mécanique complexe des procédures de contrôle ont largement été cosmétiques et sans effet (A) en raison de la politisation du programme (B).