• Aucun résultat trouvé

La sémantique interprétative envisage également un troisième type de classe, d’un statut formel différent des deux premières. La dimension, à la- quelle est associé un sème macrogénérique. Elle est définie ainsi ([49], p. 50) : «Une dimension est une classe de généralité supérieure. (...) À la diffé- rence des taxèmes ou des domaines, des dimensions peuvent être articulées entre elles par des relations de disjonction exclusive (cf. //animé// vs //in- animé//)», et plus loin : «... la dimension, classe de généralité supérieure, en intersection avec tous les domaines, et incluant certains taxèmes». Il apparaît ainsi que la dimension n’a pas le rôle organisateur des deux premiers types de classes, qui étaient compatibles. Des notions comme //animé// apparaissent effectivement assez universelles pour les retrouver dans tous les domaines, et dans la plupart des taxèmes.

De plus, si l’on considère le découpage que font ces dichotomies dimen- sionnelles des taxèmes, ces sèmes macrogénériques rentrent-ils en conflit avec les sèmes spécifiques ? On retrouve bien dans la disjonction exclusive qui articule //animé// et //inanimé// la notion d’incompatibilité propre aux sèmes spécifiques. Les sèmes macrogénériques seraient alors des «sèmes spé- cifiques de grande généralité». Quel peut être leur rôle explicatif dans une interprétation ? Justement leur statut indépendant des classes : tout comme les sèmes afférents, ils permettent, au niveau du système fonctionnel de la langue, de rapprocher des éléments de classes incomparables. Deux sémèmes aussi éloignés que ‘Grille-pain’ et ‘Église’ sont au moins comparables via cette dimension de l’inanimation. Certes, cette identification n’a rien que de très banal, dans ce cas précis, mais de telles trivialités sont en fait d’excel- lents indices d’établissement de connections plus fines et pertinentes. Elles constituent en quelque sorte une «degré zéro» de l’interprétation, une sorte de garantie d’isotopie dans toute analyse. Leur automatisation est également envisageable techniquement, mais se pose le même problème de pertinence que pour les domaines.

Ce qui nous ramène à un aspect intéressant des sèmes spécifiques, à savoir leur potentiel à effectuer des relations inter-classes, qualifiables de métapho-

riques. Si un même sème est utilisé de façon spécifique dans deux taxèmes distincts, les deux sémèmes qui le supportent entrent en relation d’équi- valence par l’identité de ce sème. C’est le cas des schémas métaphoriques «classiques», comme par exemple l’opposition exprimée par /bâtiment/ entre ’église’ et ’prêtre’ dans un taxème religieux et entre ’mairie’ et ’maire’ dans l’administration locale. Au sein d’un parcours interprétatif complexe, en cas de «tâtonnement», la trace de telles relations peut très bien être une arti- culation dimensionnelle du type /animé/ - /inanimé/. Nous proposons donc de voir dans les dimensions de tels guides pour repérer des relations trans- versales plus pertinentes entre des classes, et nous la cantonnerons d’ailleurs à ce rôle. Nous ne définirons donc pas formellement de classe supérieure au domaine, puisque, comme nous l’expliciterons bientôt, une dimension sera traitée comme une isotopie spécifique.

Mais pour éclaircir ces phénomènes, et rendre à la théorie de F. Rastier son intégrité remarquable, nous allons aborder dans la suite le concept central et incontournable qu’est l’isotopie.

4

Globaliser l’interprétation : les isotopies et leurs

présomptions

4.1 Deux façons de voir l’isotopie

Revenons sur les objectifs que nous avions fixés à l’analyse sémique : nous avions cité trois principes, la justification, la relativisation et la cohérence. En exprimant les différentes typologies de sèmes proposées, nous avons par- tiellement rempli l’objectif de justification, puisque tout sème identifié au cours d’une interprétation possède une validité comme expression de rela- tions entre signifiés. Le principe de relativisation est très général, mais il concernait entre autres la contextualité des taxèmes. Quoiqu’il en soit, nous n’avons pas encore parlé de la cohérence, ni même exprimé l’utilité directe de tous ces sèmes. Il est grand temps de se préoccuper de la place des sèmes dans un texte, et non plus seulement dans la langue ou dans toute autre abstraction paradigmatique.

Nous allons donc présenter et analyser une notion si fondamentale qu’elle apparaissait en filigrane dans les discussions précédentes, qui ne seront d’ail- leurs entièrement validées que par elle. Il s’agit de la notion d’isotopie. Il existe bien des façons d’aborder cette notion, mais puisque nous avons pris le parti de l’exposer après les notions de sème, taxème etc., nous la définirons tout d’abord à partir de ces dernières.

4.1.1 L’isotopie comme constat

L’isotopie dans sa considération statique n’est donc rien d’autre que la récurrence d’un même sème dans des sémèmes entretenant des relations syn- tagmatiques. Ceci exprime simplement le fait que les signifiants alignés dans un texte ont des sens «proches», d’une proximité de caractère purement sé- mantique. Ainsi la simple phrase «Mange ton gâteau avec ta fourchette !» est le siège d’au moins une isotopie, puisque le sème /alimentation/ peut être repéré dans les descriptions de ’mange’, ’gâteau’ et ’fourchette’. Ainsi, cette simple notion de répétition permet d’ores et déjà de valider le sème récur- rent comme description d’une «thématique» du discours. Cette description n’est bien entendu pas exhaustive, mais n’en est pas moins valide. Si l’on considère les différents sémèmes de cette phrase analysés indépendamment, la reconnaissance d’un sème commun établit une sorte de cohérence du dis- cours, et de l’analyse qui en a été faite. L’isotopie constitue ainsi une sorte de «condensation sémantique» du texte analysé. Une isotopie est constatée dès lors que deux sémèmes d’un texte possèdent un sème en commun. De plus, le sème récurrent n’a pas besoin d’avoir le même statut pour toutes ses occurrences, que celui-ci soit générique, spécifique, inhérent ou afférent. Nous verrons d’ailleurs plus loin comment établir sur cette base une carac- térisation des isotopies. Les sémèmes qui supportent une isotopie ne sont pas nécessairement aussi proches sur le plan syntaxique que dans notre petit exemple précédent : F. Rastier propose ainsi une isotopie du sème /intensité/ tout au long de L’assommoir ([49], p.115).

Au vu de toutes ces possibilités, il apparaît donc qu’une isotopie est chose fort courante si on la considère a posteriori, et qu’en tout cas elle ne fait que résumer le résultat de l’interprétation : c’est en effet en chasser tout aspect constructif.

4.1.2 L’isotopie comme processus : de la présomption à la valida- tion

Ce que nous voulons exprimer ici est qu’une isotopie est également, et surtout, un moyen efficace de guider l’interprétation d’un texte, et un outil formel pour capter les objectifs et présuppositions interprétatifs de l’inter- prète. Interpréter peut, à un certain niveau déjà suffisant dans une approche informatisée, être vu comme la construction et l’explicitation d’isotopies. Comme le dit F. Rastier : «En général, on considère l’isotopie comme une forme remarquable de combinatoire sémique, un effet de la combinaison des sèmes. Ici au contraire, où l’on procède paradoxalement à partir du texte

pour aller vers ses éléments, l’isotopie apparaît comme un principe régu- lateur fondamental. Ce n’est pas la récurrence de sèmes déjà donnés qui constitue l’isotopie, mais à l’inverse la présomption d’isotopie qui permet d’actualiser des sèmes, voire les sèmes.»[49](p. 12).

Encore plus loin, la volonté de mettre en place des isotopies lors de l’in- terprétation d’un texte permet de réduire la multiplicité des identifications de sèmes. Le fait d’avoir déjà utilisé /couvert/ comme sème pour ’fourchette’ peut guider l’utilisateur à interpréter ’assiette’ comme ustensile alimentaire et non comme synonyme d’équilibre. C’est là un grand principe, qu’en in- terprétant un texte on s’attend à sa cohérence, donc à pouvoir y repérer des isotopies ; c’est la fameuse «présomption d’isotopie» de F. Rastier ([49] p 12). Ainsi, en abordant une recette de cuisine, il est clair que le domaine de l’//alimentation// y sera utilisé, et que l’isotopie correspondant à ce sème sera extensionnellement importante dans un tel texte. Plus que cela, tous les repérages de sèmes, même de ceux qui seront «distants» du culinaire, seront tout de même influencés par cette présomption. La présomption d’isotopie peut donc se contenter d’être formellement pauvre, mais se concrétisera en une véritable et explicite isotopie le long du processus interprétatif.

Et c’est ainsi que déjà se profile la zone d’assistance informatique que nous proposerons par la suite : elle concernera la mise en forme et la construc- tion enrichissante de données brutes.