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Lois organiques de la pharmacie moderne

Partie III : Pratique officinale moderne (1941-2000)

1) Lois organiques de la pharmacie moderne

La revalorisation de la profession tant souhaitée par les pharmaciens prend corps au cours des évènements tragiques de la seconde guerre mondiale. Le nom des lois, des ordonnances et décrets cités ici ne sont plus en vigueur aujourd'hui, cependant leurs idées et leurs principes sont eux toujours en application.

1.1 Lois du Régime de Vichy

Le conseil des ministres du gouvernement de Vichy impose à l'ensemble de la profession une nouvelle réforme majeure. La loi du 11 septembre 1941, relative à l'exercice de la pharmacie, expose clairement ses intentions : « Monsieur le Maréchal, l'exercice de la

pharmacie en France est régi essentiellement par deux textes : la déclaration royale du 25 avril 1777 et la loi du 21 germinal an XI. […] Cette constatation comporte en elle-même la critique fondamentale de la législation. Celle-ci n'est plus adaptée à l'état actuel de la profession pharmaceutique. […] Tous les groupements professionnels pharmaceutiques, les

35 Couverture du Codex Medicamentarius Gallicus, 7ème édition (1949).

établissements scientifiques spécialisés sont d'accord pour réclamer cette réforme ; le texte qui vous est présenté correspond à ces aspirations et il s'inspire, en outre, de la réorganisation corporative et administrative de l’État français. Il nous a paru plus logique de réunir dans un seul texte ; destiné à constituer le Code de la pharmacie française, à la fois l'organisation corporative et la réglementation de la profession. » Le choix des termes est

intéressant, nous voilà revenus à une organisation corporative modernisée de la pharmacie ! Voyons les principaux points de ce texte :

➢ Le titre Ier précise les dispositions générales. Il réserve aux pharmaciens la

préparation, la vente en gros et la vente au détail des médicaments « destinés à

l'usage de la médecine humaine : c'est-à-dire de toute drogue, substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines et conditionnée en vue de la vente au poids médicinal.

» Il leur réserve de même les pansements, les articles du Codex incluant les plantes médicinales qui y sont inscrites et les produits biologiques « pouvant servir sous une

forme quelconque au diagnostic, à la prophylaxie ou à la thérapeutique. »

Cette partie forme la toute première définition légale du médicament, conjointe à la description du monopole pharmaceutique. Avec la mention de « la vente en gros » les répartiteurs passent maintenant sous le régime spécifique de la loi pharmaceutique. Les acteurs de l'industrie produisant les matières premières en demeurent eux dispensés, « à condition que [leurs] produits ne soient jamais délivrés

directement aux consommateurs pour l'usage pharmaceutique. »

➢ Le titre II réorganise la profession : on instaure dans chaque département une chambre départementale des pharmaciens dont les principales prérogatives consistent à donner un avis sur l’octroi des licences d'ouverture et de transfert des officines, sur le remplacement des titulaires, sur la limitation et sur la répartition des officines. Ce conseil, composé de pharmaciens élus, peut également saisir le directeur régional de la santé et de l'assistance pour lui demander de réaliser des inspections. Chaque région est dotée d'un conseil régional des pharmaciens ; on y trouve des professeurs des facultés de médecine et de pharmacie désignés par le recteur de l'académie, des délégués des chambres départementales et un certain nombre de membres élus. Ce conseil est qualifié pour exercer des décisions de justice, ses principales fonctions sont d'analyser les affaires pharmaceutiques régionales, les résultats des inspections et d'émettre au besoin des sanctions disciplinaires envers les pharmaciens fautifs. Ces sanctions peuvent être une réprimande, un blâme avec inscription au dossier, une suspension maximale de 3 mois ou une interdiction totale d'exercice. Des peines plus sévères peuvent être prononcées par le préfet, un recours en seconde instance est possible en cas de contestation.

À l'échelle nationale on établit une chambre des fabricants et une chambre des droguistes et répartiteurs, elles sont toutes les deux chargées de surveiller l'activité professionnelle de leurs membres et de défendre leurs intérêts respectifs.

Il ne reste plus qu'à présenter le conseil supérieur de la pharmacie composé de différents professeurs des facultés, des délégués des conseils régionaux, des délégués de la chambre des fabricants et de celle des droguistes répartiteurs, et enfin de membres élus. Son rôle est de délibérer « sur les affaires soumises à son examen par

le secrétaire d’État », sur des questions d’intérêt général se rapportant à la

pharmacie et de coordonner l'action des conseils régionaux.

➢ Le titre III réglemente la publicité pharmaceutique en la soumettant à des restrictions, certes anecdotiques, mais qui n'existaient pas auparavant.

➢ Le titre IV précise les conditions d'exercice de la pharmacie d'officine. Les 19 articles de ce titre sont tous importants, citons par exemple l'exercice professionnel personnel et exclusif du pharmacien titulaire, la présence continue d'un pharmacien diplômé à chaque heure d'ouverture, la nécessite du contrôle effectif du pharmacien sur ses salariés (un arrêté viendra préciser un nombre minimal de pharmaciens à employer en fonction du nombre de préparateurs et d'élèves), l'interdiction du colportage, du racolage, des cadeaux, la limitation du nombre des pharmacies par le conseil régional des pharmaciens accompagnée de la fermeture des officines tenues illégalement par des prête-noms (que le texte estime à 20% dans les grandes villes), ou de celles jugées en surnombre contre une indemnisation proportionnelle à l'estimation de la valeur de l'officine. (91)

➢ Le titre V réglemente l'activité des industriels producteurs de médicaments. Son chapitre 2 définit à nouveau la spécialité pharmaceutique en ajoutant une phrase importante : « aucune spécialité ne peut être exploitée qu 'après qu'elle aura été

revêtue […] du visa du secrétaire d’État à la famille et à la santé, sous proposition du comité technique des spécialités. » Ce visa, dont les conditions de délivrance restent à

définir dans un prochain texte, marque une nouvelle étape dans le contrôle des médicaments : le comité technique évalue désormais l'absence de danger. L'analyse de l'efficacité du médicament n’est pas encore évoquée.

➢ Le titre VI place l'inspection des pharmacies sous l'autorité du secrétaire d’État à la famille et à la santé, les inspecteurs régionaux sont désormais recrutés sur concours. Une subtile phrase, discrète, transfert le coût de ces inspections aux pharmaciens. ➢ Le titre VII supprime le diplôme d'herboriste, cependant ceux qui l'ont obtenu avant

le 11 novembre 1941 conservent le droit d'exercer leur profession et peuvent donc délivrer des plantes du monopole pharmaceutique - y compris sous forme de mélanges - à l'exception toutefois des plantes figurant dans les tableaux des substances toxiques.

➢ Le titre VIII dissout les syndicats, les groupements et les organismes professionnels « se rapportant à la défense des intérêts de la profession pharmaceutique ». Son article 61 condamne à nouveau l’exercice illégal de la pharmacie 1.

1.2 Lois du Gouvernement Provisoire de la République Française

Après la Libération les lois promulguées sous l'Occupation sont peu à peu dépecées. Le Gouvernement Provisoire de la République Française réévalue l'ensemble des textes promulgués par le Gouvernement de Vichy, et on ne peut douter du fait que la « réorganisation corporative et administrative de l’État » du Maréchal Philippe Pétain passe de mode ! L'ordonnance n°45-919 du 5 mai 1945 l'expose formellement : « avec le retour à

la légalité républicaine, il convenait de faire revivre les syndicats pharmaceutiques antérieurs qui n'avaient démérité, aux yeux de l'autorité de fait, que par leur provenance d'essence démocratique. L'ordonnance du 15 décembre 1944 rétablit dans leurs droits tous les syndicats de la pharmacie existant avant 1941. »

Le premier texte crée l'Ordre National des Pharmaciens chargé « d'assurer la sauvegarde de

la moralité professionnelle du pharmacien. […] D'assurer le respect des devoirs professionnels [et] d'assurer la défense de l'honneur et de l'indépendance de la profession. » Tous les

pharmaciens doivent y adhérer, l'Ordre comporte à ce moment 4 sections : la A pour les pharmaciens titulaires d'officine, la B pour les pharmaciens exerçant dans les fabriques des spécialités pharmaceutiques, la C pour les pharmaciens droguistes et répartiteurs et la D pour tous les autres pharmaciens (les pharmaciens hospitaliers, mutualistes, biologistes, salariés et ceux qui ne sont pas susceptibles d'être inscrits dans les autres sections ; à l'exception des pharmaciens inspecteurs non-inscrits). Chaque section est dirigée par un conseil central siégeant à Paris, l'ensemble des sections sont regroupées dans le Conseil National de l'Ordre des Pharmaciens.

La section A comporte 21 conseils régionaux, les pharmaciens y sont élus pour un mandat de 4 ans. Le conseil régional est chargé d'actions similaires à celles des anciens conseils régionaux du régime de Vichy, on peut noter l'ajout du devoir de gestion des inscriptions au tableau A de l'ordre (obligatoire pour exercer) et le pouvoir de prononcer une suspension d'exercice maximale de 5 ans. Les anciennes chambres départementales sont dissoutes. Les sections B, C et D n'ont qu'un échelon national, elles ont les mêmes droits et les mêmes attribues que les conseils régionaux de la section A. (91)

Le Conseil National de l'Ordre des Pharmaciens rappel l'ancien Conseil Supérieur de la Pharmacie : il est composé de professeurs des facultés de médecine et de pharmacies, d'un inspecteur, de représentants des 4 sections et de deux pharmaciens membres de la Société de Pharmacie de Paris. Ses principales prérogatives sont similaires.

Quelque temps après la loi du 11 septembre 1941 est validée par l'ordonnance n°45-1014 du 23 mai 1945 signée par le Général Charles de Gaulle. Elle apporte plusieurs petites modifications : le nombre des officines est maintenant limité par le nombre d'habitants de la ville d'installation ; de plus une distance minimale pourra être imposée entre deux officines. Il n'est plus ici question de racheter les officines jugées en surnombre.

Du côté du ministère de la Santé publique, on se réserve à présent le droit de révoquer les visas accordés, sous l'émission d'une proposition motivée du comité technique des spécialités. Le règlement du prix des inspections incombe à nouveau à la charge de l’État. L'ordonnance n°45-2250 du 4 octobre 1945 et l'ordonnance n°45-2454 du 19 octobre 1945 étendent l'« organisation de la sécurité sociale 1 » à l'ensemble des Français.

La loi Vourc'h du 22 mai 1946 change les modalités d'accord des visas : pour l'obtenir les spécialités doivent « présenter un caractère de nouveauté ainsi qu'un intérêt

thérapeutique. » Cette loi légalise et maintient une pratique d'après-guerre consistant à

imiter des spécialités déjà existantes, dans le but initial de palier aux pénuries. Lorsqu'un nouveau visa est attribué, la spécialité en question bénéficie désormais d'une protection contre les imitations sur une durée totale de 6 ans. Le médicament au statut de « produit sous cachet » doit adopter le nom scientifique du médicament original ; cette mesure ne plaira pas aux industriels et diminuera nettement les investissements consacrés à la recherche et à l'innovation.

La loi n°46-1182 du 24 mai 1946 « fixant le statut des préparateurs en pharmacie » ne reconnaît comme préparateur que les « personnes âgées de 20 ans révolus titulaires du

brevet » ; à titre transitoire elle accepte également « toute personne âgée de 21 révolus à la date de la promulgation de la présente loi et ayant à son actif cinq années de pratique professionnelle. » D'une manière moins compréhensible « le conjoint, les ascendants et descendants en ligne directe du pharmacien titulaire seront, aux conditions prévues par l'alinéa ci-dessus, assimilés de plein droit aux bénéficiaires des présentes mesures de transition. » Les modalités d'enseignement et d'examen du brevet professionnel de

préparateur en pharmacie seront publiées dans un décret ultérieur, en 1947.

1.3 Lois de la Quatrième République

Entre 1945 et 1947 les frais de santé des Français augmentent bien plus rapidement que les cotisations perçues par les Assurances Sociales. L’État doit réagir pour restaurer l'équilibre, les différents travaux parlementaires aboutissent le 18 août 1948 à la loi Solinhac « relative

au remboursement par la sécurité sociale des spécialités pharmaceutiques » : la catégorie D

de remboursement supprimée en 1946 et le restera par soucis d'économie ; « les

médicaments diététiques, les produits de régime, les eaux minérales, les vins, […] les élixirs, les dentifrices, les produits de beauté, […] les médicaments dont la teneur en principes actifs est reconnue insuffisante […] et les spécialités pharmaceutiques dont le prix de vente au public dépasse de 20% le prix obtenu en faisant application du tarif pharmaceutique 1 » ne peuvent donner lieu à aucun remboursement. La liste des spécialités remboursables est mise à jour par une « commission interministérielle » puis est publiée dans le Journal Officiel. Pour la première fois le Gouvernement impose aux industriels un prix de vente forfaitaire basé sur les coûts de production et de recherche. Cette rémunération jugée insuffisante est une autre cause de l’effondrement des investissements dans la recherche pharmaceutique.

Le fameux Code de la pharmacie évoqué dans la loi du 11 septembre 1941 voit le jour grâce à la publication du décret du 6 novembre 1951 ; sa vie sera courte puisque le décret du 5 octobre 1953 l'intégrera au Code de la Santé Publique. Ce Code achève notre suivi des évolutions des grandes lois pharmaceutiques, étant toujours d'actualité.