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Les relations du pharmacien

Partie II : Pratique officinale sous la loi de Germinal (1803-1941)

4) Évolutions des officines de pharmacie : 1803-1941

4.6 Les relations du pharmacien

Nous allons maintenant nous intéresser aux relations entretenues entre les pharmaciens, puis à celles qu’ils entretiennent avec leurs patients.

4.6.1 Rapports entre les pharmaciens

Au début du XIXème siècle les rapports entre confrères ne sont plus régis par les statuts des

corporations. Tous les groupements professionnels étant dissous par la loi Le Chapelier 1, il ne subsiste guère que les Sociétés de Pharmacie pour maintenir un lien, comme celle de Paris dont nous avons déjà beaucoup parlé. La situation évolue lentement puis se débloque le 21 mars 1884, lors de la publication de la loi Waldeck-Rousseau : les différentes professions françaises sont à nouveaux libres de former des syndicats professionnels « pour

la défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles. » Différentes

chambres syndicales se mettent en place, elles participeront à de nombreux travaux sur la réglementation de la profession.

Bien que non contraints légalement, les pharmaciens établissent divers systèmes de coopération et d’entraide professionnelle : ils créent la Mutuelle des pharmaciens en 1890, la Caisse mutuelle pharmaceutique des retraites en 1902, le Comptoir national de la Pharmacie française en 1920 et la Fédération des Sociétés de Secours Mutuels Pharmaceutiques.

Les associations commerciales sont nombreuses, nous avons déjà évoqué l'Office Commercial Pharmaceutique, la Pharmacie Centrale de France, la Coopération Pharmaceutique Française. Nous pouvons ajouter quelques groupements d'achat comme la Fédération des Groupements Corporatifs Pharmaceutiques de France à Rouen, Nantes, Caen, Orléans, … Ou encore la Fédération des Groupements Syndicaux d'Achat en Commun des Pharmacies de France et des Colonies, à Lyon. (5)

Dans la première partie du XXème siècle tous les secteurs de l'activité économique du pays

sont à la fois hautement concurrentiels et relativement peu réglementés. L'ardeur et l'acharnement déployé à la destruction des concurrents n'épargne pas les pharmaciens : la guerre de la publicité fait rage, les remèdes fabriqués par les uns sont décrédibilisés par les autres, certains n’hésitent pas à vendre à perte pour faire parler d'eux, ni à débaucher le personnel qualifié des confrères. La profession ne peut que constater « les dérives immorales

de confrères saisis par le démon du commerce et les agissements d'aventuriers sans scrupules » auxquels il faudrait apporter une réponse appropriée.

Le métier d’alors est parfaitement décloisonné et dynamique : il est possible d'être au cours d'une seule carrière pharmacien officinal, « pharmacien en chef de l'hôpital militaire de Lille,

inspecteur des pharmacies, membre du Conseil d'Hygiène, représentant de la pharmacie au Conseil académique, vice-président de la Société de pharmacie de Lille, membre correspondant de la Société de pharmacie de Paris, membre de la Société de médecine du Nord de la France » et professeur de la faculté de Lille ! Pour ne citer ici, en exemple, que les

fonctions les plus importantes d'Henri-Aimé Lotar. (141)

4.6.2 Rapports avec la patientèle

La littérature du XIXème et de la première partie du XXème siècle ne se lasse pas des

stéréotypes pharmaceutiques, et nous les transporterons sans doute encore longtemps. Pour reprendre à nouveau l'excellente thèse d'Eric Fouassier - sur L'image et le rôle du

pharmacien d'officine : une réflexion illustrée par la littérature - nous pouvons citer d’autres

écrivains de cette période : André Theuriet, décrivant un pharmacien « froid, compassé,

flegmatique, fermé comme l'armoire où il met sous clef ses substances vénéneuses et ne parlant que par sentences brèves : un visage rigide et glabre, impénétrable, dont les petits yeux gris eux-mêmes semblent figés dans une glaciale immobilité ; un corps sans souplesse, boutonné dans une redingote olive, dont les manches trop longues tombent sur des poings ronds et durs comme des pillons. […] Il vivait casanièrement, austèrement, dans sa boutique où il économisait sous par sou pour son fils unique Arsène. À l'exception du Codex et du journal de la localité, il ne lisait jamais […]. Il n’estimait que les gens d'affaires dont la vie était méthodiquement rangée et étiquetée comme les bocaux de sa pharmacie ».

L'auteur Jules Mayor rétablit l’équilibre, en offrant les mêmes égards aux femmes pharmaciens nouvellement installées dans la profession : « le pharmacien (Cécile Airelle)

étudie des réactions, mais, lui-même, ne réagit pas. Il est neutre. Il relève de deux états chimiques : amorphe et déliquescent. Oui, cet être inconsistant n'existe pas, ne proclame point qu'il vit et qu'il veut vivre et, dans le troupeau des humains, il est le mouton le mieux tondu. Le législateur ne s'occupe de lui que pour l'embêter. Il lui a dit : « tu seras scribe » et il passe ses soirées en écritures. N'est-il pas naturel que ce pantouflard coiffé d'une calotte de bedeau soit l'individu le moins combatif de la création ? Quand d'autres fourbissent des épées, il effile des suppositoires. Chevalier du pilon, autrefois prince de la seringue … Sont-ce là des armes qu'il est décent de brandir ? » (85)

Norbert Casteret nous offre un souvenir d'enfance plus valorisant : « le pharmacien, lui

aussi, me passionnait et j'admirais ses gestes lorsqu'il pesait des ingrédients sur ses fines balances, quand il broyait, malaxait les « remèdes » dans son mortier de marbre, quand il fabriquait des cachets de pain azyme avec une petite presse à main. Tout cela se passait dans le plus grand silence jusqu'au moment où le produit m'était livré, soit dans une pochette en papier, soit dans une petite boite en carton ou dans un flacon artistiquement fermé d'un bouchon encapuchonné d'un papier plissé. »

L'arrivée des spécialités, mal vécue par la profession, se retrouve aussi dans la littérature. Revenons à nouveau à Jules Mayor qui écrit en 1934 : « le pharmacien est un être studieux

qui, dans la première partie de son existence, s'occupe de chimie, de physique, de botanique, de micrographie, de dosages et subit une dizaine d'examens. Il a droit au titre d'homme de science jusqu'au jour où il acquiert son diplôme. Le lendemain, il devient commis de magasin. Oui, il connaît, au moins une fois dans sa vie, une catastrophe. Il fait une chute brutale dont il ne se rétablit jamais. […] Il n'y a plus d'art pharmaceutique. Le pharmacien moderne débite des produits tout faits, des spécialités. Il n'est qu'un intermédiaire instruit entre les grosses firmes et la publicité. On peut envisager sérieusement de le remplacer par un distributeur automatique. Il n'y gagne rien en dignité. Cependant, le métier est lucratif. Suffisamment pour assurer l’existence. Quant à faire fortune ! Voyez derrière les comptoirs, que de vieillards aux cheveux blancs » (85)

Je ne peux que remercier Mr Mayor pour cette excellente transition vers la dernière partie de notre étude, nous y verrons par quels moyens la profession s'est à nouveau transformée.

Partie III : Pratique officinale moderne (1941-2000)

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Dans cette troisième et dernière partie nous rejoindrons la pharmacie contemporaine en nous intéressant aux principales évolutions réglementaires de la fin du deuxième millénaire, nous retournerons ensuite une dernière fois à l'évolution des pratiques à l’échelle des pharmacies d'officine.

1) Lois organiques de la pharmacie moderne

La revalorisation de la profession tant souhaitée par les pharmaciens prend corps au cours des évènements tragiques de la seconde guerre mondiale. Le nom des lois, des ordonnances et décrets cités ici ne sont plus en vigueur aujourd'hui, cependant leurs idées et leurs principes sont eux toujours en application.

1.1 Lois du Régime de Vichy

Le conseil des ministres du gouvernement de Vichy impose à l'ensemble de la profession une nouvelle réforme majeure. La loi du 11 septembre 1941, relative à l'exercice de la pharmacie, expose clairement ses intentions : « Monsieur le Maréchal, l'exercice de la

pharmacie en France est régi essentiellement par deux textes : la déclaration royale du 25 avril 1777 et la loi du 21 germinal an XI. […] Cette constatation comporte en elle-même la critique fondamentale de la législation. Celle-ci n'est plus adaptée à l'état actuel de la profession pharmaceutique. […] Tous les groupements professionnels pharmaceutiques, les

35 Couverture du Codex Medicamentarius Gallicus, 7ème édition (1949).