• Aucun résultat trouvé

Relations avec le secteur formel de l’économie : segmentation versus intégration

Chapitre 6 : Typologie des actifs informels et déterminants de l’informalité

3. Synthèse des principaux résultats obtenus

3.3. Relations avec le secteur formel de l’économie : segmentation versus intégration

La segmentation des marchés du travail, des biens et des capitaux conforte la thèse dualiste du

secteur informel [Lewis, 1954 ; Todaro, 1969 et Fields, 1975].

3.3.1. Relations sur le marché des biens

La clientèle des micro-entreprises informelles est constituée essentiellement de particuliers

(ménages) et accessoirement d’entreprises privées formelles (c’est le cas des travailleuses à

domicile préparant des aliments destinés à la vente). Les revenus (des ménages) servant à

acheter la production du secteur informel proviennent davantage du secteur informel que du

secteur formel (biens salariaux). Les lieux de vente des unités informelles (marchés

populaires, ambulants, à domicile, trottoirs, rue) sont un indice du type de consommateur des

produits du secteur informel (ménages aux revenus modestes voire informels).

Quant à la clientèle des travailleuses à domicile dans la branche préparation des aliments, elle

est constituée essentiellement de micro-entreprises formelles (commerçants, restaurateurs) qui

se contentent d’acheter uniquement la production des travailleuses à domicile sans fournir les

inputs qui restent à la charge de ces dernières (sous-traitance horizontale).

En amont, les sources d’approvisionnement des micro-entreprises informelles sont soit

exclusivement informelles (marché noir) ou combinées (grossistes et marché noir à la fois).

Ceci traduit un certain degré d’intégration qui caractérise le marché informel des biens.

Notons enfin que les micro-entreprises sont confrontées au problème des débouchés (un tiers

des micro-entrepreneurs enquêtés citent comme problème principal le manque de clients et

plus d’un quart se plaint de la concurrence). Ce sont les micro-entrepreneurs informels qui

souffrent le plus du manque de clientèle (42,1%). Ce problème de débouchés s’explique,

d’une part, par l’insuffisance et l’irrégularité de la demande qui s’adresse à eux et d’autre part

70

Le revenu principal du ménage de ces travailleuses à domicile est loin d’être négligeable (20 000 à 30 000 DA par mois voire plus de 30 000 DA) ; par ailleurs, celles-ci considèrent le travail à domicile comme un moyen d’épanouissement personnel.

par l’environnement fortement concurrentiel dans lequel évoluent ces entrepreneurs. En effet,

l’absence de barrières à l’entrée (en capital et en qualification) qui caractérise le secteur

informel induit une forte concurrence, qui se manifeste parfois par la pratique de faibles prix

(12,4% des micro-entreprises enquêtées pratiquent des prix inférieurs à ceux du marché) ou

encore par l’abandon de l’activité pour les moins compétitifs

71

.

3.3.2. Relations sur le marché des capitaux

A priori, le financement des micro-entreprises informelles semble totalement « informel »

dans la mesure où le financement de la création d’activité est assuré grâce à l’épargne

personnelle ou familiale à laquelle ils font également appel, en cas de besoin, pour le

financement de l’activité courante (cycle d’exploitation). En outre, les micro-entrepreneurs se

font régler au comptant (espèces) et le règlement des fournisseurs se fait également en

espèces. Deux micro-entrepreneurs informels sur trois ne possèdent pas de compte bancaire ;

sur l’ensemble des micro-entrepreneurs (formels et informels), plus de deux sur cinq (45%)

n’ont pas de compte en banque. Ainsi, le secteur informel est totalement exclu du circuit

bancaire et les autres modes de financement (crédit fournisseur, crédit client, crédit usuraire)

sont très marginaux. Ceci ne signifie pas pour autant une dichotomie entre les deux secteurs

du point de vue du financement des activités. L’analyse des trajectoires des actifs informels

(Cf. chapitre 5) a montré qu’une proportion non négligeable des micro-entrepreneurs

informels concernés par la mobilité (un tiers) provient directement du salariat du secteur

formel (mobilité sectorielle et statutaire). C’est sans doute l’épargne salariale accumulée dans

le secteur moderne (et également les indemnités de licenciement pour les salariés libérés par

le processus de restructuration - dissolution du secteur public économique) qui aurait servi au

financement de la création d’activités dans le secteur informel.

3.3.3. Relations sur le marché du travail

L’analyse des trajectoires socio-professionnelles des actifs informels (salariés et non salariés)

(Cf. chapitre 5) a montré que les effectifs du secteur informel ont pour origine la population

inoccupée (chômage et population inactive), c’est le cas notamment des informels hybrides,

révélé par l’ACM, ou encore la population occupée (salariés) du secteur formel (mobilité

sectorielle et statutaire). Il existe également des flux non négligeables en sens inverse

c’est-à-dire du secteur informel vers le secteur formel (processus de formalisation). Ces différents

flux témoignent de l’existence de liens, aussi faibles soient-ils, entre les deux marchés du

travail. Cependant, l’existence d’une forte mobilité intra-sectorielle (du statut de salarié à

celui d’indépendant) qui caractérise le secteur informel et qui concerne particulièrement les

informels purs comme l’a montré l’ACM conforte la thèse dualiste du marché du travail.

Au total, la mobilité intra-sectorielle (ascendante et statutaire) qui caractérise le secteur

informel (pur), la relative intégration du marché informel des biens et l’exclusion des activités

informelles des circuits de financement bancaire, institutionnel ou semi-institutionnel ainsi

que la faiblesse des revenus salariaux et non salariaux (particulièrement ceux des informels

purs) remettent en question la thèse de l’intégration et renforcent la vision dualiste du secteur

informel.

71

Tableau 95 : récapitulatif des caractéristiques discriminantes des actifs informels identifiées par l’ACM et la régression logistique

Types informels Types de variables Variables discriminantes Méthode

d’analyse ACM RL Micro-entrepreneurs informels Informels purs

Tenue de comptabilité Aucune comptabilité XX

Lieu d’activité rue XX

Marché X X

chantier X

Effectif employé 0 employé (indépendants) XX X

Niveau d’instruction faible (sans instruc-primaire) X

Age jeunes X

Chiffre d’affaires par tête (revenu) Très Faible (1/2-1 SNMG annuel) X Lieu d’approvisionnement

(fournisseurs)

Pas d’approvisionnement XX

Marché noir X

Grossiste et marché noir X

Raisons de choix de l’activité Subvenir aux besoins XX

Informels hybrides

Tenue de comptabilité Comptabilité irrégulière XX

genre femmes X

Situation matrimoniale célibataires X

ancienneté Sans ancienneté (1 à 3 ans) X X

Secteur d’activité Services (hors commerce) X

Chiffre d’affaires par tête (revenu) Faible (1-3 SNMG annuel) X

Financement activité courante Recours à la famille et amis X

Salariés informels

Genre femmes X

Situation matrimoniale célibataires X

Niveau d’instruction moyen X X

ancienneté Sans ancienneté X

Secteur d’activité Services X X

BTP X

Niveau de salaire Faible (< SNMG) X X

Salariés exerçant un emploi secondaire

Genre hommes X

Secteur d’activité (activité principale) Administration X

Source : composé par nos soins

Lire X : résultat obtenu par l’analyse d’un seul plan factoriel ; (XX) : résultat obtenu par l’analyse de deux plans factoriels.

Tableau 96 : typologie des travailleuses à domicile (ACM) Types de travailleuses à domicile

Variables discriminantes TAD-1 (couture et confection) TAD-2 (production des aliments) TAD-3 (prestation de services)

Age Agées ( ≥ 50 ans) Agées ( ≥ 50 ans) Jeunes (< 30 ans)

Situation matrimoniale mariées mariées Célibataires

Taille du ménage Famille nombreuse (≥7 membres) Famille moyenne (1à 6 membres)

Niveau d’instruction Faible (sans instruction-primaire) Faible (sans instruction-primaire)

Formation professionnelle Revenu principal du ménage Relat élevé (≥30000DA) Sans revenu

Ancienneté dans le travail Anciennes (≥11 ans) Anciennes (≥11 ans) Sans ancienneté (1-3 ans) Chiffre d’affaire (ou revenu individuel) -Elevé (2 SNMG annuel)

-Moyen (1 à 2 SNMG)

Elevé (2 SNMG annuel) Raisons d’exercice du travail à domicile Epanouissement personnel Amélioration du pouvoir

d’achat du ménage Clientèle Particuliers, famille et voisins Entreprises privées

(commerçants)

L’objectif visant à l’identification des caractéristiques discriminantes des actifs informels et la

modélisation de la relation entre l’informalité des actifs et les différentes variables

explicatives, nous a conduit à l’utilisation de deux méthodes d’analyse : l’analyse

multidimensionnelle et l’analyse de régression logistique.

L’analyse multidimensionnelle (ACM) a permis d’établir une typologie des

micro-entrepreneurs (hors travailleuses à domicile) se déclinant en trois catégories : formels purs,

informels hybrides et informels purs ; et une typologie spécifique aux travailleuses à domicile

permettant également de définir trois catégories distinctes : les couturières, les prestataires

de services, et les sous-traitantes de produits alimentaires.

Ainsi, les informels purs (un cinquième de l’ensemble des entrepreneurs) sont essentiellement

des indépendants, issus du salariat informel (mobilité intra-sectorielle) et se caractérisant par

un très faible niveau d’instruction. Ils exercent leur activité dans des lieux spécifiques (rue,

marché) et ne tiennent pas de comptabilité. Leur activité est sous-tendue par une logique de

reproduction sociale d’où leur revenu faible et ils s’approvisionnement auprès du marché noir

(moins coûteux).

Les informels hybrides, moins nombreux (16,8%), représentent un segment intermédiaire

entre les entrepreneurs formels purs et les entrepreneurs informels purs. Leur statut semi-légal

(possession d’un RC ou d’une autorisation administrative, tenue d’une comptabilité même

irrégulière) ainsi que leur jeune âge les prédisposent à une éventuelle intégration dans le

secteur formel de l’économie. Ils se caractérisent en outre par une forte présence des femmes,

célibataires et opérant dans le secteur des services.

Le travail à domicile se décline en prestataires de services (jeunes, célibataires et disposant

d’une compétence professionnelle) ; les couturières (âgées, mariées, analphabètes mais

expérimentées et dont la production est destiné aux particuliers et le revenu moyen) et les

sous-traitantes de produits alimentaires (âgées, mariées, analphabètes et dont la production

est destinée aux commerçants et le revenu moyen).

Les salariés informels se distinguent globalement par la prédominance des femmes,

célibataires et disposant d’un niveau d’instruction moyen. Ils exercent principalement dans le

secteur des services, sans ancienneté, et perçoivent des salaires faibles. Les salariés pluriactifs

se différencient par leur âge relativement avancé (30-49 ans), le statut matrimonial (mariés),

la taille de leur ménage (1 à 6 membres), le secteur d’activité de l’emploi principal

(administration, industrie) et enfin le niveau moyen du salaire de l’activité principale.

L’analyse de régression logistique a permis non seulement de confirmer bon nombre de

résultats obtenus par l’analyse multidimensionnelle relatifs aux facteurs discriminants de

l’informalité (lieu d’activité, taille de l’unité, niveau d’instruction, âge des actifs, ancienneté,

genre, situation matrimoniale, secteur d’activité et niveau du revenu) mais aussi d’identifier

les déterminants de l’informalité des salariés et des non salariés ainsi que de ceux exerçant

une activité secondaire. Ainsi la probabilité pour un non salarié d’être informel varie en sens

inverse de l’âge, du niveau d’instruction, de l’ancienneté et de l’effectif employé au sein de

l’unité. Ceux exerçant leur activité dans des lieux spécifiques (marché, chantier) ont

également une probabilité plus élevée d’être informels. Pour les salariés, la probabilité

d’appartenir au groupe des informels est plus élevée chez les individus célibataires, disposant

d’un faible niveau d’instruction et d’un faible salaire et exerçant dans certains secteurs

d’activité (BTP et services). Les femmes ont une probabilité beaucoup plus élevée de faire

partie des salariés informels. Enfin, la probabilité d’exercer une activité secondaire est plus

élevée chez les hommes, fonctionnaires (administration, éducation et santé).

L’analyse des relations du secteur informel avec le reste de l’économie, qui a mis en évidence,

d’une part, des liens de très faible intensité (notamment sur le marché du travail et le marché

des capitaux) et d’autre part la dynamique propre au secteur informel (mobilité

intra-sectorielle de la main d’œuvre notamment) conduit à conforter la thèse de la segmentation

entre les deux secteurs.

Après avoir cerné les caractéristiques saillantes des différents acteurs du secteur informel et le

poids significatif de ce dernier, il convient maintenant de s’interroger sur les raisons qui

poussent les individus à entrer dans le secteur informel. Ceci est d’autant nécessaire pour

tenter de proposer des orientations de politique économique devant conduire à la

formalisation (progressive) des activités informelles. C’est précisément l’objet du chapitre

suivant qui, après une présentation de l’estimation de la taille du secteur informel, tente

d’identifier les causes fondamentales de l’informalité et de formuler des recommandations à

l’égard du secteur informel.