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Présentation théorique des difficultés : problèmes de méthode

Chapitre II : Critique de l’efficacité pratique des sanctions économiques

Section 1 : L’efficacité des sanctions économiques au cœur de leur raison

A. Présentation théorique des difficultés : problèmes de méthode

La question qui se pose, avant de pouvoir examiner l’efficacité des sanctions économiques globales adoptées contre l’Irak, est celle de la méthode qu’il convient d’utiliser. La méthode qui est largement représentée dans la doctrine est représentée par les professeurs Hufbauer, Schott, Elliott et Oegg471. Le livre « Economic sanctions reconsidered », publié pour la première fois en 1985, sert de point de départ à toute analyse relative à l’efficacité des sanctions en doctrine472. Ses auteurs ont été été les premiers à renverser la certitude que les sanctions économiques étaient efficaces. Bien qu’ils estiment le taux de succès global des sanctions à 34%473, ces derniers maintiennent que ce faible taux ne démontre pas l’inefficacité des sanctions, mais qu’il permet de déterminer les conditions dans lesquelles elles fonctionnent.

Le taux est moins élevé lorsque les sanctions économiques ne poursuivent pas un objectif précis (la libération d’un prisonnier par exemple474), mais qu’elles cherchent à modifier le

comportement d’un régime politique de manière durable. Seulement 30% des sanctions économiques globales parviennent à la réalisation de cet objectif475. Enfin, les auteurs insistent sur le fait que les sanctions n’ont que partiellement réussi à remplir ces objectifs. Il n’est pas certain que celles-ci soient la seule origine du changement de comportement. Cette précision témoigne des obstacles à évaluer le rôle précis des sanctions dans la conduite de l’Etat ciblé.

Puisqu’il s’agit d’économétrie, examinons d’abord la méthode de calcul de l’efficacité des sanctions proposée par Hufbauer et al. Ces derniers attribuent à chaque cas une note entre un et

471 Gary Clyde Hufbauer et al., op. cit.

472 Voyez par exemple, Joe Verhoeven, op. cit., qui y fait référence p. 169 dans sa note 118 ; ou encore Michael

Reisman et Douglas Stevick, op. cit., qui citent eux aussi le livre en note à la page 98.

473 Hufbauer et. al., op. cit. Ce taux est réalisé après examen de 204 cas de sanctions économiques adoptées depuis

le blocus des alliés contre l’Allemagne pendant la Première Guerre Mondiale (p. 158).

474 Ibid, p. 65 475 Ibid

101 seize, qui est le produit de la multiplication de deux éléments : d’un côté il y a le résultat obtenu, divisée en quatre branches (de l’absence de résultat à la réalisation de l’objectif) ; et de l’autre la contribution des sanctions, elle aussi divisée en quatre branches (d’une absence de contribution des sanctions à réaliser l’objectif poursuivi à une contribution décisive)476.

Lorsqu’un cas se voit attribuer la note d’un sur seize, les sanctions économiques ont échoué à obtenir le résultat poursuivi ; lorsque la note est de neuf sur seize, celles-ci ont contribuées partiellement à la réalisation de l’objectif ; lorsque la note est de seize sur seize, les sanctions ont été la cause principale et unique à la réalisation de l’objectif477. Selon euc : « Stripped to

the bare bones, the formula for a successful sanctions effort is simple: the costs of defiance borne by target must be greater than its perceived costs of compliance478 ».

C’est pourquoi leur méthode de calcul tient compte des variables politiques – telles que l’existence d’une contrainte militaire exercée sur l’Etat ciblé, l’implication d’une organisation internationale au sein du même Etat, ou encore le régime politique (s’il s’agit d’une autocratie ou d’une démocratie). Ils tiennent aussi compte des variables économiques – telles que le coût imposé à l’Etat ciblé ou encore les relations commerciales que ce dernier entretien avec le(s) destinateur(s) des sanctions479.

Les auteurs estiment que les sanctions imposées contre l’Irak n’ont eu qu’un impact mineur sur la politique du régime irakien. Les notes de quatre sur seize et un sur seize sont attribuées relativement aux objectifs de « changements modestes de politique » ainsi qu’à l’objectif de « changement du régime politique » (i.e. la destitution de Saddam Hussein)480. Ils estiment cependant que les sanctions ont partiellement réussi à garantir le désarmement du Gouvernement irakien en attribuant la note de neuf sur seize481.

Le professeur Pape contredit largement l’analyse réalisée par Hufbauer et al. en estimant que sur l’ensemble des affaires examinées dans la deuxième édition du livre, seulement cinq étaient un succès482. Ce dernier relève que le modèle ne tient pas compte de la différence entre «

economic war » et « trade wars », et qu’il ne vérifie le rôle qu’a eu le recours à la force pour

476 Ibid, p. 49-50 477 Ibid

478 Ibid, p. 50 479 Ibid, p. 55

480 Ibid, voyez les tableaux 3A.1, p. 76 ; 3A.2, p. 80 ; 4A.2, p. 118 ; 4A.5, p. 124 ; 481 Ibid, voyez les tableaux 3.A.4, p. 84 ; 4A.4, p. 122

482 Robert Pape, « Why Economic Sanctions Do Not Work », in: Int. Sec., vol. 22, n°2 (Septembre 1997), pp. 90-

102 chaque cas483. Kimberly Elliott, une des auteurs du livre, a pourtant répondu qu’il ne parvenait pas à contredire les résultats de leurs recherches484. Robert Pape a malgré tout maintenu ses critiques485. Réduite au minimum, la discussion portait sur le fait de savoir s’il suffisait que les sanctions aient contribué à un changement pour qu’elles soient efficaces (position d’Hufbauer et. al.486), ou s’il fallait qu’elles soient la seule cause de ce changement (position de Rober Pape).

Il est alors difficile d’évaluer l’efficacité des sanctions, tant il existe des contradictions. D’abord, il faut s’entendre sur ce que l’on entend par « efficacité », puisque c’est là le cœur du problème. Ensuite, parler en termes de notes surprend le juriste pour qui le droit n’est pas nécessairement une science exacte. Peut-on véritablement réduire la problématique de l’efficacité des sanctions à une équation ? Cette difficulté a été abordée par le professeur associé Golnoosh Hakimdavar dans un livre publié en 2013487. L’auteur relève qu’il n’existe pas de

consensus sur les critères d’identification de l’efficacité. Il existe un courant majoritaire représenté par l’étude examinée précédemment et qui tient à observer la réalisation des objectifs fixés par les sanctions. Mais il y a aussi un courant qui insiste sur les coûts des sanctions pour évaluer l’efficacité : lorsque le patient meurt, mais que l’opération est réussie, peut-on parler de réussite488 ?

Que l’on applique l’une ou l’autre des théories, le professeur Hakimdavar considère qu’il est impossible de proposer une méthode unique afin d’évaluer l’efficacité des sanctions économiques. Malgré tout, des indices semblent tendre vers le constat d’inefficacité des sanctions adoptées contre l’Irak. Avant d’en vérifier la véracité, il faut déterminer les objectifs poursuivis par les sanctions adoptées contre l’Irak.

483 Ibid, p. 102

484 Kimberly Ann Elliott, « Tha Sanctions Glass: Half Full or Completely Empty ? », in: Int. Sec., vol. 23, n°1 (été

1998), pp. 50-65

485 Robert Pape, « Why Economic Sanctions Still Do Not Work », in: Ibid, pp. 66-77

486 Kimberly Ann Elliott, ibid, p. 51, elle reproche à Robert Pape de trop rétrécir la définition de sanctions, et de

placer la barre trop haut pour que celles-ci soient un succès.

487 Golnoosh Hakimdavar, op. cit.

488 David Baldwin, « The Sanctions Debate and the Logic of Choice », in: Int. Sec., 24 (2000), pp. 87 (cité par

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B. Présentation pratique des difficultés : l’identification des objectifs