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Méthodologie et stratégie de la recherche expérimentale

Dans le document La psychologie sociale (Page 51-55)

Deuxième Partie

DE LA RECHERCHE PSYCHOSOCIOLOGIQUE

V. Méthodologie et stratégie de la recherche expérimentale

Dans l'ordre méthodologique, de grands progrès ont été réalisés du point de vue expérimental cependant qu'émergeaient conjointement des questions touchant à la stratégie de recherche.

1. Méthodologie de la recherche

Au rang des développements expérimentaux récents, il convient de signaler tout d'abord, le recours sans cesse accru à des variables physiologiques dans les plans expérimentaux, 1 soit comme variable indépendante comme c'est le cas des travaux de Schachter et Singer sur l'interaction entre les facteurs physiologiques et sociaux dans la génération des états émotionnels, soit – et cette tendance nouvelle connaît une vogue sans cesse croissante – comme variable dépendante. Dans ce cas, des mesures telles que la pression ou la composition sanguine, le rythme cardiaque, etc. sont considérées comme plus certaines que les mesures verbales habituellement recueillies, parce qu'objectives. Elles fournissent une manière de confirmation, de validation ou de contrôle à ces dernières.

En ce qui concerne les processus d'interaction dans les groupes restreints, les méthodes d'analyse n'avaient pas connu par le passé des progrès aussi marquants que ceux réalisés dans le raffinement des procédures expérimentales. Elles s'étaient révélées d'un coût élevé pour leur maigre qualité contraignant à se fonder sur un haut degré de spéculation dans l'analyse des processus. Cette situation a été modifiée à partir du moment où les chercheurs ont pu utiliser les ordinateurs, ce qui a entraîné une amélioration notable, tant en ce qui concerne le traitement de données complexes recueillies sur des interactions naturelles que celui de données obtenues dans les jeux expérimentaux et les études sur la négociation. On est en droit d'attendre dans les dix années à venir une mise au point de méthodes d'analyse qui, conjointement avec l'élaboration de modèles mathématiques et de

1 Voir quelques exemples dans la Deuxième Partie, chap. VIII.

programmes de simulation sur machine, viendront bouleverser les travaux sur les processus de groupe.

Cet exemple, comme celui cité antérieurement à propos de la comparaison entre performances individuelles et collectives, confirme l'importance que revêtent les modèles mathématiques et les simulations sur ordinateur dans la recherche psychosociologique. On en constate également les effets dans l'étude de la perception sociale, du changement d'attitudes, de l'échange d'informations et des processus d'interaction. Dans l'avenir, le perfectionnement des procédures d'analyse devra nécessairement s'accompagner et bénéficier d'une conceptualisation plus élaborée des processus d'interaction grâce à la formalisation mathématique et aux programmes de simulation.

Les études trans-culturelles, en voie d'expansion depuis 1954, sont susceptibles d'apporter un élargissement notable à la compréhension des phénomènes psychosociologiques. On notera toutefois qu'elles n'ont pas encore surmonté de graves difficultés méthodologiques au niveau : 1) de l'échantillonnage rigoureux des cultures et sociétés ; 2) des procédures de réplications et du choix des variables ; 3) de l'interprétation des variations culturelles qui ne se situent pas au plan des valeurs de variables mais à celui de l'interaction entre variables observées.

2. Stratégie de la recherche

Certains problèmes ont été soulevés par les phénomènes psychosociologiques qui se produisent dans la situation expérimentale, du fait de la relation sociale s'instaurant entre sujets et expérimentateur, et des anticipations qui s'y engagent (attitude du sujet à l'égard de l'expérience et de l'expérimentateur ; tendance à faciliter la réalisation des hypothèses qu'il lui attribue ; aptitude de l'expérimentateur à contrôler la conduite des sujets, etc.). Un ouvrage de Rosenthal 1 fait la synthèse de cette question qui a alerté maints chercheurs (Riecken, Orne, etc.) à plus d'un titre : par les implications qu'elle risque d'avoir du point de vue de la validité des résultats obtenus (ainsi pourrait-on expliquer l'impossibilité de répliquer certaines expériences par les biais introduits par les expérimentateurs), et par l'éclairage qu'elle apporte sur les phénomènes d'influence et de communication (en ce qu'elle montre à l'œuvre les effets de la communication non verbale et de l'influence non intentionnelle). Mais on peut regretter que jusqu'à présent les chercheurs aient été plus habiles à démontrer l'existence de biais dus à l'expérimentateur, qu'à découvrir les processus par lesquels ils peuvent intervenir.

Dans un esprit similaire, on s'interroge depuis quelques années sur les aspects éthiques de l'expérimentation en psychologie sociale : on s'inquiète du risque de trouble psychologique qu'encourent les personnes participant en qualité de

1 Voir analyse n° 29.

« sujet » à certaines expériences : par exemple une personne que l'on amène à rabaisser son estime de soi ou à s'attribuer des mobiles anormaux ou immoraux, peut en subir le contrecoup dans ses sentiments ou ses comportements après l'expérience ; de même le fait de tromper les participants à une expérience sur son but réel, même si on les informe en fin de passation, peut avoir pour conséquence de jeter un discrédit général sur l'expérimentation en psychosociologie, et prévenir des participants futurs. La discussion de ces problèmes dont la gravité ne doit pas être perdue de vue, a revêtu surtout un caractère passionnel et peu fécond ; son seul point positif reste qu'elle a provoqué un nouveau courant de recherche et que de nombreuses études s'orientent vers les conséquences psychologiques et morales de l'expérimentation et la détection d'effets de contamination dans les populations de sujets.

Une dernière préoccupation stratégique, et non la moindre, découle du fait que la plupart des connaissances scientifiques en psychologie sociale, existent déjà dans le savoir quotidien, que les phénomènes auxquels elle s'intéresse sont accessibles à l'observation de l'homme de la rue : ce qui faisait dire à un psychosociologue que, dans sa plus grande part, la psychologie sociale est une

« psychologie de grand-mère » ; et ce qui jette le doute dans bien des esprits quant au sérieux et à la validité du travail des psychosociologues. Ce problème a été résolu dans trois directions : recherche de résultats non-évidents ou contraires aux affirmations du sens commun ; étude des interactions entre facteurs de causation ; étude détaillée et objective des processus. La première orientation a connu les plus grandes faveurs ces dernières années, inspirées par le succès de Festinger et de son école dans la vérification de prédictions non-triviales découlant de la théorie de la dissonance. Mais, on a pu craindre que malgré son caractère stimulant, la recherche du « non-évident » ne se fasse au détriment de la pertinence et de la représentativité des conditions expérimentales eu égard aux conditions sociales

« réelles ». Et certains recherchant une garantie de validité supérieure, ont préconisé les deux autres orientations. Cette tendance qui croit assurer le départ entre constat spontané et connaissance scientifique par la seule rigueur des instruments de recueil et des méthodes d'analyse des données ne me paraît répondre ni à la question soulevée par la recherche du « non-évident », ni aux exigences d'une véritable transformation scientifique. Sur ces points, je reviendrai dans la troisième partie.

Faisant un retour en arrière pour mettre en évidence quelques-uns des domaines saillants par leur richesse, leur progrès ou par les problèmes qui les agitent, j'ai dû le plus souvent m'en référer à la psychosociologie américaine. Je le regrette, mais le fait est là : c'est aux États-Unis que la recherche est la plus ancienne, la plus structurée, et il faut le dire la plus féconde. Les conditions institutionnelles et un intérêt tardif ont empêché que la discipline ne se développe pleinement en Europe où pourtant se comptent ses « pères ».

J'ai tenté de montrer au passage quelques-uns des secteurs où se détachent déjà des noms ou des optiques originales en Europe. Il reste à espérer que le mouvement qui s'amorce tant du côté de l'Ouest que du côté de l'Est se traduira – une fois les conditions réunies, et l'on s'y emploie – par un essor nouveau pour la psychologie sociale.

PRÉFACE

Dans le document La psychologie sociale (Page 51-55)