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Deuxième hypothèse

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 147-154)

I. 2 - Etude des facteurs de biais possibles

II.2- Deuxième hypothèse

Rappel de l’hypothèse théorique :

Dans le cadre d’une relation au père de type incestuelle, le passage à l’acte filicide interviendrait en réaction au traumatisme de la réalisation de l’interdit œdipien, réactivé par l’existence de l’enfant.

Indicateur 1 :

Les femmes auteurs de filicide décrivent dans leur discours conscient leur père en des termes négatifs et évoquent une relation avec lui de nature incestuelle.

Notons que Madame H débute l’entretien par l’expression d’un sentiment de bien-être qu’elle associe, d’une part au début de sa prise en charge psychologique par Monsieur

« Pat[ernel ?] », et d’autre part à la rencontre des « ex[-père] ».

Le discours de Madame H révèle clairement l’existence d’une relation de nature incestuelle avec son père. Ce lien revient constamment, du début à la fin de l’entretien, laissant deviner la place qu’il occupe dans le psychisme de Madame H. Les premiers éléments verbalisés sont révélateurs : « J’étais très proche de mon papa, très très proche. Mon Dieu, il m’a toujours dit que j’étais un garçon manqué. J’allais à la chasse avec lui, à la pêche, on faisait du jardinage. Ma maman, c’était ma grande sœur ».

Ce discours laisse supposer une idéalisation du père de la part de Madame H : « Mon Dieu ». Madame H n’évoque pas son père en des termes négatifs mais en des termes idéalisés où apparaît également une notion de dépendance : « Si j’ai besoin, il est toujours là ». Cette notion de dépendance semble liée à une problématique familiale où dans le même village habitaient, Madame H, « puis y’avait deux oncles et tantes qui y habitaient aussi, mon père

habitait à côté, plus haut y’avait ma grand-mère paternelle et aussi une tante à mon père »,

« et ma mère habitait à trois kilomètres mais elle venait souvent voir les enfants ».

Nous pouvons aussi nous interroger sur la place de Madame H dans la famille en tant que « garçon manqué ». Lorsque je l’interroge, Madame H dit penser ressembler à son père.

Dans quelles mesures, dans son processus de développement, Madame H s’est-elle identifiée à son père ? Par ailleurs, nous pouvons nous demander s’il existe un lien entre cette place donnée à Madame H et le fait que dans son passage à l’acte elle ait “manqué” son fils puisqu’elle l’a blessé mais ne l’a pas tué.

Enfin, sur un plan fantasmatique, la mère de Madame H est évincée, puisque Madame H la situe, inconsciemment, sur la même lignée générationnelle qu’elle-même, laissant la place auprès du père disponible. Par ailleurs, notons que c’est le père de Madame H qui s’occupe de l’éducation et des soins du fils de celle-ci aujourd’hui. L’enchaînement des différents évènements de vie de Madame H l’a conduit à partager l’éducation et les soins de son fils avec son propre père. Dans ce contexte, nous pouvons nous demander dans quelles mesures le meurtre de sa fille pourrait être interprété en termes de processus de déplacement permettant le meurtre symbolique de sa mère. Au sujet de son père, elle dit : « C’est tout pour moi… Surtout depuis qu’y a eu le drame. C’est lui qui s’occupe de Benoît ». Plus tard, dans son discours, elle répète : « Mon papa c’est tout ». Au-delà du caractère régressif de la formulation, pouvons-nous entendre : « Mon papa sait tout », « Mon papa sait tout pour moi » ? Dans ce cas, son père sait-il pour le viol qu’elle a subi enfant ? Sachant par ailleurs que Madame H était domiciliée, au moment du meurtre, « à côté » de chez son père, il semble y avoir lieu de s’interroger sur l’existence de problématiques appartenant aux registres de la dépendance, du narcissisme. En outre, au sujet de l’annonce du sexe de son second enfant, Madame H commente : « Maman était très contente, papa aussi parce qu’il avait que des petits garçons ». Madame H parle de « petits garçons » et non de « petits-fils », ainsi elle

semble satisfaite “d’avoir offert une fille à son père”. Pour conclure Madame H évoque un échange, à la suite de la séparation parentale, où elle aurait énoncé à sa mère le fait que son père ne soit pas disponible. Au sujet de la rupture entre ses parents, elle dit : « Je m’en suis un peu voulue », sans y associer d’affect. Dans quelles mesures s’agit-il de l’expression d’un sentiment de culpabilité névrotique lié à la réalisation fantasmatique de l’interdit œdipien ? Madame H rapporte confier à son père : « Je pourrai jamais te remercier pour tout ce que tu fais pour moi », signant peut-être le conflit entre le désir et l’interdit. Enfin concernant la définition qu’elle-même donne de la relation qu’elle avait, enfant, avec son père, Madame H énonce : « Tout à fait normal… J’étais beaucoup, beaucoup [trop ?] avec lui ».

Indicateur 2 :

Les femmes auteurs de filicide représentent, dans le cadre du génosociogramme, le symbole

« ab » (inceste, viol, abus sexuel).

Dans son génosociogramme, Madame H ne figure pas le symbole « ab ». Par ailleurs, nous savons qu’elle a été victime de viol. Madame H ne représente pas spontanément son oncle, l’agresseur, dans ce projectif. Ainsi, dans la mesure où Madame H ne semble pas avoir élaboré cet évènement de vie, nous pouvons supposer qu’elle n’est pas en mesure de l’inscrire dans la réalité sur un support écrit.

Indicateur 3 :

Les femmes auteurs de filicide présentent des indices d’anxiété au Rorschach, notamment aux planches IV et VI (Clob, C’/C, référence au blanc, IA%, qualité de l’investissement objectal, caractère crû ou mal symbolisé des contenus projetés, degré de dévitalisation de ces contenus), sans possibilité de dégagement. Elles projettent aussi une thématique œdipienne non structurante (kinesthésies saturées par un aller-retour entre désir et interdit impossible à élaborer ou particulièrement conflictuel).

L’analyse du protocole de Madame H révèle :

- Une tendance Clob à la planche IV et une absence de clob à la planche VI - 4 C’/ 2 C : il y a trois réponses C’ à la planche IV

- Une absence de référence au blanc sur les planches IV et VI - Un coefficient d’angoisse existentielle de 24% :

[(1 Anat (pVI) + 0 Sex + 3 Sang + 0 Hd)/ 17] x 100 = 24%

- L’investissement objectal est de qualité moyenne : la banalité à la planche III est perçue mais la kinesthésie est associée à la couleur. Le contenu même de la réponse projetée relève de l’ambivalence où il est question de conflit et d’attachement sans possibilité de dégagement ni dans une dynamique inter-planche, ni au moment de l’enquête. Madame H choisit cette planche comme planche moins aimée. Le protocole de Madame H ne comporte aucune kinesthésie pure, seule une tendance apparaît à la planche X : peut-être s’agit-il d’une tentative de restauration qui échoue.

- Les contenus projetés sont le plus souvent mal symbolisés : la couleur détermine la majorité des réponses projetées où dominent des contenus “Abstraction” et “Sang”. Le protocole de Madame H ne compte que deux réponses “Animal” et deux réponses

“Humain”.

- Le protocole de Madame H révèle des processus de dévitalisation intra et inter- planche :

 L’ensemble du protocole compte 2H/17 Réponses. Concernant ces deux réponses “Humain”, ce sont des relations négatives qui sont projetées.

 A la planche VIII nous observons la succession suivante : F + (A, Géo), C (Bot), CF (Elemt, Sang)

 Lorsqu’une bonne forme est projetée, elle ne tient pas dans une dynamique interplanche (ex : P1- F+, P2- Sang)

Concernant les planches paternelles :

- La planche IV appelle chez Madame H exclusivement des réponses C’, témoignant d’une anxiété, d’affects dépressifs, convergents avec la tendance Clob émergeant à cette planche et dont Madame H ne parvient pas à se dégager ni dans une dynamique inter-planche, dans la mesure où elle projette une réponse Clob à la planche V, ni au moment de l’enquête.

- La planche VI suscite une réponse “Anatomie” fondée sur la perception d’une mauvaise forme. Madame H n’est pas sensible à la sollicitation symbolique de cette planche. Elle projette une image féminine dans la mesure où elle voit « l’intérieur d’une personne enceinte ». Dans quelles mesures Madame H a-t-elle investi son père dans une position maternelle ? Pouvons-nous poser l’hypothèse de l’expression d’un fantasme œdipien ? Notons, en outre, que cette planche est choisie comme planche préférée.

- Dans le choix de la planche paternelle, Madame H choisit la planche V, « la planche de la représentation de soi » (D. Anzieu, 1965) convergeant avec l’idée d’une identification au père.

Le protocole de Madame H ne présente pas de kinesthésie aux planches IV et VI, ne permettant pas de dégager de thématique œdipienne structurante.

Les différents éléments étudiés permettent d’affirmer la présence d’anxiété au Rorschach chez Madame H. Cette anxiété semble particulièrement activée à la planche IV. La planche VI, telle qu’elle est abordée par Madame H, appelle davantage à s’interroger sur la place que son père occupe dans son psychisme et sur la manière dont il a été (et est peut-être encore) investi.

Indicateur 4 :

Les femmes auteurs de filicide projettent aux planches 2, 6GF et 13MF du TAT une relation de type incestuelle et utilisent des qualificatifs négatifs dans la description de l’homme, sans possibilité de dégagement.

Les réponses apportées aux planches 2, 6GF, 13MF du TAT ne comportent pas de qualificatifs dans la description de l’homme. Ce qui apparaît toutefois, c’est la projection de relation de type incestuelle, notamment à la planche 6GF : « …comment il s’autorise d’être, apparemment c’est sa chambre, donc dans cette pièce » et à la planche 13MF : « C’est dans une chambre (soupir) […], il veut pas voir… Et à savoir si la personne est vivante ou pas, alors là, je sais pas ». Cette réponse pourrait renvoyer à un conflit entre le désir et la culpabilité liée à la réalisation de l’interdit. Madame H présente une réponse renvoyant à des traits narcissiques à la planche 6 GF : « Elle est bien habillée, bien maquillée ». A la planche 2, Madame H semble dénier la sollicitation latente renvoyant au triangle œdipien dans la mesure où il n’y a pas de reconnaissance effective de la triangulation œdipienne. Dans son

récit, la jeune femme reste “collée” au couple, confirmant la projection d’une relation incestuelle.

Les différents indicateurs ne permettent pas de conclure sur la validité de l’hypothèse dans la situation de Madame H. Dans l’histoire de vie de Madame H, il n’y a pas eu, dans la réalité, réalisation de l’interdit œdipien. Toutefois, nous pouvons noter qu’il existe une relation de nature incestuelle entre Madame H et son père : cela se vérifie à travers son discours conscient ou encore à travers le projectif du TAT. Toutefois, la mise en avant de cette relation n’est pas associée au recours à des termes négatifs pour qualifier son père. Au contraire, dans son discours, cet homme apparaît en des termes idéalisés. Cette situation infirme l’hypothèse posée, au regard du premier et du quatrième indicateur. Toutefois, il est intéressant de noter que cette définition du père en des termes idéalisés ne converge pas avec les réponses apportées au projectif du Rorschach où la figure paternelle est associée tantôt à des affects dépressifs, tantôt à une image féminine. En effet, le troisième indicateur valide l’hypothèse posée. Cette idée de dissonance entre ce qui se joue sur le plan conscient et ce qui se déroule sur le plan inconscient se traduit aussi à travers des éléments de son discours. Elle utilise à deux reprises la même expression : « Oh mon Dieu », dans un premier temps dans la présentation de son père qui apparaît en des termes idéalisés dans son discours conscient puis elle reprend la même expression au sujet de son ex-mari envers lequel elle exprime des craintes. Dans quelles mesures son père et son ex-mari partagent-ils des traits communs, ou du moins suscitent-ils des ressentis du même ordre chez Madame H ? Enfin, le deuxième indicateur choisi ne permet pas d’apporter d’élément de conclusion à l’hypothèse.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 147-154)