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SECTION II : CONSTRUCTION D’UN POINT DE VUE

2.3 La relation émotionnelle à l’objet

2.3.2 La relation homme-objet

2.3.2.1 L’attachement à l’objet déposé

Qualité stylistiques/ergonomiques

En s’inspirant des fondamentaux de la littérature portant sur les émotions, les théories du design émotionnel mettent l’accent sur l’expérience affective des utilisateurs dans leur relation à un objet devant eux. L’émotion, témoignage de la satisfaction de l’utilisateur est la résultante d’une évaluation hédonique et pragmatique de l’utilisateur vis-à-vis de l’objet. Le parti de se focaliser sur l’admiration d’un objet présent — déposé, constitué — dans l’environnement a été, nous venons de le voir, critiqué par plusieurs auteurs fustigeant ce rapport proéminent à l’esthétique de la forme, le Look & Feel où le design se rapporte à l’objet visible, et enjolive une technique pensée par ailleurs (Hassenzahl, Diefenbach, et Gritz 2010). La relation

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émotionnelle Homme-Objet n’en est pas une à proprement parler, puisque l’émotion reste unilatérale, éprouvée par un individu et stimulée par un objet constitué à distance dans son environnement qu’il perçoit. Le statut déposé d’un produit, ainsi perceptible et signifiant dans l’environnement de son utilisateur, marque un retour aux considérations stylistiques et ergonomiques dont nous souhaitons nous détacher.

Herbeth et al. (2016) mettent en évidence que différentes acceptions de la notion d’émotion coexistent, notamment dans les pratiques de conception automobile. Ainsi, le terme « émotion » est utilisé pour désigner soit des types d’émotions tels que le plaisir, la peur ou la fierté, soit une sorte de charge émotionnelle globale portée par le véhicule, non spécifiquement définie. Les besoins émotionnels sont des besoins en sensations (sensations d’agilité ou de réactivité), des besoins liés à la relation émotionnelle à la voiture (besoin de réassurance ou d’un sentiment de sécurité) et à la relation émotionnelle à l’environnement (besoin d’afficher son statut social, besoin de dominer l’environnement).

Ce dernier point met en avant le fait que l’émotion passe également par les qualités statutaires d’un objet constitué dans l’environnement. Le véhicule devient ainsi un m oyen de communiquer et partager des valeurs.

Le système de valeur des objets

La voiture est une projection de nous même. « Projection phallique et narcissique à la fois,

puissance médusée et notre propre image [...] la voiture se prête aussi bien à un investissement de puissance qu’à un investissement refuge — selon qu’elle est projectile ou demeure » (Baudrillard 1978).

L’automobile est un produit émotionnel, dans le sens où elle représente un emblème de liberté, de puissance ou encore de réussite sociale. Elle devient, pour certains, le prolongement d’eux même et l’occasion de manifester les valeurs qui les motivent (prestige, virilité, propriété, liberté). On peut observer que les usagers de la route essaient de créer un sentiment de soi entre autres grâce à des plaques d’immatriculation personnalisées, des autocollants, des citations drôles et des images, etc. Le choix du modèle de voiture participe également à la création de l’identité de son conducteur. Ces « artefacts » forgent une identité pour le soi et encouragent en outre à partager une croyance. Si le véhicule est sportif, on assumera que son propriétaire aime la vitesse et est un sportif. Les objets peuvent donc être caractérisés par des attributs concrets, comme leur forme, couleur, matériaux, textures de nature objective ; et des attributs abstraits, basés sur les caractéristiques de l’objet qui renvoient à une signification particulière, dont la perception pourra provoquer différentes émotions selon leurs utilisateurs (Snelders et Schoormans 2004; Crilly, Moultrie, et Clarkson 2004; Desmet et Hekkert 2007). La dualité est forte entre l’interface déposée, constituée dans le milieu perceptif de l’utilisateur, et l’interface tenue, constituante d’une expérience perceptive pour le sujet qui la manipule. Ce double niveau d’analyse nous permet de marquer la différence entre la perception de l’objet, et la perception à travers l’objet offrant de nouvelles possibilités d’action.

2.3.2.2 L’expérience du produit saisi

Lorsque l’objet est saisi, il devient alors invisible. L’expérience à laquelle il donne accès ouvre un horizon d’actions et de perceptions inédites relatives à un environnement et aux caractéristiques de l’objet saisi (par exemple, nous ne pouvons pas voir ce qui nous donne à

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voir, comme nos lunettes)26 (Maillet 2010). La dimension du s aisi invite à l ’étude de l a

dynamique d’interaction entre un sujet et son monde au travers d’un système technique, et à l’expérience vécue qui en résulte.

Heidegger (1988) distingue la situation où l’individu est cognitivement conscient de l’utilisation possible d’un système présent dans son environnement, et la situation où l’emploi du système est vécu comme un prolongement du corps. Ihde (1990) poursuit cette distinction en insistant sur la manière dont les artefacts technologiques révèlent le monde de manière non neutre.

« Loin d’être transparent, l’objet technique s’interpose. Il oblige les participants de l’interaction à se soumettre à des contraintes techniques et introduit des distorsions importantes de la communication » (De Fornel 1988). L’utilisateur adapte en permanence son comportement en

fonction de la façon dont il interprète les réactions de la machine avec laquelle il interagit et de la perception qu’il a de la situation. Latour (1994) introduit le concept de « script » marquant également la séparation de fonctionnalité et contexte d’utilisation.

Maillet (2010), en s’appuyant sur l’approche sensori-motrice de la perception, place l’appropriabilité comme résultante de la distinction entre interface tenue et interface déposée. Le processus d’appropriation, par lequel les utilisateurs attribuent progressivement du sens aux interfaces qu’ils manipulent, est envisagé comme une série de c ycles de saisie et de lâcher. En offrant à l’utilisateur des opportunités pour agir, et s’engager physiquement dans l’interaction, les interfaces gestuelles et tangibles deviennent des entités signifiantes. L’appropriation renvoie à la façon dont l’individu investit personnellement l’objet et dans quelle mesure celui-ci est en adéquation avec ses valeurs personnelles et culturelles, lui donnant envie d’agir sur ou avec celui-ci (Barcenilla et Bastien 2010). L’important n’est plus l’objet en tant qu’interface, mais l’expérience vécue à laquelle sa saisie donne accès et les opportunités d’actions qu’il permet.

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