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PARTIE I : Une enquête au cœur de l'élite sportive

Chapitre 5 : Passer sa jeunesse en structure : les tentations de la jeunesse ordinaire

1. La construction d'une réseau relationnel exclusif

1.1. Une relation familiale à distance

Si l'entrée en structure de formation implique souvent un éloignement géographique avec la famille, elle ne signifie pas nécessairement une distanciation affective, de nombreux éléments attestant de la dépendance des jeunes sportifs à l'égard de leurs parents. Ainsi, comme le montre Cécile Van Velde (2008) avec les étudiants ou Bertrand (2008) avec les apprentis footballeurs, les jeunes conservent « leur » chambre au domicile familial, qui fonctionne comme un lieu de repli par rapport à l'emprise sportive.

Lors des périodes en structure, les contacts téléphoniques avec la famille constituent également un lieu de soutien affectif important. Ainsi, alors que de nombreux travaux révèlent les difficultés des relations entre les parents et les adolescents (Fize, 2003 ; Pasquier, 2005) marquées par la progression d'un « individualisme familial » (Déchaux, 2007), l'entrée en structure semble au contraire renforcer les liens familiaux. Les jeunes vivant en structure de formation tendent ainsi à idéaliser les parents avec lesquels ils ne vivent pas, comme les enfants de parents divorcés (Déchaux, 2007).

« Le départ en structure n’a pas changé les rapports avec mes parents, je pense qu'au contraire ça

nous a renforcés. C’est vrai que tu ne les vois pas de l'année par contre tu discutes beaucoup plus.

Je pense qu’il y a un dialogue qui s’installe, que certains parents n’ont pas chez eux avec leurs enfants. Certains enfants vont râler après leurs parents sur le fait qu’ils ne les laissent pas sortir mais

du coup ils leur disent rien alors que moi ça a été le contraire, j’ai eu tendance à me rapprocher de mes parents, je leur racontais beaucoup de choses. Et puis après quand je rentrais, ils avaient beaucoup confiance en moi, ils me laissaient sortir un peu aussi, il y a vraiment un rapport privilégié

qui s’est installé avec mes parents. Malgré la distance » (Emmanuel, nageur sorti de structure Pôle

France).

De nombreux sportifs soulignent cette proximité qui se construit dans la distance. Les parents jouent chacun des rôles différents dans ce processus.

« Quand j'appelle ça dépend, des fois je tombe sur mon père et lui de suite il va me demander ce que je fais à l'entraînement, comment ça se passe. Ma mère c'est différent, elle y connait rien en natation donc quand elle me demande comment ça va c'est plus de manière générale, pour savoir si je vais bien ou pas » (Flavien, nageur, Pôle Espoir).

« Je parle aux deux quand j'appelle, mais bon ma mère elle va plus me poser des questions sur ce

que je fais en cours alors que mon père ça va être plus sur les entraînements, les compétitions à

venir » (Léa, nageuse, Pôle France).

« J'ai des relations privilégiées avec mon père parce qu'il m'a entraîné donc on est vachement complices. Mais bon disons qu’il y a des choses que je confie à mon père et que je ne confie pas ma mère et qu’il y a des choses que je confie à ma mère mais que je ne confie pas à mon père. Ça dépend

du sujet de conversation. À ma mère je vais davantage lui parler des filles alors que mon père, je lui parle davantage de sport. Avec ma mère je vais parler davantage de tout ce qui est ludique, affectif et puis le travail scolaire comme elle est prof » (Waly, boxe française, Pôle France).

La différenciation sexuée des rôles parentaux s'inscrit dans la continuité de la socialisation familiale enfantine. Les pères entraîneurs ou initiateurs de l'engagement dans la pratique sportive de leur enfant jouent un rôle important dans le maintien du jeune au sein de la structure de formation. Le père s'intéresse ainsi aux résultats sportifs, au déroulement des entraînements et même à la relation entraîneur/entraîné91. En revanche, les mères majoritairement chargées de l'encadrement

scolaire de leur enfant avant l'entrée en structure (Marry, 2004), les questionnent sur le déroulement de leur scolarité et les difficultés qu'ils rencontrent. Ainsi, si les mères ne semblent pas avoir de rôle actif dans la socialisation sportive des enfants, comme le souligne Forté (2008), leur rôle « discret » s'avère tout aussi important que celui des pères. Cette division sexuée rejoint également la différenciation des rôles parentaux, caractéristique des familles contemporaines. Davantage marquée dans les familles de milieux populaires (Goffman, 2002), elle organise également le

fonctionnement familial dans des groupes sociaux mieux dotés en capital économique (Octobre, 2004). Ainsi, quelle que soit l'origine sociale des sportifs enquêtés, les modalités d'organisation des tâches familiales s'appuient sur une conception naturalisante des rôles féminins et masculins.

La fréquence des appels, élevée lors de la période d'entrée en structure (d'au moins une fois par jour à 2/3 fois par semaine), se réduit au fur et à mesure de la construction d'un nouveau réseau relationnel.

« On s'appelait avec mes parents mais bon, je les appelais une ou deux fois dans la semaine, si c'était important je les appelais deux fois dans la semaine, mais après en général je ne les appelais que le samedi parce que je savais qu'ils ne travaillaient pas et qu'ils étaient disponibles, parce que sinon moi, j'étais en cours la journée, je rentrais des cours, j'avais entraînement, je rentrais tard, je mangeais, il fallait que je reparte à l'internat... Au début on n'avait pas les téléphones portables. Pour moi ce n'était pas vital de les avoir tout le temps au téléphone. Disons que je n'avais pas besoin de

chercher du soutien auprès d'eux parce que je me sentais davantage comprise par les gens qui m'entouraient comme les joueuses » (Delphine, basketteuse, Nationale 1).

« Au début c'est vrai que je les appelais plus souvent, c'était pas évident de partir comme ça. Mais bon après on s'habitue, on fait des connaissances, on passe plus de temps avec nos potes. Et puis bon les autres, ils font le même entraînement que toi donc ils savent ce que c'est. Donc on essaye de se soutenir, de décompresser. Mais bon quand tout le monde déprime là c'est sûr j'appelle mes parents

pour me changer les idées. Disons que c'est de plus en plus rare » (Nicolas, nageur, Pôle France).

Ainsi la distanciation à la famille reste relative. Si le nouveau réseau relationnel peut remplacer le soutien affectif familial, la famille conserve un rôle important dans les moments les plus difficiles. Comme les relations familiales, les réseaux amicaux construits antérieurement à l'entrée en structure se modifient progressivement avec l'éloignement géographique.