• Aucun résultat trouvé

L’inefficacité des sanctions à assurer la coopération du gouvernement irakien

Chapitre II : Critique de l’efficacité pratique des sanctions économiques

Section 2 : L’inefficacité des sanctions économiques globales contre l’Irak

2. L’inefficacité des sanctions à assurer la coopération du gouvernement irakien

Afin d’examiner l’influence des sanctions économiques sur le comportement du Gouvernement irakien entre 1991 et 2003, une première question se pose : ce dernier a-t-il coopéré avec les autorités pertinentes dans le cadre du démantèlement des armes de destruction massive ? A cet égard, le Gouvernement irakien coopérait largement avec la Commission spéciale mais il n’hésitait pas à rompre périodiquement les relations avec elle (voyez le tableau en annexe III relatif aux relations entre le Gouvernement et la Commission).

Difficile alors de considérer que les sanctions économiques globales soient parvenues à obtenir la coopération du Gouvernement irakien pendant l’ensemble de la période donnée. Est- il possible de défendre que ces sanctions aient été la cause principale de la reddition du Gouvernement irakien à la fin de chacun des épisodes regroupés en annexe ? Encore une fois, il est difficile de répondre avec certitude. Les professeurs Hufbauer et. al., en prenant précisément l’exemple des sanctions économiques irakiennes, affirmaient qu’elles n’étaient qu’un outil parmi un arsenal plus large. La diplomatie jouant un rôle plus ou moins important, ainsi que le recours ou la menace du recours à la force504.

D’autant que le Gouvernement peut agir dans un sens ou dans un autre sans révéler agir sous la pression des sanctions économiques. Il existe un doute raisonnable qui permet d’affirmer que ces sanctions ont eu une certaine influence sur le comportement du Gouvernement. Malgré tout, il est possible d’identifier l’influence d’autres facteurs sur le comportement irakien, qui ne

109 semblent pas relever des sanctions. Pour ce faire, examinons certains cas listés en annexe afin de déterminer ce qui a poussé le Gouvernement irakien à reprendre les relations avec la Commission spéciale.

L’on s’interrogera sur le rôle de la menace ou de l’emploi de la force (i) ainsi que des résolutions du Conseil de sécurité et de la diplomatie (ii).

i. Le rôle du recours à la menace ou de l’emploi de la force

Quelques exemples suffisent à convaincre de l’importance de ce facteur dans la conduite du Gouvernement irakien505. Le 9 avril 1992, l’Irak ordonnait l’arrêt des surveillances aériennes

réalisées par la Commission spéciale, et menaçait de détruire les aéronefs poursuivant cette surveillance. Le lendemain, le Président du Conseil de sécurité condamne la violation des résolutions et avertit le Gouvernement des « graves conséquences qu’auraient tout manquement à ces obligations506 ». Cette formulation ne peut raisonnablement être interprétée que comme l’expression d’une menace d’autoriser le recours à la force.

De quelle autre conséquence le Conseil de sécurité pourrait avertir le Gouvernement irakien ? Ce dernier faisait déjà l’objet d’un blocus, et le dernier moyen à la disposition du Conseil de sécurité est l’article 42 de la Charte et la possibilité d’autoriser le recours à la force. Le jour même de la déclaration du Président du Conseil de sécurité, le Gouvernement irakien déclarait ne pas avoir pour projet de recourir à la force contre la Commission spéciale507. La causalité entre la menace du recours à la force et le changement du comportement de l’Irak apparaît clairement. Il ne s’agit pas du seul exemple, d’autres ont été relevés dans le tableau disponible en annexe.

Ceci apparaît clairement en conformité avec la « threat theory » dégagée par les professeurs Reisman et Stevick508. Ces derniers constatent qu’en tant que menace, celle du recours à la force est davantage efficace que la menace d’adopter des sanctions économiques. Face à la menace d’une intervention armée, l’Etat ciblé ne peut pas raisonnablement opter pour une attitude passive en attendant que les mots du Conseil passent aux actes509. L’intervention armée fragiliserait davantage l’Etat ciblé que les sanctions économiques. Autrement dit, aux yeux de

505 Pour chacun des exemples énoncés, les références sont disponibles en annexe 506 S/23803

507 Ces informations ont été récupérées sur la chronologie du fonctionnement de l’UNSCOM, disponible sur son

site officiel : https://www.un.org/Depts/unscom/Chronology/chronologyframe.htm

508 Michael Reisman et Douglas Stevick, op. cit., p. 90

509 Ibid, les auteurs parlent d’une « wait-and-see attitude » déraisonnable dans un cas de menace d’une action

110 l’exécutif le coût de l’intervention armée surpasse celui des sanctions puisque cette intervention pourrait entraîner sa destitution.

Il arrive évidemment que le Gouvernement ait choisit d’ignorer la menace et d’adopter cette attitude passive. En janvier 1993, les troupes irakiennes se sont dirigées vers la zone démilitarisée et les autorités ont refusé à l’UNSCOM la possibilité d’utiliser ses propres aéronefs. En réaction, le Président du Conseil à une nouvelle fois condamné les violations de la résolution 687 (1991)510 et rappelé les conséquences graves auxquels le Gouvernement pourrait

faire face511. L’Irak a décidé de maintenir ses positions malgré tout. En réponse, la France, le

Royaume-Uni et les Etats-Unis ont engagé des raids aériens dans le sud de l’Irak le 19 janvier 1993. Le lendemain de cette intervention réalisée sans l’aval du Conseil de sécurité, les relations entre la Commission spéciale et le Gouvernement reprenaient normalement.

Les sanctions économiques n’apparaissent avoir eu aucun rôle dans le comportement du Gouvernement irakien.

ii. Le rôle des résolutions du Conseil de sécurité et des négociations diplomatiques

En plus de menacer de recourir à la force, le Conseil de sécurité rappelait au Gouvernement les obligations de ce dernier en vertu des résolutions pertinentes. Ce point est une constante dans la réponse du Conseil aux résistances irakiennes512. Une nouveauté apparaît cependant courant 1994 : non seulement le Conseil réalise ce rappel, mais il adopte aussi une résolution imposant au Gouvernement de se conformer à ses obligations. La résolution 949 (1994) a par exemple été adoptée après la rupture des relations avec l’UNSCOM le 10 octobre 1994 et le maintien des troupes dans le sud de l’Irak aux abords de la frontière koweïtienne. Cette résolution exige « que l’Iraq achève immédiatement de retirer toutes les unités militaires récemment déployées513 » ; elle exige aussi « que l’Iraq coopère sans réserve avec la Commission spéciale des Nations Unies514 ».

Après le refus du Gouvernement de coopérer avec le personnel états-unien de la Commission spéciale le 29 octobre 1997 – refus condamné le jour même par le Président du Conseil qui a

510 La résolution 687 (1991) imposait effectivement à l’Irak de ne pas déplacer ses troupes dans la zone

démilitarisée, en son paragraphe cinq.

511 S/25081

512 A nouveau, voyez la plupart des événements relatés en annexe 513 Résolution 949 (1994), paragraphe deux

111 de nouveau menacé de recourir à la force515 - le Conseil adopte la résolution 1137 (1997) imposant à l’Irak de reprendre les relations avec cette Commission516. A l’instar de la résolution

949 (1994), la résolution 1137 (1997) n’impose aucun réel changement au comportement du Gouvernement. Au contraire, les solutions seront le fait d’intenses négociations diplomatiques.

Huit jours après l’adoption de ladite résolution, le Gouvernement a conclu un accord négocié avec la Fédération de Russie permettant le retour du personnel de l’UNSCOM en Irak. A nouveau, une solution diplomatique permettra de résoudre le problème adressé par la résolution 1060 (1996) du 13 juin 1996. Celle-ci condamnait le refus du Gouvernement à laisser l’UNSCOM accéder à certains sites. Cette inspection a été rendue possible, non pas grâce à la résolution précitée, mais grâce à la conclusion d’un programme d’action conjoint entre l’Irak et la Commission spéciale le 24 juin 1993517.

Les résolutions adoptées par le Conseil ne semblent pas avoir eu une influence décisive sur le comportement du Gouvernement. C’est plutôt les solutions négociées avec les Nations Unies ou un Etat Membre qui ont permis d’obtenir la coopération du Gouvernement518. L’on pourrait arguer que de telles négociations ont été rendues possibles grâce aux sanctions économiques globales. Il pourrait être soulevé que le blocus dont l’Irak fait l’objet impose à Saddam Hussein de rester à la table des négociations. Après tout, il est arrivé que le Conseil de sécurité suspende la révision des sanctions économiques, garantie par le paragraphe 22 de la résolution 687 (1991), afin d’exercer une certaine pression sur le Gouvernement519.

Difficile de récuser avec certitude cette proposition. Mais si l’on suit ce raisonnement qui repose sur une incertitude, il est tout à fait possible d’argumenter que le Gouvernement a négocié avec les Nations Unies afin d’éviter une nouvelle intervention armée plutôt qu’à cause des sanctions économiques. Pourquoi ne pas se conformer aux demandes de la Commission spéciale, sans faire preuve d’aucune résistance, si le Gouvernement tenait réellement compte des sanctions ?

515 S/PRST/1997/49

516 Voyez les trois premiers paragraphes de la résolution 1137 (1997), adoptée le 13 novembre 1997 517 S/1996/463

518 D’autres exemples sont cités en annexe : par exemple, le Gouvernement irakien refuse de coopérer avec les

nationaux britanniques et états-uniens le 13 janvier 1998. La solution sera apportée par un mémorandum négocié entre le Secrétaire général des Nations Unies et le Gouvernement (S/1998/166).

519 Le phénomène a déjà été mentionné dans le précédent chapitre, mais voyez, par exemple, la résolution 1134

(1997) qui : « décide que les révisions prévues aux paragraphes 21 et 28 de la résolution 687 (1991) reprendront en avril 1998, conformément au paragraphe 8 de la résolution 1134 (1997), à condition que le Gouvernement iraquien se soit conformé aux dispositions du paragraphe 2 ci-dessus ».

112 Ce rapide examen permet de constater le flou persistant autour de l’efficacité des sanctions économiques. Il est tout de même possible de constater une inefficacité d’ensemble, ou tout au plus une efficacité seulement partielle. L’on peut expliquer ces résultats par divers effets pervers des sanctions qui ont permis de renforcer l’influence du Gouvernement sur la population.

Second paragraphe : L’influence des effets indésirables des sanctions sur leur efficacité

Les sanctions adoptées par le Conseil de sécurité ont renforcé l’influence de Saddam Hussein sur sa population (A) tout en lui permettant de s’enrichir grâce aux manipulations du programme pétrole contre nourriture (B).