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CHAPITRE 5 : PLAISIR ET MOTIVATION SELON DEUX THÉOLOGIENS

3. Piper : Prendre plaisir en Dieu malgré tout : le combat pour la joie

3.6. La relation du monde empirique dans le combat pour la joie

Il existe, d’après Piper, une relation étroite entre le monde empirique et les phénomènes spirituels. C’est-à-dire que les actions physiques, les pensées cognitives et les affections subjectives de l’humain exercent une influence sur sa spiritualité, de la même manière que la spiritualité influe aussi sur ces trois composantes humaines.

Piper donne l’exemple suivant comme illustration de cette relation. Il énonce d’une part qu’une « montée d’adrénaline [peut] aider à relever un grand défi, donner

304 Ibid., p. 138. 305 Ibid., p. 130.

de l’énergie et tenir en éveil celui qui accomplit une tâche306... » D’autre part, il cite Colossiens 1, 29 où l’apôtre Paul, faisant référence à l’Esprit de Dieu écrit : « C’est à cela que je travaille, en combattant avec sa force qui agit puissamment en moi. » Piper pose ensuite la question : « Quelle est la différence entre l’adrénaline sécrétée par le corps physique de Paul et la force puissante qu’il reçoit de Christ307? » En soulevant cette question, Piper ouvre la porte à une discussion théologique sur la motivation humaine sous un éclairage physiologique et affective.

Quoique son interrogation suscite une discussion touchant les théories contemporaines de l’émotion humaine, le but de Piper est d’emmener son lecteur sur un chemin plus pratique. Dans ce monde empirique, l’humain possède cinq sens : la vue, l’ouïe, le goût, l’odorat et le toucher. Ces cinq sens, individuellement ou lorsque combinés entre eux, suscitent des émotions. Ce qui intéresse ce théologien évangélique est la manière dont le croyant utilise le monde créé qui l’entoure, incluant son propre corps, pour l’aider à trouver sa joie en Dieu. Cette question est cruciale pour le croyant à cause de sa tendance naturelle à associer directement la joie à l’objet ou au phénomène que suscite l’affect (la création) au lieu de l’associer au créateur (Dieu).

Piper constate un chevauchement inexplicable entre la joie spirituelle, les émotions psychologiques et l’activité physique. Il comprend toutefois la joie spirituelle d’une manière qui diffère des émotions naturelles.

Piper, se rapportant à C.S. Lewis, écrit :

La vie des émotions spirituelles est plus élevée et plus riche que celle des sensations physiques matérielles, tout comme la musique produite par un orchestre symphonique est plus grandiose que celle d’un piano solo. Lorsque la musique de la joie spirituelle joue dans notre âme, elle est “transposée” en sensations physiques. Mais, puisque “l’orchestre” spirituel est plus riche et diversifié que le “piano” temporel, il produit des sons joués par plusieurs instruments différents, alors que le piano n’offre qu’une sonorité unique. En tant qu’être humains dotés d’une âme, nous vivons toujours nos émotions spirituelles à deux niveau : le piano et l’orchestre308.

306 Ibid., p. 238. 307 Ibid., p. 239. 308 Ibid., pp. 243-244.

Piper observe que la terreur et l’extase produisent le même genre de tremblement et de serrement au niveau de l’estomac. Cependant, la « terreur nous apparaît désagréable et nous ne désirons pas la revivre, tandis que l’extase est agréable et nous aimerions y goûter encore309. » Cette description de Piper appuie inconsciemment les trois composantes de la théorie moderne de l’émotion, décrite au chapitre 2 de ce mémoire.

De la même manière que les pratiques spirituelles comme la prière et la méditation de la Parole de Dieu éveillent la joie en Christ dans le combat pour la joie, le croyant doit aussi se servir du monde empirique afin de fortifier sa joie en Christ. Piper fournit deux exemples pour appuyer sa thèse, l’un tiré des Écritures hébraïques et l’autre des Écritures chrétiennes.

Puisque la création raconte la gloire de Dieu (Ps 19), le croyant peut utiliser le monde physique, au moyen de ses cinq sens, pour chercher cette gloire et la joie qu’elle comporte. S’appuyant sur les Écritures chrétiennes, Piper cite 1 Timothée 4, 1-5 comme exemple, où l’apôtre Paul affirme que le monde physique avec ces joies ne doit pas être rejeté. Dans ce passage, Paul prédit la venue de faux docteurs qui entretiennent une vision négative de la sexualité et de la nourriture, deux sources de joie associées à une combinaison de nos cinq sens. « Paul dit que le plaisir sexuel vécu dans le cadre du mariage et les délices culinaires dégustés lors d’un bon repas doivent être reçus avec action de grâces310. »

Piper déclare que la joie de voir la gloire de Dieu à travers les plaisirs de cette création est un don de Dieu qui est acquis pour le croyant par la mort rédemptrice de Jésus-Christ. En associant les plaisirs de la vie à cette bienveillance de Dieu, par le moyen du sacrifice de Jésus-Christ, le Père et le Fils sont honorés. C’est l’Esprit qui ouvre les yeux du croyant pour qu’il voie. En conséquence, la Trinité prend part à ces plaisirs spirituels.

Piper abonde dans ce sens et écrit que les plaisirs de cette vie se transforment en partenaires « pour percevoir la révélation de la gloire de Dieu dans la création et

309 Ibid., p. 245. 310 Ibid., p. 252.

poussent le croyant à se réjouir en lui311. » En conséquence, ces plaisirs ne constituent pas une idole disputant les affections du croyant. Ces plaisirs et les affections qu’ils suscitent chez le croyant portent gloire à Dieu.

Piper établit la distinction entre l’emploi direct et indirect du monde empirique pour approfondir sa joie en Dieu. Par l’emploi direct, il entend que le croyant utilise ses cinq sens pour percevoir la gloire de Dieu à travers la création. Piper appuie ce point de plusieurs exemples empruntés à la nature physique et à la culture humaine : la beauté d’un lever du soleil, les représentations humaines (l’art, l’écriture créative, les images, la musique) et les merveilles ordinaires du quotidien.

Son exemple tiré du monde du sport est pertinent dans le contexte de notre discussion, puisqu’il illustre bien l’emploi direct de la création pour percevoir la gloire de Dieu. Dans le film Chariots de feu, le coureur Eric Liddell « entame le dernier virage de sa course pour la gloire de Dieu; ses bras se meuvent à la manière de pistons vivants, sa tête est rejetée en arrière de façon totalement insolite, chaque fibre de son être accomplissant simplement ce pour quoi elle a été créée, son sourire éclate au milieu de son visage et tout en Eric Liddell s’écrie : Gloire à Dieu312! »

Par l’emploi indirect servant à tirer profit du monde empirique, Piper veut dire que le croyant prend les dispositions nécessaires en ce qui concerne son corps et son esprit pour maximiser sa perception de la gloire de Dieu. Comme certaines dispositions du corps peuvent faire obstacle à notre perception de la gloire de Dieu, d’autres peuvent contribuer à façonner cette perception : une saine alimentation, le repos, l’activité physique et d’autres habitudes de vie peuvent susciter le bien-être. Quoique Piper appuie l’idée que les bienfaits physiques, psychologiques et affectifs de l’activité physique disposent le croyant à voir la gloire de Dieu et à trouver en Dieu une pleine satisfaction, il comprend bien que la gloire de Dieu est aussi révélée aux croyants qui souffrent dans cette vie.

Il est facile, voire naturel pour l’humain d’être reconnaissant pour les plaisirs qu’offrent cette création, comme la sexualité et la nourriture, sans tenir compte de

311 Ibid., p. 256. 312 Ibid., p. 259.

Dieu. Ce faisant, Dieu n’est pas honoré pour sa bonté. « Si le fait de jouir des dons de Dieu ne nous rend pas conscients de sa personne, il n’en retire aucun hommage. » Par contre Piper, à la manière de Paul, soutient que la bonne manière de jouir des plaisirs de cette vie est d’exprimer une joyeuse gratitude envers Dieu, fondée sur sa bienveillance. Même si Dieu retire ces dons, dans sa providence, il demeure toujours bon et le croyant peut continuer à trouver sa joie en lui. Le fait d’être en colère ou amer envers Dieu, à cause d’une perte de bénédiction, suggère que le croyant a trouvé son plaisir dans les bénédictions de Dieu plutôt que dans la personne de Dieu lui- même.

4. CONCLUSION

La réflexion théologique du jeu créateur proposée par Moltmann et du concept de prendre plaisir en Dieu proposé par Piper, peuvent-ils faire progresser notre réflexion sur le rôle du plaisir dans la motivation du sportif? Les modèles de la motivation chez Vallerand fournissent-ils les nuances importantes qui sous-tendent la réflexion théologique de Moltmann et de Piper? Dans le prochain chapitre les corrélations entres ces trois auteurs prendront forme.

CHAPITRE 6 : PLAISIR ET MOTIVATION : DIALOGUE