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1.3 - Relations mère-enfant

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 65-69)

« Notons qu’il nous a été totalement impossible de trouver une femme meurtrière d’un enfant adoptif. Après de longues recherches, tous les cas examinés relevaient d’infanticide commis sur un enfant biologique » (M. Benhaïm, 1992). Autrement dit, le crime commis est associé au lien spécifique qui unit une mère et l’enfant auquel elle donne la vie.

M. Rouyer et M. Drouet (1995) ont développé « un essai de synthèse entre la description des mauvais traitements, les mécanismes qui permettent leur survenue et leurs conséquences ». Dans ce cadre, ces auteurs précisent :

Dans la majorité des cas que nous suivons, l’enfant était vécu comme une part non différenciée ou mal différenciée de ses parents, un enfant « objet », prolongement d’eux-mêmes, destiné à combler un vide affectif et à recevoir leurs projections mortifères. Ce n’est pas l’enfant réel qui est mis à mal, mais l’enfant idéalisé dont le deuil est impossible à faire. Pour que vivent les parents, il faut que l’enfant de la réalité demeure présent ; sa mort, quand elle arrive est toujours une erreur.

Des éléments de ce constat, initialement établi par rapport aux situations de maltraitance, sont parfois repris dans la clinique des meurtres d’enfants par leurs parents. C.

Wieder (2005) nous présente une situation clinique où « l’acte violent n’avait pas visé son enfant mais les « mauvaises parties » de son Moi, comme dirait la terminologie kleinienne, cette fois-ci sur un fond d’angoisse suicidaire ». M. Morizot Martinet et coll. (1997) s’allient

aussi à cette idée dans le cadre de la présentation d’une situation clinique : « Il est fort probable que Madame S. n’a pas tué son enfant mais qu’elle a plutôt détruit un mauvais objet, persécuteur, une mauvaise partie d’elle-même ». M-C Bourdy (1998) s’inscrit également dans cette dynamique en évoquant « des mères pour lesquelles l’enfant n’existe pas pour lui-même.

Sa réalité, sa souffrance ne compte que comme réactualisation du passé ». J-L Kunst (2002), qui s’est intéressée au relation d’objet chez les femmes auteurs d’infanticide, note chez les femmes qu’elle regroupe sous le terme « désorganisées » : « un dispositif notable des relations d’objet […] est que la mère ne ressent pas que l’enfant en bas âge est humain, mais est plutôt une partie-objet sans vie dans lequel elle peut projeter un dédoublement et les parties non désirées de son propre moi réduit en fragments » (J-L Kunst, 2002). Enfin, au sujet des néonaticides, S. Marinopoulos (1997) précise : « L’enfant décède, non parce que la mère a eu un acte meurtrier à son égard ; l’enfant décède de ne pas avoir existé, tout simplement ».

C. Ley et coll. (2003) dans cette dynamique évoquent l’idée d’une identification projective où

« l’autre est vécu comme menaçant ou mauvais objet ». Ainsi, l’infanticide serait à considérer comme « un équivalent suicidaire». Cette perspective psychodynamique est mise en évidence par P-J Resnick (1969) qui considère cet acte comme une sorte d’extension du suicide dans laquelle la mère identifie l’enfant à elle-même. Les propos de H. David (1999) rejoignent cette idée dans la mesure où selon l’auteur, « ces femmes se maternent par projection […]

toutes les tuent, avec la certitude que ces enfants vivaient sur terre le même manque qu’elles ». Cette situation est illustrée par un cas clinique présenté par M. Bettex (1975) qui commente : « En ce qui concerne les multiples tentatives de suicide, il est particulièrement intéressant de constater qu’aucune d’elles ne fut jamais aussi bien préparée que l’homicide de ses enfants ». Plus tard l’auteur poursuit : « Son désir de mourir est donc allé décroissant depuis le moment où ses deux enfants ont cessé de vivre » (M. Bettex, 1975). Des situations de meurtre(s) d’enfant(s) suivi(s) d’une tentative de suicide qui échoue (dans le sens où elle

n’aboutit pas au décès de la personne) émerge la question de savoir pourquoi ou plutôt comment, sur le plan de la dynamique et des mécanismes psychiques, ces femmes qui parviennent à donner la mort à leur(s) enfant(s) ne parviennent pas à se tuer.

J-L Kunst (2002) développe l’idée selon laquelle quelques mères regardent leur enfant en tant qu’objet de transformation pour elle :

Une telle mère a une confiance naïve que l’enfant recréera pour elle une période de sa vie précoce quand elle avait (ou croyait posséder de manière omnipotente) tout ce dont elle avait besoin, y compris le sentiment d’être totalement aimée, sécurisée et sans douleur psychique. Ceci décrit les désirs ardents qui consomment les femmes, qui tuent plus tard leurs enfants, et les espoirs qu’ils amènent à la perspective de la maternité. Bien qu’il ne soit pas rare que les mères normales portent de tels souhaits dans le rapport avec leur enfant, la plupart sont capables de supporter davantage la désillusion et de répondre aux besoins réels de l’enfant et sacrifient ainsi leurs propres désirs ardents pour un bon développement de leur enfant.

Mais avec le type organisé de femmes filicides, la croyance que l’enfant sera un objet de transformation est tenace et persistente […] Une telle femme cherche une mère dans sa propre enfance.

M. Hervé et coll. (1998) citent G. Giret (1991) pour qui, dans certains cas,

« l’individuation et la séparation ne semblent possibles que par la mort ». H. David (1999) note différents éléments s’inscrivant toujours dans cet ordre d’idées :

Les enfants que ces mères ont tués constituent souvent un prolongement d’elles-mêmes […] Elles donnent la vie à un enfant à condition que cet enfant leur rende la pareille, les garde en vie […] Leurs enfants constituent une sorte de miroir, pour le meilleur, mais aussi pour le pire […] L’amour qu’elles portent au plan manifeste à leur enfant ne saurait susciter les craintes d’un passage à l’acte.

Au sujet d’une situation clinique, M. Bettex (1975) rapporte le discours d’une femme auteur du meurtre de son enfant : « L’enfant a été moins docile, il a commencé à nous

échapper ». M-C Bourdy (1998) note, elle aussi dans un contexte clinique : « Elle prenait conscience que son fils grandissait, ce début d’autonomie lui était insupportable. Elle ne lui était plus indispensable… ».

Rappelons que M. Rouyer et M. Drouet (1995), dans leur synthèse entre la description des mauvais traitements, les mécanismes qui permettent leur survenue et leurs conséquences, annoncent : « Ce n’est pas l’enfant réel qui est mis à mal, mais l’enfant idéalisé dont le deuil est impossible à faire ». Au vu des similitudes mises en évidence, en terme de processus psychiques en jeu, chez les femmes auteurs de maltraitances et les femmes auteurs de filicide, nous pouvons nous demander s’il existe chez les femmes auteurs de filicide un deuil impossible à élaborer de l’enfant idéalisé. Cette idée est aussi présentée par J-L Kunst (2002) notant que ces femmes évoquent des relations idéalisées et fusionnelles avec leur enfant.

Hypothèse 4 : Le passage à l’acte filicide signerait l’impossibilité à élaborer le deuil de l’enfant idéalisé.

Dans la mesure où c’est par amour qu’elles ont tué leur enfant, H. David (1999) nous interroge sur « le fossé qui sépare ces mères de toutes les autres supposément « bonnes » ».

L’auteur tente d’apporter des éléments de réponse à partir des travaux de J. André (1994). En effet elle le cite : « Qu’il s’agisse de l’homme sur le départ ou de l’enfant prêt à voler de ses propres ailes, l’angoisse de la femme, de la mère, connaît elle-même des variations importantes : qu’elle s’inscrive dans une problématique de rivalité œdipienne (le perdre au profit d’une autre) ou dépressive (être abandonnée) ». L’auteur poursuit, « l’un et l’autre

aspects se retrouvent entremêlés dans l’escalade de détresse qui mène ces mères à vouloir en finir avec leur vie tout en refusant de se séparer de leur enfant ».

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 65-69)