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Répétons un truisme structuraliste : dans la langue il n’y a que des diffé- rences et des identités. Mais dans une microsémantique, ces différences entre sémèmes s’expriment par des différences de sèmes, et les identités de sèmes impliquent des équivalences de sémèmes. Si l’on utilise un sème pour distin- guer chaque couple de sémèmes, on se heurte à un problème de complexité combinatoire. Pour diminuer ces identifications, il suffit dans un premier temps de classer les sémèmes, donc de grouper les oppositions. C’est bien entendu une justification opératoire, qui ne nous contente qu’à un certain point.

À l’autre extrémité de l’échelle de justification se trouve le principe aris- totélicien que l’on ne peut rien dire de ce qui n’est pas inscrit dans un genre. Il s’agit en fait d’une conséquence du principe de la détermination du local par le global. Ceci nous aide également à limiter les éléments distinctifs, puisque ceux-ci nécessitent avant tout une zone de validité, i.e. d’opérationnalité.

5. Avouons que les habitudes prises durant l’étude intensive de Sémantique Interpré- tative sont difficiles à perdre.

Quoiqu’il en soit, ce principe introduit un premier partage dans les types de sèmes envisageables. Une première catégorie (celle des sèmes dits géné- riques) jouera un rôle classificateur, et traduira l’appartenance d’un sémème à une classe sémantique. Une seconde (celle des sèmes dits spécifiques) se chargera d’exprimer les différences entre les éléments d’une telle classe.

Intéressons nous maintenant à la nature de ces classes, tant au point de vue formel qu’à celui de leur statut sémantique.

3.3 Taxèmes : classes minimales

La sémantique interprétative identifie trois types de classes sémantiques, dont une seule est obligatoire, car c’est d’elle que dépendent tous les repé- rages de sèmes. Il s’agit de la classe minimale, ou taxème, dont F. Rastier accepte la définition de Coseriu [14] : «structure paradigmatique constituée par des unités lexicales se partageant une zone commune de signification et se trouvant en opposition immédiate les unes avec les autres».

Première remarque : l’identification d’un taxème ne se fait que par la reconnaissance a priori d’une zone de localité sémantique. Il y a donc une autre globalité qui détermine le taxème.

Deuxième remarque : le principe de l’opposition des sémèmes au sein d’un taxème sera par contre le but visé par l’identification d’un taxème. Nous l’expliciterons en abordant les sèmes spécifiques par la suite.

Revenons donc au problème initial de la genèse d’un taxème. Ou, en formulant autrement, quelle est la justification de cette zone de localité sé- mantique ? Une réponse vient aussitôt : la norme. Mais laquelle ? La question est loin d’être vaine, car du taxème, en tant que fondation de la structure sémantique, nous devons chasser toute imprécision, et préparer sa formali- sation.

3.3.1 Justifications des taxèmes

En résumé, deux propositions s’offrent à nous : soit les taxèmes n’ont de validité que locale et contextuelle, c’est-à-dire qu’ils servent en quelque sorte de focalisation de l’interprétation sur des effets de sens estimés centraux par l’interprète, soit ils correspondent à la stabilisation d’une norme supérieure. Que cette dernière soit sociolectale ou dialectale n’est pas pertinent pour l’instant, le problème de leur identification sera résolu (ou déclaré insoluble) de la même manière.

Or, il se trouve que la sémantique interprétative propose différents exemples de taxèmes qui semblent couvrir les deux possibilités. Citons le

taxème des couverts, comprenant ‘fourchette’, ‘couteau’ et ‘cuiller’, donc a priori sociolectal voire dialectal, et plus loin est envisagé le cas d’un taxème local, relevant d’une norme idiolectale. L’exemple cité est tiré d’un texte de Giono, et présente en une énumération un ensemble d’aliments relevant de différentes paradigmes dialectaux. Mais en fait, n’est-ce pas le seul contenu de ce taxème qui correspond à une norme locale ? La notion de gourmandise est certes socialement stabilisée, et un ensemble de sémèmes «typiques» peut y être aisément associé. La nature «en langue» du taxème correspond bien à une norme globale, pouvant être transgressée localement par le rapproche- ment de notions disparates.

Il semble donc y avoir une opposition langue / discours incontournable. Nous devons cependant trancher, et appeler la réalisabilité à notre secours. S’en remettre à des normes indéfinissables précisément est hasardeux, alors que justifier toute identification par un objectif local n’engagera que la com- pétence de l’interprète.

Cependant, l’identification et/ou la formation de classes contextuelles ne peut s’opérer simplement dans tous les cas. Imaginons l’exploration d’un texte hermétique à l’interprète, ne repérant lors d’une première lecture aucun effet classificateur autre que relevant d’une généralité stérile (animé, concret, etc.) L’échappatoire est donc de replacer chaque sémème dans un taxème sans tenir compte de son rôle dans le texte étudié (bien que cela soit impossible de façon absolue), puis d’explorer plutôt le rôle joué par le sémème au sein du taxème : les relations découvertes peuvent donner des indices vers l’unité du texte.

Mais on peut préciser que le taxème est une «classe de sémèmes minimale en langue» (p. 276). De quelle notion de minimalité est-il ici question ? Nous avons laissé présager que d’autres types de classes seront mis en place par la suite, mais que seul le taxème était nécessaire. La minimalité concerne donc a priori la non inclusion de toute autre classe dans un taxème, y compris un autre taxème. Rendre effective cette notion de minimalité suppose donc la connaissance du découpage des signifiés en classes. De plus, il faut le préciser d’avantage : c’est une classe «en langue», ce qui rejette la possibilité de concevoir des taxèmes purement contextuels, alors que c’est principalement grâce à eux que l’on peut espérer retrouver les phénomènes sémantiques intéressants d’un texte.

3.3.2 Le taxème comme focalisation de l’interprétation

En nous appuyant sur ce principe que le taxème n’est justifiable que par les relations qu’il va permettre d’expliciter entre ses éléments (les sémèmes),

il en résulte que le taxème n’est donc qu’une zone relative de focalisation sémantique. Dès lors, il est dépendant des objectifs interprétatifs. D’un point de vue formel, des conclusions fonctionnelles peuvent être tirées.

Premièrement, aucun sémème, considéré lors d’une étape stabilisée d’une interprétation, ne peut appartenir à deux taxèmes distincts.

Deuxièmement : puisque le taxème est une classe minimale, il ne peut contenir d’autres taxèmes.

Il est par contre envisageable de déplacer la zone de localité qu’il repré- sente en la spécifiant. Par exemple, en partant d’un taxème de forte généralité comme l’alimentation, où se regroupent des termes liés à la confection culi- naire, aux arts de la table et à l’outillage nécessaire à l’absorption de nourri- ture. Si la zone de signification recouverte par cet ensemble est présente dans l’intégralité du texte (par exemple si ce texte est une recette de cuisine), il se trouvera une multitude d’éléments à opposer en son sein. Ainsi, même sur des critères purement quantitatifs, un découpage de cet ensemble est justifiable et souhaitable, pour les mêmes raisons qui nous faisaient critiquer les mar- queurs sémantiques de Katz et Fodor. De plus, la présence simultanée d’un sémème dans deux taxèmes traduit la co-occurrence de deux interprétations de la même lexie. Si l’on admet que l’identité d’un sémème n’est pas liée à sa forme (la lexie), mais à son sens (ses sèmes), vouloir placer le même signifiant dans deux classes sémantiques distinctes traduit simplement le fait que ce signifiant supporte deux signifiés différents. Un exemple d’une telle polysé- mie liée à une seule occurrence lexicale ne nous apparaît pas pour l’instant, et nous verrons lors de l’explicitation du processus interprétatif pourquoi un tel cas est impossible. Il existe par contre des moyens dans la sémantique interprétative de préciser des rapports sémantiques entre différentes classes (taxèmes).

3.3.3 Taxème et sème micro-générique

Maintenant que nous avons en partie défini la nature du taxème, revenons aux sèmes à proprement parler. Avant même de permettre d’identifier des sèmes exprimant des oppositions entre les éléments de la classe, le taxème identifie déjà un sème attribué aux sémèmes qu’il contient. Tous les sémèmes d’un taxème auront donc un sème commun, et ce sème aura pour eux le statut de microgénérique. Nous verrons par la suite que ce principe de généricité est valable pour les autres classes sémantiques plus élevées, d’où l’appellation, ici distinctive, de micro. Il convient donc de différencier ces deux notions : le taxème est en quelque sorte l’extension du principe de localité sémantique, et le sème microgénérique associé en est l’intension. Moins par convention

et par économie que par un principe de dualité, nous attribuerons la même étiquette aux deux entités, en prenant simplement soin de les distinguer typographiquement. Ainsi, le taxème //couvert// implique la présence du sème microgénérique /couvert/ dans les sémèmes qu’il contient. Ce dans doit être abordé avec précaution : d’un certain point de vue, les sémèmes peuvent être considérés comme des ensembles de sèmes, si on les voit localement. Mais un sème est avant tout une relation entre sémèmes, dont la projection sur un des sémèmes de la relation est en quelque sorte une occurrence de sème, comme l’exprime F. Rastier lorsqu’il définit le sème comme «élément d’un sémème, défini comme l’extrémité d’une relation fonctionnelle binaire entre deux sémèmes». Le meilleur moyen à nos yeux de distinguer ces deux aspects est d’utiliser les notions d’antériorité logique : le sème ne peut être vu comme élément d’un sémème que parce qu’il exprime une relation [27].

Formellement, la notion de taxème sera donc une structure à deux fa- cettes : un contenu, exprimable par un ensemble fini de sémèmes, et une qualification par un sème. Cette structure, comme d’autres que nous verrons par la suite, servira en quelque sorte de transition organisatrice entre sèmes et sémèmes.

La relation exprimée par un sème microgénérique est une relation d’équi- valence entre les sémèmes du taxème, et le taxème en constitue précisément la classe. Vus de l’extérieur du taxème, les sémèmes sont en fait indistin- guables, tant que les oppositions qu’ils entretiennent ne sont pas exprimées via les sèmes spécifiques.

Toujours conséquence de cette antériorité logique, plusieurs sémèmes contenant un sème commun ne forment pas pour autant un taxème ; en- core faut-il pour cela que le sème commun soit microgénérique pour tous ces sémèmes. Autrement, il ne forme qu’( !)une isotopie, ce qui maintient la no- tion d’identité des unités formelle au seul niveau de l’interprète-utilisateur, et non comme résultat d’un calcul.

Mais voir le sémème comme un ensemble, dès lors qu’il ne nous guide pas vers une fausse route en considérant les sèmes comme donnés a priori, et à assembler en sémèmes (avec un principe de compositionnalité mal placé), permet tout de même de préciser un peu plus sa structure. F. Rastier dis- tingue en effet deux parties d’un sémème ainsi considéré, le classème et le sémantème. Le premier n’est autre que l’ensemble des sèmes génériques sup- portés par le sémème, alors que le second est son correspondant pour les sèmes spécifiques. Cette terminologie permet de retracer le chemin à l’envers jusqu’à Greimas, pour qui le classème est un sème contextuel traduisant la cohérence d’une partie de discours ([20] p. 53), donc un sème générique cor- respondant à une classe contextuellement définie. Greimas ne fait donc pas

l’opposition classème / sémantème, ce dernier terme n’étant pas repris dans sa théorie. Il est donc intéressant de noter que notre vision du taxème comme classe contextuellement justifiée, sans doute plus par souci de pragmatisme que par volonté de respecter l’intégrité de la sémantique interprétative, nous rapproche en quelque sorte de la sémantique greimassienne. Nous verrons ce- pendant lors de l’explicitation du processus interprétatif, pour ce qui est de la «création» des taxèmes, que les rapprochements sont encore plus flagrants.