Chapitre 3 : Le secteur informel en Algérie : définition, mesures et estimation
4. Les mesures visant à réduire le secteur informel
Prenant conscience de l’ampleur et de la croissance du secteur informel dans l’économie, les
autorités ont entrepris ces dernières années, particulièrement depuis le milieu des années
2000, une série de mesures destinées à réduire les activités et pratiques informelles. Celles-ci
se déclinent en mesures réglementaires visant un meilleur contrôle des activités et en mesures
incitatives, aussi bien sur le plan fiscal que réglementaire, pour encourager l’enregistrement
des activités.
4.1. Les mesures réglementaires à l’encontre du secteur informel
4.1.1. La Loi de Finances Complémentaire (LFC) pour 2005 institue une disposition stipulant
que les activités d’importation de matières, produits et marchandises destinés à la revente en
l’état, ne peuvent être exercées que par des sociétés (personnes morales) dont le capital social
est égal ou supérieur à 20 millions de dinars entièrement libérés. Ceci oblige les importateurs
à se constituer en sociétés (personnes morales) dont le capital social doit être au minimum de
20 millions de DA entièrement libérés (ordonnance n°05/05 du 25 Juillet 2005). Cette loi
oblige à toute société d’importation une domiciliation auprès d’une banque et des services
fiscaux
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4.1.2. La LFC pour 2005 oblige également les SARL (forme très répandue, fondée par 2
personnes au moins, dont le nombre est estimé entre 45000 et 50000 en 2005) à recourir aux
services des commissaires aux comptes à partir de janvier 2006, faute de quoi elles se verront
imposer un commissaire aux comptes (jusqu’ici seules les SPA étaient obligées de recourir
aux services de commissaires aux comptes). Cette mesure vise à améliorer la gestion et la
comptabilité des entreprises mais surtout à lutter contre la fraude fiscale.
4.1.3. Les obligations relatives à l’exercice de l’activité sont renforcées à travers une série de
mesures :
L’institution de la solidarité entre le titulaire du RC et le bénéficiaire de la procuration pour le
paiement des impôts et taxes par la loi n° 04.08 du 14 août 2004 implique l’application de la
sanction, en cas de pratiques commerciales frauduleuses ou illicites, au titulaire du RC, au
bénéficiaire de cette procuration et au notaire ou à toute personne ayant établi la dite
procuration ;
La généralisation du numéro d’identification statistique et l’obligation de sa présentation pour
toute opération de dédouanement ;
L’institution du Fichier national des fraudeurs, mis en place en 1997 sur la base d’une
instruction interministérielle pour avoir une meilleure visibilité sur les pratiques frauduleuses
et leurs auteurs ;
Le renforcement des sanctions pour infractions aux règles de facturation par la LFC 2006
(amendes variant de 50000 DA à 1 million de DA et saisie de marchandises ou des véhicules
de transport) ; la modification des dispositions de l’article 65 de la LF pour 2003 pour couvrir
toutes les formes d’irrégularités constatées (fausses factures, factures fictives,..) ;
La sanction pour défaut de déclaration des stocks (institution d’une amende de 100 000 DA
par défaut de dépôt des stocks dans le délai prescrit) ;
La mise en place de brigades mixtes de contrôle (Impôts, Douanes et Commerce) ;
54
L’application de cette mesure contraignante a provoqué la cessation d’activité de 11500 (35,38%) importateurs dont la quasi-totalité, soit 9500 (82,6%), sont des personnes physiques sur les 32500 recensés au niveau national ; le nombre d’importateurs est passé de 32500 à 21500 à fin juin 2006. (Mr Yahiaoui, Directeur de la Régulation et de l’Organisation des Activités au Ministère du Commerce au Journal El Watan du 22/04/2006).
La création d’une structure nationale chargée du contrôle : la Direction des Recherches et
Vérifications, Généralisation du contrôle des revenus dans le cadre des opérations de
Vérifications Approfondies de la Situation Fiscale d’Ensemble (VASFE) ;
La mise en place d’un comité interministériel de coordination des actions de lutte contre la
fraude et l’évasion fiscales ;
La prohibition de l’importation à l’état usagé de pièces détachées, parties et accessoires de
véhicules et engins destinées à être commercialisées (LF 2007) ;
L’obligation pour les commissionnaires en douanes d’être munis d’un mandat établi ou
dument signé par l’importateur ou l’exportateur concerné (LF 2007).
4.2. Les mesures d’incitation à l’activité du secteur privé
Elles se manifestent par l’assouplissement des procédures réglementaires et la simplification
de la fiscalité.
4.2.1. En 2007, les modalités d’inscription au Registre de commerce sont assouplies grâce à la
diminution de 12 à 8 du nombre de documents nécessaires pour l’inscription au RC (seuls les
documents essentiels sont désormais exigés), et à la réduction substantielle depuis 2007 des
délais de délivrance du RC qui sont ramenés de 2 mois (au minimum) à 24 heures. Cependant,
les formalités restent toujours nombreuses et compliquées.
L’affiliation à la CASNOS demeure assujettie à la possession d’un registre de commerce ou
toute autre autorisation administrative (carte d’agrément, carte d’artisan…).
L’amélioration des conditions d’exercice des activités commerciales se traduit par
l’assouplissement des procédures régissant les baux commerciaux notamment en matière de
durée qui est désormais fixée par un accord entre les parties, consigné dans un simple contrat
notarié. La libération du local commercial est effectuée à l’échéance prévue par le contrat sans
prétendre à l’indemnité (loi n° 05.02 du 06 février 2005 modifiant et complétant le code du
commerce).
4.2.2. Les avantages fiscaux accordés sont maintenus et étendus : exonérations d’impôts pour
les nouveaux investisseurs, investissements de rénovation et d’extension pour une période de
3 à 5 ans ; avantages fiscaux accordés dans le cadre de l’ANSEJ, CNAC, ANDI ; franchise de
TVA, des Droits de douane au taux réduit pour les équipements, exemption du droit de
mutation, exonération de l’IBS, de la taxe foncière dans le cadre de la loi sur la promotion de
l’investissement.
La réduction de la pression fiscale se traduit par une série de mesures [Bouderbala, 2003] : la
réduction des tranches du barème de l’IRG de 5 à 3 en 2007 ; la réduction du nombre et des
niveaux d’imposition (pour faciliter la création des entreprises) : l’IBS est de 50% en 1991,
puis est réduit à 42%, 38 % et 30% en 1999, à 25% depuis 2005 ; le taux marginal supérieur
de l’IRG est réduit de 70% en 1991, à 50% puis à 40% en 1999 ; la taxation des biens et
services baisse en nombre et en niveau des taux : 18 taux en 1991, 4 taux en 1992, 3 taux en
1995, 2 taux depuis 2001 ; le taux normal est de 25% en 1991, 21% en 1992, 17% depuis
2001 (7% pour le taux réduit) ; les droits d’enregistrements sont simplifiés et revus à la
baisse ; la baisse des niveaux des impôts d’exploitation (TAP et VF) : la taxe sur l’activité
professionnelle (TAP) passe de 2,55% avant 2001 à 2% depuis 2001 et le versement
forfaitaire (VF) de 6% avant 2001, il passe à 5% en 2001, 4% en 2002, 3% en 2003, et 0%
depuis 2005.
La simplification se traduit par deux mesures importantes. La première est l’institution d’un
impôt unique sur le revenu des personnes physiques (IRG applicable au total des revenus dont
dispose une même personne) et de l’IBS applicable aux personnes morales.
La seconde est l’institution d’un Impôt Unique Forfaitaire (IUF) qui remplace les impôts et
taxes (IRG, TVA et TAP) auxquels étaient soumis les contribuables suivis au régime du
forfait : le taux de l’IUF de 12% est applicable à l’activité de prestation de service, le taux de
6% est applicable à l’activité d’achat et de revente en l’état. Cet IUF s’applique aux personnes
physiques dont le commerce principal est la vente de marchandise ou d’objets et dont le CA
ne dépasse pas 3 millions DA, y compris les artisans exerçant une activité artisanale d’art ;
aux personnes physiques exerçant d’autres activités et prestations de services relevant de la
catégorie des BIC lorsque leur CA annuel n’excède pas 3 millions DA ; aux personnes
physiques exerçant simultanément ces deux activités (LF 2007).
Les différentes estimations de l’économie informelle réalisées depuis le milieu des années
1980 ont abouti à des résultats très disparates. Ceci s’explique aussi bien par les limites des
approches indirectes utilisées pour mesurer le phénomène de l’informalité que par les
spécificités des objets étudiés : secteur informel, emploi informel, économie non observée,
économie souterraine, etc. et qui recouvrent comme nous l’avons montré des champs
différents. En dépit de la variabilité des résultats, liée également à la diversité des sources de
données mobilisées, ces estimations mettent en évidence le poids significatif et croissant des
activités informelles dans l’économie nationale.
Les estimations du secteur informel et de l’emploi informel au niveau national que nous avons
tentées sur la base des données de l’enquête emploi de l’ONS de 2007, en utilisant les
différents critères (pris séparément) de la définition du BIT, ont également conduit à des
résultats très variables. Ceci montre, d’une part, les limites d’une approche monocritère et
donc la nécessité de lui substituer une approche multicritère (que nous n’avons pas pu utilisée
compte tenu de la nature des données disponibles) et d’autre part la pertinence du concept de
l’emploi informel qui, comme l’ont révélé les différentes estimations, est plus large que celui
de secteur informel.
L’importance du secteur informel a conduit l’Etat, notamment à partir de 2005, à prendre un
certain nombre de mesures dont certaines sont destinées à endiguer le phénomène (mesures
réglementaires visant un renforcement du contrôle des activités) et d’autres à inciter à la
formalisation des activités (mesures fiscales notamment).
Ces mesures, ponctuelles et fragmentaires, sont insuffisantes et ne semblent pas toutes
adaptées à la situation du secteur informel. En effet, les spécificités et les contraintes de ce
secteur, révélées par notre enquête de terrain, appellent comme nous le montrons dans le
chapitre 7 une politique globale et incitative englobant plusieurs volets (fiscalité, financement,
formation, information, etc.) et dont l’objectif n’est pas d’endiguer les unités informelles mais
de les amener progressivement à intégrer le cadre formel de l’économie.
L’enquête ménages que nous avons réalisée à Bejaia auprès d’un échantillon représentatif
(522) a permis d’obtenir des informations fines et diverses sur le secteur informel
(caractéristiques et motivations des actifs informels, revenus informels, logiques en oeuvre,
etc.). En outre, la base de données obtenue a permis d’utiliser l’approche multicritère du BIT
(en croisant plusieurs critères) et qui permet de mieux identifier et mesurer le secteur
informel. Les résultats de cette enquête ainsi que les aspects méthodologiques de celle-ci font
l’objet des chapitres suivants.
Dans le document
L'économie informelle en Algérie, une approche par enquête auprès des ménages : le cas de Bejaia
(Page 82-85)