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L’efficacité des sanctions économiques dans la pratique des Nations Unies

Chapitre II : Critique de l’efficacité pratique des sanctions économiques

Section 1 : L’efficacité des sanctions économiques au cœur de leur raison

B. L’efficacité des sanctions économiques dans la pratique des Nations Unies

Dans le chapitre précédent, l’on a insisté sur l’influence des discours relatifs aux violations des droits fondamentaux sur la remise en question des Nations Unies et des sanctions. Bien que cette remise en question ait largement eu pour origine les effets du blocus sur la population, les Nations Unies ont aussi été préoccupées par le souci d’inefficacité des sanctions économiques globales. Le Secrétaire Général Kofi Annan déclarait, lors de l’ouverture de l’Assemblée du millénaire le 3 avril 2000 :

« Très souvent, malheureusement, ces sanctions ne réussissent pas à faire fléchir les dirigeants récalcitrants, tout en faisant souffrir inutilement les innocents. Il nous faut les cibler avec plus de précision463 ».

Le lien entre la remise en question des sanctions économiques globales avec la logique d’efficacité est évident, tout en ne remettant pas en cause le lien avec les souffrances subies par la population. Dans son rapport du millénaire, le Secrétaire général soulève que l’imposition d’un embargo global à un régime autoritaire est inefficace, puisque : « les sanctions ont souvent l’effet pervers de profiter à ceux qui détiennent le pouvoir : premièrement, ils peuvent contrôler le marché noir et s’enrichir ; deuxièmement, ils peuvent y trouver un prétexte pour éliminer leurs opposants politiques464 ». Ce dernier poursuit en indiquant que c’est par souci d’efficacité qu’il faut réviser les sanctions465.

Ce lien apparaît plus clairement dans le rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement du 2 décembre 2004 dans lequel on peut lire que les sanctions ciblées « servent à faire pression sur les dirigeants et les élites avec des conséquences négligeables sur le plan humanitaire » et « constituent la moins coûteuse des options et peuvent être taillées sur mesure466 ». Autrement dit, et comme le résume le Document final du Sommet

mondial des 14-16 septembre 2005, les Nations Unies cherchent à appliquer les sanctions « de

463 Déclaration disponible en ligne : https://www.un.org/french/millenaire/sg/report/state.htm 464 Rapport du millénaire, op. cit., para. 229, p. 39

465 Ibid, para. 232 : « L’expérience ayant montré que les sanctions sont un outil imprécis qui peut même être contre-

productif, des gouvernements, des organisations de la société civile et des groupes de réflexion s’efforcent de trouver le moyen de mieux les cibler ».

466 Rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, op. cit., para.

99 façon à trouver un juste milieu entre l’efficacité nécessaire pour obtenir le résultat voulu et les conséquences néfastes éventuelles467 ».

Ces considérations ne viennent pas contredire le chapitre précédent : l’abandon des sanctions économiques globales au profit des sanctions ciblées a largement été motivé par la remise en question de l’étendue des pouvoirs du Conseil de sécurité. En témoigne la logique humanitaire apparaissant dans les documents précités. Mais cette logique n’est jamais isolée : elle est souvent nuancée par la problématique de l’efficacité. Dit autrement, les Nations Unies n’agissent pas de manière à reconnaître des limitations au pouvoir du Conseil de sécurité. Prendre en considération les questionnements de la doctrine et de l’opinion publique ne revient pas à admettre que le Conseil voit ses pouvoirs limités par le droit international.

La citation issue du Document final témoigne de cette réalité : la préoccupation est de trouver des sanctions efficaces, qui entraînent des conséquences moins graves que les sanctions globales, mais qui continuent à violer certains droits fondamentaux. L’on pourrait considérer, à l’instar du professeur Lagrange, que le Conseil adopte des sanctions intelligentes afin de se conformer au principe de proportionnalité468. La chose est tout à fait défendable. L’on ne saurait pourtant être surpris des déclarations du Rapporteur spécial sur l’impact négatif des sanctions unilatérales coercitives sur la jouissance des droits de l’homme, Idris Jazairy469. Le 26 octobre

2015470, le rapporteur spécial affirmait :

« While the SC can be said to apply sanctions to member state because the Charter

has conferred it special responsibilities in the maintenance of peace and security, (...) no such mandate has been given to other authorities. Therefore, those countries that apply measures like embargo, (...) if they result in imposing undue sufferings on innocent civilians (...), then they become illegal »

A la lecture de cette déclaration, il est clairement envisagé que le Conseil n’est pas soumis au respect des droits fondamentaux de la même manière que les Etats Membres. Le débat décrit dans le chapitre précédent est inachevé, et le passage aux sanctions économiques ciblées ne peut pas être perçu comme une pratique démontrant que le Conseil interprète ses pouvoirs de

467 Document final du Sommet mondial, op. cit., para. 106, p. 28 468 Evelyne Lagrange, op. cit., p. 590

469 Le Conseil des droits de l’homme, dans une résolution 27/21 du 26 septembre 2014 condamne les sanctions

coercitives unilatérales, dont les sanctions économiques font parties de cet ensemble, et ont nommé monsieur Idris Jazairy rapporteur spécial.

470 Voyez la conférence de presse, entre la première et la quatrième minute : http://webtv.un.org/watch/idriss-

100 manière à respecter les droits fondamentaux. Le souci d’efficacité semble l’emporter sur le souci de respecter ces droits. Reste à déterminer comment évaluer l’efficacité des sanctions.

Second paragraphe : Difficultés d’évaluation de l’efficacité des sanctions

La chose est difficile à bien des égards : plusieurs méthodes existent (A), et s’il y a un consensus pour retenir l’évaluation de l’efficacité des sanctions à la lumière de leur capacité à remplir les objectifs qu’elles poursuivent, il n’est pas toujours aisé d’identifier ces objectifs (B).