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CHAPITRE 3 : Les facteurs explicatifs de la relation entre le tourisme et les lieux touristiques balnéaires

3.1. La relation homme littoral

L’homme a pénétré et modifié les milieux naturels au cours de l’Histoire. Mais, il faut comprendre aussi que le milieu naturel avait son influence sur l’œuvre de l’homme. Les rivages évoluent de la pression de la nature et les actions des hommes (Demangeot, 1992). Marcadon (1999) exprime l’idée que le thème de la géographie humaine des littoraux ne peut pas faire l’impasse sur la dimension temporelle de l’action de l’homme, de l’évolution chronologique, historique, de son installation au bord des mers en fonction du contexte politique et économico - technique.

C’est ainsi que nous pouvons constater que les régions littorales ont joué un rôle important dans la nutrition de l’espèce humaine. Si la pêche et les élevages marins font une grande partie de l’économie locale des plusieurs villes côtières ainsi que la récolte du sel (comme dans les marais salants de Guérande avoisinant La Baule); s’y ajouterait la fourniture de nouvelles terres agricoles, par conquête des polders sur les marais ou par l’aménagement des deltas (Nonn, 1972). En exploitant économiquement les littoraux, l’homme joue un rôle important dans leur évolution. Cette importance ne cesse de s’accroître avec le temps, tout particulièrement au cours des dernières décennies (Paskoff, 1998).

3.1.1. ‘L’invention de la plage’ : le tourisme et le milieu littoral

Si au 21eme siècle, se baigner, bronzer, semble si naturels que toutes ces activités paraissent intemporelles ; cette pratique du bain et de la plage a un début, une histoire ; même si le décor, l’eau et le sable sont restés immuables.

29 3.1.2. Le début de la pratique balnéaire : prendre des eaux

Alors que la mer était perçue comme étant dangereuse au 17ème siècle, elle a ensuite été considérée comme curative, au 19ème siècle. En effet, peintres et écrivains dressaient un portrait fort négatif. La mer était alors comme dit Corbin (1998) « le plus effroyable spectacle offert par la nature ». Certainement jusqu'à la Renaissance, se baigner dans la mer n’était pas une pratique courante. Si jamais on prenait un bain de mer, cela se faisait dévêtu, ce qui était contre les codes moraux de l’époque.

C’est pourtant dans ces mêmes contextes que les villes d’eaux sont devenues populaires. Le vent avait commencé à tourner plus tôt en Angleterre, par rapport à la France (Equipe MIT, 2011). Nous pouvons tracer le début de la popularité des villes d’eaux au 16ème siècle, quand le Docteur William Turner attira l’attention des fortunés de l’époque sur l’aspect curatif des bains à Bath et dans d’autres endroits sur le continent. Ainsi les villes de Bath et celle de Buxton ont connu un regain en popularité au début du 17ème siècle. Ce fut Richard

Nash (conseiller à la cour d’Angleterre, qui a reconstruit Londres après le grand incendie) qui

contribua à rendre Bath très populaire. En employant les meilleurs architectes et les meilleurs artisans de l’époque, il a donné à Bath une aire nouvelle- un cadre théâtral- les places circulaires et un décor romain. Il a attiré les princes, l’aristocratie britannique de l’époque et des nouveaux riches. Il les a mêlés et éduqués dans les normes balnéaires tout en leur imposant une stricte étiquette. Le curiste mondain avait des journées réglées où alternaient boissons, bains, promenades, concerts ; le jeu d’argent, passion anglaise du 18eme siècle n’étant plus vice et les rencontres entres sexes et gens de naissances inégales étaient facilitées. La formule de la saison et de la station thermale mondaine fut imitée en Grande Bretagne d’abord, puis sur le continent, dont la France (Boyer, 1999). Ainsi, en Grande Bretagne, Tunbridge Wells et Scarborough furent aussi connus pour leurs eaux curatives. Les pratiques ancestrales des ablutions et des bains connaissent une évolution, se caractérisant par l’émergence de la dimension médicale des eaux. Au fur et à mesure, les bains ont connus un essor qu’ils n’avaient pas connu depuis la période romaine (Holloway, 1983). Ainsi, une nouvelle impulsion pour des villes d’eaux anciennes (comme Bath en Angleterre) fit son apparition un peu partout en Europe. La pratique de « prendre les eaux » a aussi permis l’apparition de nouveaux lieux dédiés aux eaux : les villes thermales localisées le plus souvent à proximité des espaces de montagne : Bade, Vichy et les villes balnéaires sur les bords de mers : Brighton, Dieppe ou Ostende. Beaucoup de villes d’eaux n’étaient que des bourgs ou

30 des villages ; Dax, Bagnères-de- Bigorre, (5 000 habitants) et Thonon- les Bains (3 500 habitants, rattachée à la France avec la Savoie vers 1890) (Rauch, 1999). Dès 1810, toute station qui entend avoir quelque envergure, se dote d’une promenade. La forme de ces promenades pouvait varier entre les jetées qui avançaient dans la mer comme à Brighton ou à Bournemouth au véritable boulevard longeant la mer et qui se trouve souvent associé à un casino comme à Cabourg ou à La baule/ Pornichet. Duhamel & Sacareau (1998) nous disent que ces promenades ont eu parfois un rôle prépondérant dans l’élaboration des stations touristiques elles-mêmes. Les exemples de Saint-Gervais-les-Bains, de Nice ou de Palma de Majorque où les hôtels sont eux-mêmes construits souvent loin de l’ancien centre bourg, mais reliés à la ville par une belle promenade : promenade des Anglais à Nice dont les travaux ont débuté en 1922 ; la promenade du Pré de Foire à Saint Gervais en 1881 ou par le premier paseo maritimo à Palma de Majorque (Baléares) en 1901. Ces aménagements ont constitué le premier axe de développement de la station par le comblement du vide instauré entre la ville ancienne et la station nouvelle. L’aspect commercial de ces stations thermales a été exploité en proposant des activités de divertissement et hébergement ; transformant ainsi ces lieux plus en ‘stations touristiques’ qu’en simples ‘stations thermales’.

3.1.3. Les bains de mer

Le 18ème siècle a vu naître de nouvelles idées reçues sur la mer, les stations devenaient alors des lieux de cure. Les vertus curatives prêtées à l’époque ont amené la construction d’hôtels de cure sur les littoraux. Au début du 18ème siècle, les petits villages de pêcheurs anglais attiraient des voyageurs qui cherchaient « une cure de mer », en se baignant et en buvant l’eau de mer. Ainsi, dit Holloway (1983) les villages de Scarborough et de Brighton étaient les premiers à exploiter cette idée de bains de mer qui devenaient populaires en Angleterre. Déjà dans les années 1730, ces stations attiraient des visiteurs fortunés d’un peu partout en

Angleterre. Plusieurs études scientifiques furent publiées sur la bienfaisance de l’eau sur le corps et l’esprit humain. Dès lors, « prendre les eaux » devient une pratique incontournable pour la classe dirigeante. Mais, en 1752 fut publiée la thèse médicale du Docteur Richard Russell, Concerning the Use of sea water. C’est à lui que l’on crédite aujourd’hui le fait d’avoir rendu la pratique de bains de mer populaire. Le Docteur Russsell, écrivain à succès

qui préconisait les bains de mer et leurs valeurs thérapeutiques à soigner maintes

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village de pêcheurs. Brighton est ainsi devenue la ville incontournable pour la cure balnéaire.

C’est ainsi qu’au 18ème

siècle, la nature des stations a changé en rendant plus commun les voyages vers la mer. D’autres stations littorales d’Angleterre comme Blackpool et Southend ont alors commencé à profiter de cette manne de baigneurs en proposant des facilités de bains sur la côte anglaise. La pratique thérapeutique des bains de mer fut

rapidement un succès. C’est ainsi que la pratique du bain s’est transformée en véritable

activité de baignade, un peu partout en Europe. L’attrait du littoral s’est accentué au point que le milieu du 19ème siècle a connu un changement majeur avec l’établissement des premières stations balnéaires.

Si historiquement, les premiers lieux touristiques balnéaires étaient des lieux d’amusement et de distraction prédominamment destinés à une société oisive, Knafou (2012) nous dit que l’ancêtre de nos lieux touristiques fut les lieux de cure où les malades venaient chercher des apaisements à leurs problèmes de santé, physique ou mentale. C’est ainsi que sont nés Bath ou Brighton ou même Bournemouth et La Baule que nous détaillons dans cette étude. Mais ces lieux tant fréquentés par les malades et leurs accompagnateurs

manquaient d’attrait. Selon Knafou (2012), c’est pour combattre cet ennui que ces lieux de cure devinrent de véritables centres de ‘distraction’ et de ‘loisirs’ et ainsi des lieux

touristiques.

L’essaimage des stations balnéaires est contemporain de la création des nouvelles stations thermales du continent européen. Les bains de mer étaient réputés pour avoir les mêmes finalités thérapeutiques et la même vie mondaine que les stations thermales mais les séjours étaient en général moins longs. Les eaux les plus froides- celles au maximum de 18˚C l’été étaient les plus prisées. Tout comme pour les stations thermales, ce fut les rois et les princes qui ont joué un grand rôle dans leur lancement. Le roi de Prusse a fait naître des stations balnéaires aux rives de la Baltique ; le roi Hollandais résidant à La Haye a rendu populaire Scheveningen dans les environs ; les Anglais ont lancé Ostende, non loin de Londres ; on attribue l’origine de Boulogne, de Dieppe, d’Etretat de Ste Adresse (Le Havre) et de Trouville aux Bourbons d’Orléans avec des artistes gate-keepers (Boyer, 1999). La station de Dieppe fut la première en France. Ailleurs, les rois d’Espagne ont choisi San Sebastian comme résidence estivale- la cour et le gouvernement fuyaient la canicule de la capitale Madrid ;

32 Biarritz a été aussi rendu populaire pendant le règne de Napoléon III. Ces stations,

actuellement appelées « anciennes » furent construites à partir d’un noyau urbain et portuaire et avaient le privilège d’être munies d’un casino, d’une gare et parfois d’un hippodrome (Nonn, 1972 ; Robin, 2004).

La mise en tourisme des espaces s’est traduite systématiquement par la création d’un lieu de séjour; ce qu’on appelle «la station». Son établissement urbanistique se caractérisait par l’établissement et l’édification des bains où résidaient tous les étrangers. A partir du 19ème siècle, dans les stations thermales ou celles au bord de la mer, se sont vus développer deux types de constructions (Celles-ci à partir du moment où les bains ne furent plus réservés aux seuls malades). D’une part se sont crées des hôtels dont la taille allait de la pension au grand hôtel de plusieurs centaines de chambres; jusqu’aux palaces d’avant la première guerre mondiale. D’autre part, on trouvait des maisons particulières d’une dizaine de pièces permettant aux touristes fortunés de venir y séjourner avec leurs personnels de maison. On observait souvent une modification soudaine des villes préexistantes à l’arrivée des touristes. Duhamel et Sacareau (1998) nous donnent l’exemple de St. Gervais les Bains qui est passé de 20 à 150 villas et de 8 à 20 hôtels entre 1898 et 1920. Ce type de développement des villes d’eaux n’était pas réservé à la France. Plusieurs stations de bord de mer anglaises, dont Bournemouth (L’hôtel Mont Dore) ont développé ces constructions.

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Illustration 9: L’historique de ‘La mise en tourisme des espaces’. Source : Clairay

&Vincent, 2008.

Ainsi, il est évident que le tourisme a introduit un rapport particulier à l'espace dès son origine modeste et sélective. Dès lors, on comprend le lien qui unit la géographie, le tourisme et en quoi celle-ci peut apporter des éléments d'analyse originaux à la compréhension de ce phénomène. Bien que considéré comme phénomène de masse récent, le tourisme, établi dans les mœurs sociales à partir du 17ème siècle, a su et a pu modifier un espace et ses alentours qu'il a influencé.