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3.5 Le taxème comme typologie des sèmes : l’inhérence et

3.5.2 Relations entre les différents types de sèmes

Nous allons ici nous contenter d’un simple schéma afin de regrouper les différents types de sèmes que nous avons répertoriés. L’exemple traduit une interprétation reconnue du titre du roman de Stendhal, «Le rouge et le noir», comme métaphore colorée des aspirations carriéristes du héros. La descrip- tion nécessite donc deux taxèmes, //couleur// et //carrière//, contenant chacun deux sémèmes, entre lesquels se mettent en place des relations de spécificité, généricité, inhérence et afférence (voir figure 2.6, inspirée de [49] p. 54, pour laquelle le signe | représente la relation d’incompatibilité entre sèmes, et = celle d’identité).

Taxème A : //couleur//

=

| /couleur/

(gén. inh.) (gén. inh.)/couleur/

/rougeur/ (spé. inh.) /noirceur/ (spé. inh.) /carrière/ (gén. aff.) /carrière/ (gén. aff.) /armée/ (spé. aff.) /église/ (spé. aff.) = | = | /carrière/ (gén. inh.) /carrière/ (gén. inh.) /militaire/ /religieux/ (spé. inh.) (spé. inh.) Taxème B : //carrière// ’armée’ ’église’ ’rouge’ ’noir’

Figure 2.6 – Exemple des différents types de sèmes

Le problème se pose en fait quand on cherche à attribuer un statut spéci- fique ou générique aux sèmes afférents. Dans l’exemple précédent, /carrière/ est générique afférent pour ’rouge’, alors que /armée/ est spécifique afférent. Faut-il en conclure que le statut des sèmes afférents dépend directement du statut que possède ce sème dans ses occurrences inhérentes ? Sans doute, mais alors, y a-t-il seulement une justification pratique de ces statuts rap- portés ? Dans le cas cité, /carrière/ apparaît effectivement dans les deux sémèmes du taxème des couleurs, mais si l’on étend aisément ce dernier, en y rajoutant les sémèmes ’jaune’ et ’violet’, il est peu probable que l’on re- père une afférence carriériste sur ces deux notions. Donc, le sème afférent ne joue guère de rôle générique stricto sensu dans ce taxème, puisqu’il n’a pas

de couverture suffisante pour cela. Cette constatation, ajoutée au fait que la notion d’afférence ne permet pas toujours d’expliciter clairement son origine, nous conduira dans notre formalisation à différencier simplement les sèmes spécifiques et génériques (inhérents par défaut), des sèmes afférents.

De plus, puisque nous avons vu que la forme du sème afférent était en fait, du moins dans le cas des afférences de forte stabilité, celle de la lexie du sémème-source, nous pourrons dans ces cas précis nous passer de l’ex- pression directe de la relation d’afférence elle-même. Exprimer la métaphore carriériste du titre de Stendhal peut se faire par la simple expression des trois sèmes afférents, sans avoir à exprimer directement le taxème qui les possède comme inhérents.

Enfin, nous rappellerons ici une autre origine des sèmes afférents, de te- neur purement locale. Les cas concernés sont entre autres les énumérations ou les coordinations syntaxiques. Si nous reprenons le taxème des gourman- dises cité précédemment, il est utilisé dans le cadre d’une énumération : «...du café, du chocolat, du sucre, du poivre en grains, du sel fin, de la confiture, un sac de cassonnade, cinq morues sèches, de l’estoquefiche». La notion de gour- mandise couvre à un niveau dialectal une sous-partie seulement des sémèmes énumérés. Cependant, l’unité syntaxique qu’est l’énumération semble induire une unité sémantique traduisible par des sèmes communs (ce que nous ne pourrons bientôt plus nous priver de nommer une isotopie), d’où la solution pratique d’attribuer le sème /gourmandise/ à ‘morue’, avec le statut de sème afférent. L’interprétant de cette afférence est donc syntaxique, et la relation va du taxème repéré via l’énumération vers un sémème de cette même énu- mération. C’est donc une afférence relevant de ce que nous pouvons appeler une norme locale, ou textuelle. L’expression formelle de la relation est donc la suivante : d’un taxème vers un sémème. L’expression du sème afférent est donc le sème microgénérique initial, et non un sémème. Ainsi, la multiplicité des formes initiales des sèmes afférents nous conduira à ne pas rechercher une trop grande systématicité dans l’expression des relations d’afférence.

3.5.3 Pour en finir avec l’afférence

Au bout du compte, résumons les propriétés du concept de l’afférence : — Elle correspond à une norme plus locale, du moins plus locale que

celle du taxème

— Elle n’a donc aucun rôle organisationnel (elle n’est pas «nécessaire») — Elle permet d’établir sur cette base des rapports entre des sémèmes

qui auraient été séparés par des normes plus hautes

concurrentes de sèmes.

— Si elle se résume comme l’attribution d’un sème à un sémème, ce sème provient d’une attribution plus stable, dans une autre zone de la langue, où il peut prendre des statuts variés, mais inhérents. Discutons de ces cinq assertions.

Les trois premières sont d’une applicabilité croissante. Si la notion de norme a été, à regret, déclarée insoluble directement, elle se ramène ici à un figement, une stabilisation, qui peut tout de même être transgressée par cette notion d’afférence.

La quatrième, elle, pose un problème applicatif et théorique plus pro- fond : la sémantique interprétative n’a pas pour vocation d’expliciter tous les mécanismes et les raisons d’une attribution de sème. Elle en donne des indices et des moyens d’expression, mais elle ne propose pas une explica- tion de la genèse du système de la langue : pour cette fois la circularité méta-linguistique constitue une barrière. Ainsi, les aspects d’actualisation et de virtualisation, comme phénomènes dynamiques, se rapprocheraient, s’ils étaient systématisés, de considérations psycho-linguistique. De notre point de vue plus applicatif, les processus concurrents menant à l’actualisation / virtualisation seraient hors de propos. Si une automatisation de ceux-ci est proposée localement dans [52], elle s’éloigne à notre goût de l’esprit inter- prétatif, par l’utilisation d’une forme de règle d’inférence sémantique. Nous nous limiterons ici à une description de l’organisation du résultat d’une in- terprétation. Nous verrons que la rigueur descriptive de l’outil informatique introduit tout de même des aspects dynamiques en amenant l’utilisateur vers des questions qu’il ne se serait peut-être pas posées.

Que va-t-il donc nous rester ? Peu de choses, si ce n’est cette propriété structurelle de l’afférence de s’affranchir d’un découpage rigide, que ce dernier relève d’une norme forte ou d’une volonté formalisante. Pour nous, l’afférence sera donc un moyen d’exprimer des relations sémantiques entre des sémèmes éloignés par une classification unique.

En d’autres mots, il s’agira d’une « soupape conceptuelle » face à un en- semble de contraintes organisationnelles. Nous avons effectivement jusqu’ici dégagé des principes formels qui, comme toute forme de structuration, sont exprimables comme contraintes. La liberté qu’elles limitent est ici d’associer ad libidum des sèmes à des sémèmes, au risque d’énoncer ainsi une chose et son contraire. Par exemple, la notion de taxème, en plus d’être un outil d’at- tribution de sème, sert également à restreindre les sèmes spécifiques. Toute relation sémantique identifiée par l’interprète et non-justifiable au sens de notre formalisation sera donc traduite comme afférente.

La dernière assertion nous permettre d’ajouter une contrainte de justifi- cation externe : si un sème est utilisé comme afférent, il devra également être explicité par une voie classique, c’est-à-dire inhérente. L’interprète devra par exemple expliciter le contenu et l’organisation d’un taxème qui possède le sème ici afférent comme sème générique, ou bien des sémèmes qui s’opposent par ce sème.

Ainsi, vouloir outrepasser une contrainte sera une source d’enrichissement thématique pour la structure sémantique produite durant l’interprétation. Ce principe est en quelque sorte un contrepoids à la souplesse précédente : si toute relation peut être déclarée par l’interprète comme afférente, elle se fera au prix d’une explicitation « classique », au sens du respect des contraintes précédemment citées, d’une zone de la langue où ce sème est utilisé comme inhérent. Cette opération prendra donc son appui en-dehors du texte, utilisant s’il la faut des sémèmes qui ne sont pas présents dans l’objet de l’analyse, d’où un enrichissement de la structure sémantique descriptive. Ce dernier point traduit également le fait qu’une afférence est le but d’une relation, qu’il s’agit d’un glissement de sens qui provient bien d’une autre zone sémantique.

Dès lors, nous ne revendiquerons pas une adéquation entre notre concept d’afférence et celui de F. Rastier. Nous préserverons tout de même l’appel- lation, par optimisme et par intuition que certains effets de glissement de sens sont justement apparus sous la condition d’une contrainte. De plus, la modélisation de l’afférence dépasse à notre avis l’ordre informatique, puis- qu’elle traduit des mécanismes d’une finesse et d’une complexité relevant d’une sensibilité de la langue.

Enfin, le fait de définir différemment la notion d’afférence induit égale- ment la possibilité de glissement typologique des sèmes que nous formali- serons. Ainsi, un sème pertinemment afférent (selon F. Rastier) pourra très bien être représenté par une relation spécifique, pour peu que l’interprète qui en est à l’origine lui attribue bien un rôle organisationnel.