• Aucun résultat trouvé

Partie II : Pratique officinale sous la loi de Germinal (1803-1941)

2) La loi face à 138 ans d'évolution des pratiques

2.2 Évolution des mœurs

Les progrès scientifiques et technologiques ne sont pas les seuls à motiver des modifications du droit pharmaceutique. Nous allons maintenant étudier l’influence des mœurs, plus particulièrement leur impact sur l'organisation des études pharmaceutiques et sur la prise en charge des médicaments.

2.2.1 Études pharmaceutiques

L'ancien système d'apprentissage, basé sur l'acquisition d'une expérience pratique au sein d’une pharmacie locale, se fait progressivement remplacer par un nouveau mettant en valeur un enseignement universitaire de portée nationale. Voici les principales étapes de cette évolution :

Principales évolutions de l'enseignement de la pharmacie (1803-1941)

1803 Le ministre de l'Intérieur autorise l'école de pharmacie de Montpellier à modifier ladernière épreuve, la soutenance d'une thèse imprimée devient obligatoire. 1815 La soutenance d'une thèse devient possible à Paris, en restant facultative.

1818 La soutenance d'une thèse devient possible à Strasbourg, en restant facultative. 1831 La soutenance de la thèse devient facultative à Montpellier.

Principales évolutions de l'enseignement de la pharmacie (1803-1941)

1840

Les écoles supérieures de pharmacie sont intégrées aux universités, le diplôme de bachelier en lettres devient obligatoire avant toute inscription.

Les écoles secondaires deviennent des écoles préparatoires.

Des nouvelles matières sont enseignées : on ajoute l'étude de la matière médicale, de la physique, de la chimie et de la toxicologie. (6)

1841

Création du doctorat d'université, les thèses de pharmacie disparaissent.

On fonde les écoles pratiques, ce sont des laboratoires destinés à former les étudiants aux diverses manipulations pharmaceutiques. (6)

1854

Les études théoriques deviennent obligatoires dans les deux cursus prévus par la loi de Germinal, il devient nécessaire d'avoir au moins une inscription dans une école supérieure ou dans une école préparatoire.

Création de 21 écoles préparatoires (et d'une 22ème à Alger en 1857).

Des suggestions de limitation sont émises, les examens deviennent plus difficiles.

1855

Les jurys départementaux sont supprimés, cette décision est motivée par la diminution de la fréquentation des écoles supérieures et par certaines réceptions anormales de « pharmaciens incapables ». (99) Les étudiants seront maintenant reçus par les jurys des écoles supérieures et ceux des écoles préparatoires. Durant les 52 années de leur existence les jurys départementaux ont délivré 57% des diplômes. (6)

Les élèves étudiant 3 années dans les écoles supérieures (Paris, Montpellier et Strasbourg) et accomplissant 3 années de stage en officine obtiennent le titre de « pharmacien de première classe », ils peuvent exercer sur tout le territoire.

Les étudiants effectuant 4 à 6 années de stages poursuivies par 1 à 2 ans et demi d'étude dans les écoles préparatoires ou supérieures obtiennent le titre de « pharmacien de seconde classe ». Ce diplôme est ouvert aux titulaires du « simple » certificat de grammaire, les titulaires du titre de pharmacien de seconde classe ne peuvent exercer que dans la limite du département de leur réception. Une différence notable de niveau subsistera entre ces classes jusqu'à l'uniformisation des deux parcours. (100)

Principales évolutions de l'enseignement de la pharmacie (1803-1941)

1874

Mme Androline Domergue devient la première femme française pharmacien, elle est

diplômée par l'école supérieure de Montpellier. (101)

Création des écoles de plein exercice, elles occupent une place au milieu entre les écoles supérieures et les écoles préparatoires. On en fonde six : Lille (1874), Marseille (1875), Nantes (1876), Toulouse (1887), Alger (1888) et Rennes (1895). Celles de Lille, Toulouse et Alger seront rapidement transformées en facultés mixtes. Création des facultés mixtes de médecine et de pharmacie. Ces facultés voient le jour à Bordeaux et Lyon en 1874, à Lille en 1875, à Toulouse en 1890 et à Alger en 1910.

1877 Création du diplôme de pharmacien supérieur nécessitant la soutenance d'une thèse, il devient obligatoire pour candidater à l'agrégation en pharmacie.

1885 La durée de la formation est uniformisée pour les deux classes de pharmacien : 3ans d'études et 3 ans de stage. 1890 On accepte les femmes qui se présentent aux écoles de Montpellier et de Toulouse.Paris s'y ajoute en 1900 (initialement 2% des étudiants).

1898

Création du doctorat d'Université mention pharmacie, il ne confère pas le titre de Docteur à son titulaire.

Le nombre d'étudiants en première classe va en diminuant, de plus le niveau des pharmaciens de seconde classe est toujours jugé insuffisant. En réponse à ces phénomènes, on supprime le diplôme de pharmacien de seconde classe. (6)

1906 Le serment, jugé « à connotation religieuse », est supprimé. Il n’apparaît plus nécessaire de « multiplier les engagements solennels du pharmacien » . (102)

1909

La durée du stage est réduite à un an, il doit être fait avant la scolarité. La durée des études passe à 4 ans.

La tenue du cahier de stage devient obligatoire, pour pouvoir former un étudiant le pharmacien maître de stage doit être agréé. Le stagiaire rémunère toujours son maître.

1919 La ville de Strasbourg, redevenue française à l'issue de la première guerre mondiale,se voit dotée d'une nouvelle école supérieure de pharmacie, en remplacement de l'ancienne qui demeure ouverte à Nancy.

1920

Les écoles supérieures de pharmacie deviennent des facultés de pharmacie, ce changement consacre une égalité entre les cursus de pharmacie et de médecine. Création de la faculté de pharmacie de Toulouse.

Principales évolutions de l'enseignement de la pharmacie (1803-1941)

1937

De nombreuses matières se sont ajoutées au fil du temps, on en compte maintenant 16 incluant la pharmacologie, la pharmacodynamie, la pharmacie chimique et galénique, le droit pharmaceutique, l'hygiène, l'hydrologie, la microbiologie, la virologie, la parasitologie, l'anatomie, la physiologie, la zoologie, les mathématiques appliqués aux sciences expérimentales, …

Dans le but de limiter le nombre des diplômés les études deviennent encore plus difficiles, les examens sont plus nombreux et les examinateurs peuvent éliminer définitivement tout étudiant dont le niveau serait jugé insuffisant.

1939 Création du doctorat d’État en pharmacie, il confère « toutes les prérogativesattachées au diplôme supérieur de pharmacien de 1ère classe. », il permet également

à son titulaire d'obtenir le titre de « Docteur en pharmacie ». (103)

L'organisation de deux cursus parallèles ne paraît pas souhaitable aujourd'hui, cependant de 1855 à 1898, le diplôme de pharmacien de seconde classe servit d'ascenseur social à de nombreux étudiants aux moyens modestes, ou n'ayant tout simplement pas la possibilité d'aller étudier dans une ville munie d'une école supérieure. Une fois l'inscription en seconde classe réalisée il est permit aux étudiants de tenter le baccalauréat, en l’obtenant l'inscription pouvait être requalifiée en première classe. Ce fût le cas d'Henri Moissan, pharmacien de première classe initialement inscrit en seconde, connu pour sa découverte du fluor, dont les nombreux travaux lui valurent le prix Nobel de chimie en 1906. (100)

Le nombre des étudiants ne cesse d'augmenter, les différents articles d'époque parlent même d'une « pléthore d'étudiants ». Le nombre des officines augmente également, passant de 5 803 en 1866 à 11 500 à en 1911. Ce chiffre se stabilise vers 12 000 en 1940. Le maillage territorial devient satisfaisant, allant jusqu'à desservir les campagnes qui n'ont jusqu’alors jamais connu d'apothicaires. Grâce aux progrès des transports Il n'est en effet plus nécessaire d'établir son officine à proximité des grands flux commerciaux. Cet afflux de diplômés et d'officines, très éloigné de la désertification rencontrée à la fin des corporations, conduit à des réflexions sur une limitation de ces chiffres. Il est assez cocasse de s’apercevoir que ces nouvelles réflexions n'oublient pas ce qui fut tenté par le passé. Un article de Maurice Bouvet, publié en 1935, étudie même les anciens statuts des corporations pour dégager quelques pistes de réflexion. (25)

2.2.2 Les assurances sociales

En 1883 le Chancelier Otto von Bismarck instaure en Allemagne, et également dans le Reichsland Elsaß-Lothringen (Alsace-Lorraine), un système d'Assurance Maladie et d'Invalidité encore inconnu en France. La troisième République se met à l'ouvrage le 15 juillet 1893 en publiant la loi sur l’assistance médicale gratuite : « tout Français malade, privé de

ressources, reçoit gratuitement de la commune, du département ou de l’État suivant son domicile de secours, l'assistance médicale à domicile ou, s'il y a impossibilité de le soigner

utilement à domicile, dans un établissement hospitalier. » En finalité ce seront les Conseils

Généraux Départementaux qui prendront en charge ces frais, ils établiront chacun une liste limitative des médicaments concernés et du montant remboursé. La loi du 9 avril 1898 « sur

les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail » permet la

prise en charge des médicaments des victimes d'accident du travail, une autre liste limitative spécifique est établie dans ce but par le Comité Consultatif des Assurances contre les Accidents du Travail, avec l'accord de la Compagnie d'Assurance. Le 31 mars 1919 une troisième liste spécifique est établie concernant le cas des mutilés de guerre. (4)

À la sortie de la seconde guerre mondiale le rattachement de l'Alsace-Lorraine pose problème, la protection sociale favorable s'y étant établie sera la cause de 10 années de débats parlementaires. Suite à ces travaux la France adopte le 5 avril 1928 un texte de loi établissant l'Assurance Vieillesse et l'Assurance Maladie pour tous les salariés, le 30 avril 1930 la loi des Assurances Sociales complète le texte. On crée les Caisses Primaires Départementales, elles ont à charge la gestion des Assurances Sociales. (104)

En ce qui concerne les médicaments, on nationalise progressivement les prix des différentes listes limitatives départementales : le 10 janvier 1935 pour l'assistance médicale gratuite, le 1er août 1935 pour les mutilés de guerre et le 7 juillet 1938 pour les accidents du travail. (4)

Les assurés sociaux verront le même progrès le 15 mars 1938, date de création de la première liste limitative distinguant la prise en charge des médicaments des autres prestations pharmaceutiques. Pour être remboursés les médicaments doivent être inscrits auprès du Laboratoire National du Contrôle des Médicaments, ils sont répartis en 4 catégories :

Catégorie Remboursement Traitements

A 80% Vaccins, traitements antivénériens et spécialités biologiques. B 80% (<25 Fr)60% (>25 Fr) 1 7000 spécialités pharmaceutiques.

C 40% 2000 spécialités pharmaceutiques parmi les plus courantes. D 10% Spécialités les plus coûteuses ou faisant l'objet de publicité

auprès du grand public.

Le prix de vente est basé sur le tarif interministériel, il est fixé par convention après des négociations entre les syndicats pharmaceutiques et les caisses d’Assurances Sociales. En dépit d'efforts d'uniformisation, la prise en charge reste quelque peu différente en fonction du type de maladie (accident du travail, mutilation de guerre, invalidité, …) et du malade (régime spécial, Alsace-Lorraine, …). (105)