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Remarques sur la délimitation des objets psychosociologiques Une fois posées au niveau de la démarche, les conditions d'une science

Dans le document La psychologie sociale (Page 63-66)

T ROISIÈME P ARTIE

III. Remarques sur la délimitation des objets psychosociologiques Une fois posées au niveau de la démarche, les conditions d'une science

psychosociologique, il reste à définir avec clarté son domaine spécifique, ses objets. Ceci afin que la discipline soit reconnue ; afin que, entre psychosociologues, on cesse de se satisfaire des critères institutionnels et méthodologiques pour se reconnaître ; afin que notre champ soit structuré, qu'il y ait une certaine concentration des intérêts, une mobilisation des pouvoirs créateurs et une possibilité de communication et de décision quant aux résultats obtenus.

J'avancerai à ce propos des réflexions très personnelles et qui reflètent la façon dont j'aborde les phénomènes psychosociologiques et leur théorie. En ces matières où n'existe aucun consensus contraignant, force est de jeter sur le tapis ses orientations personnelles que d'aucuns trouveront critiquables mais que l'on offre pour leur mérite minimal : être source de discussion, de controverse, donc de réflexion. Il me semble que nous devons partir de deux axiomes : 1) la psychologie sociale est une science sociale ; 2) elle est une science spécifique : i.e. les phénomènes auxquels elle s'intéresse ne sauraient constituer l'objet d'une autre science. J'ai déjà dit, concernant ce double caractère, quel fourvoiement me semblaient constituer des optiques purement individualistes, taxonomiques ou différentielles, et comment nous devions adopter une perspective dynamique permettant seule d'expliquer la formation concomitante de la psychologie humaine et de la société humaine et leur articulation. Il me semble que c'est seulement ainsi que la psychologie sociale peut prétendre à avoir des problèmes théoriques propres et contribuer à la connaissance de l'homme de façon originale.

Cette perspective qui pose comme étant du ressort de la psychologie sociale tout ce qui émerge de la relation entre sujets sociaux dans leur rapport à l'environnement, conduit à la délimitation de certains contenus, de certains thèmes prioritaires qui constituent ce que l'on peut appeler l'objet d'une science. Et je formulerai comme objet central, exclusif pour la psychosociologie tous les phénomènes ayant trait à l'idéologie et à la communication, ordonnés aux plans de leur genèse, leur structure et leur fonction. Plus précisément encore, je dirai que la psychologie sociale s'occupe des processus culturels par lesquels, dans une société donnée : 1) s'organisent les connaissances ; 2) s'établissent les rapports des individus à leur environnement, rapports toujours médiatisés par autrui ; 3) se canalisent les structures dans lesquelles les hommes se conduisent ; 4) se codifient les rapports inter-individuels et inter-groupes ; 5) se constitue une réalité sociale commune qui s'origine autant dans les relations avec les autres que dans les

rapports avec l'environnement et autour de laquelle nous créons des règles et investissons des valeurs.

En ce qui concerne l'idéologie, on peut dire qu'outre son importance sociale, elle existe déjà avec un certain degré de précision comme notion de la psychologie sociale. Y peuvent être rapportés des phénomènes qui en sont des parties intégrantes ou des substituts notionnels : attitudes, préjugés, stéréotypes, systèmes de croyance ou d'idées, représentations sociales, etc. Tous ces phénomènes n'épuisent pas le domaine d'étude de l'idéologie jusqu'à présent fort morcelé. Une direction qui permettrait d'étudier de façon plus complète et moins fragmentaire le phénomène idéologique peut être dégagée à partir des aspects qui reçoivent déjà un traitement systématique : unité des processus cognitifs et non cognitifs ; approche des valeurs, des motivations et des activités intellectuelles d'une manière homogène sur le plan de leur genèse sociale. Ainsi pourrions-nous entamer une psychologie sociale des activités mentales supérieures, de la connaissance, permettant de comprendre certains aspects psychologiques de la vie sociale. En ce qui concerne la communication, j'ai déjà dit son importance historique et scientifique pour la discipline. Son étude comme phénomène basique où s'élaborent les relations et les productions humaines ne pourra être systématiquement entreprise que dans la psychologie sociale.

Mais idéologie et communication supposent la vie sociale, c'est-à-dire les rapports entre et dans les groupes sociaux et un médiateur privilégié : le langage.

Le groupe doit être saisi non comme unité substantielle mais comme unité dans la hiérarchie des unités sociales et comme champ de relations. Il doit être compris au niveau de la relation qu'il entretient avec les autres groupes et conduire à la connaissance des relations entre sujets sociaux. L'étude de ces relations touche à un problème fondamental de la psychologie sociale : celui de la constitution du

« sujet social » (individu ou groupe) qui reçoit dans et par la relation existence et identité sociales. Les phénomènes de « solidarité sociale » (comparaison et reconnaissance sociale) sont également fondés sur la relation et jouent un rôle important dans la constitution des groupes, comme les processus d'organisation et d'influence. Pour chacun de ces phénomènes, nous disposons déjà d'un corps plus ou moins développé de connaissances, théories ou expériences. Enfin le langage, domaine plus nouveau pour la psychologie sociale, doit être étudié dans sa dépendance par rapport aux structures de la communication, pour ce qui est des propriétés de la langue, et dans ses rapports avec l'idéologie, pour ce qui est de son aspect sémantique, les lois de la formation et du changement de sens étant connectées avec les lois sociologiques.

Voilà donc ce qui me paraît être le domaine de la psychologie sociale : les sujets sociaux, groupes ou individus, qui amenés à constituer leur réalité sociale et leur réalité tout court, à s'y mouvoir, connaissent l'idéologie comme production, la communication comme échange et consommation et le langage comme monnaie.

Ce rapprochement avec l'économie n'est qu'une analogie mais c'est une analogie

qui permet de poser les liens entre ce qui mérite, selon moi, l'étude théorique et empirique. Elle permet de souligner l'importance d'introduire du sens et de la cohérence dans la définition d'un champ possible d'investigation.

Au terme de cette présentation que j'ai voulue sans voile mais non sans espoir, disons d'une lucidité optimiste, j'en appellerai au lecteur. Le temps est passé où il fallait acquérir des habiletés et imposer, par des voies extérieures, une discipline difficilement reconnue. Il faut aller à la racine et apprendre comment traduire les réalités de notre société en termes psychosociologiques, travailler théoriquement à les analyser et comprendre le difficile rapport de l'individu et de la société qu'elles impliquent. Pour cela, passant outre aux préjugés qui en détournent les curiosités, il faut s'appuyer sur l'acquis de notre discipline. Et cet ouvrage est là pour servir de guide. Mais il faut désormais que les chercheurs soient aussi des créateurs, les inventeurs d'une science de notre société, devenant par là des interlocuteurs valables dans la communauté des savants. Puissent certains esprits, ici et ainsi informés, venir rejoindre les rangs clairsemés d'une discipline à peine naissante en Europe, et qui mérite d'être mieux armée pour innover, dans l'originalité et l'autonomie.

Dans le document La psychologie sociale (Page 63-66)