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PARTIE I : Une enquête au cœur de l'élite sportive

Chapitre 5 : Passer sa jeunesse en structure : les tentations de la jeunesse ordinaire

1. La construction d'une réseau relationnel exclusif

1.3. Des modes de socialisation qui organisent les processus d'intégration

1.3.2. Des lieux de sociabilité aménagés

Pendant leurs temps libres, les sportifs disposent de lieux de sociabilités qui favorisent la construction de liens entre les sportifs d'une même discipline et/ou de disciplines différentes. Dans les structures pôles, les cafétérias permettent de discuter ou de jouer aux cartes autour d'une boisson non alcoolisée, ou encore au baby-foot ou au billard. Les centres de formation basket et les clubs disposent également d'un foyer ou club house94.

« Avant oui, on pouvait se retrouver à la cafétéria. On y allait généralement après avoir mangé au self. Mais tu vois ce qui a beaucoup changé au CREPS c’est que maintenant on mange à l’extérieur

à sup’aero alors qu’avant il y avait un réfectoire ici. Donc dans ce réfectoire la bouffe elle était pas

terrible mais au moins on se retrouvait tous et il y avait une vraie convivialité qui se poursuivait à la

cafet'. Alors que là, on est mélangé à d’autres étudiants et du coup on est un petit peu plus séparés

parce que c’est grand. Alors qu’ici tout le monde allait avec tout le monde, et c’est là vraiment qu’on pouvait se rapprocher. Il y avait une vraie complicité, et je pense que depuis qu'on est là-bas, c’est ça qui a fait que ça a changé. Et ça franchement ça me manque ! On n’est plus isolé, chacun avec sa

discipline… Mais bon maintenant tout le monde est de plus en plus dans son coin avec son petit confort dans sa chambre et cette complicité d’avant ça me manque » (Waly, boxe française, Pôle

France).

Comme le souligne Waly, l'absence de fréquentation de lieux communs en dehors de la pratique sportive complique l'intégration et la construction d'un réseau relationnel. Pour les sportifs choisissant de vivre en dehors de la structure, l'intégration au groupe se révèle particulièrement difficile.

« J'aurais préféré être en internat pour me rapprocher davantage du groupe. Je me sentais un peu

trop à part. C'est pas facile de s'intégrer quand tu n'es là qu'aux entraînements alors que eux ils se

voient tout le temps » (Polo, nageur sorti de structure Pôle Espoir).

« Quand je suis arrivée au CREPS, j'ai pris l'appartement à (l'école d'ingénieur). Donc du coup je n'allais qu'aux entraînements. Donc c'est vrai qu'au niveau de l'intégration au niveau du pôle ça m'a désavantagée. Je passais moins de temps avec eux donc c'était pas évident » (Amélie, boxe française, Pôle France).

Dans ces deux exemples les deux sportifs ont totalement ou partiellement abandonné la formation au sein des structures. Polo n'a pas terminé sa première année d'intégration et a mis un terme à sa carrière sportive. Amélie a profité de la salle de boxe de la structure pour s'entraîner, mais elle a continué à travailler en dehors des horaires d'entraînement en programmant ses séances avec son ancien entraîneur. Si elle réussit à se maintenir grâce à ses résultats sportifs, elle n'est jamais parvenue à créer des liens forts avec les autres boxeurs du pôle95.

Au delà de ces espaces de sociabilité qui favorisent et entretiennent les liens du réseau relationnel, les stages et les compétitions sportives contribuent à l'élargissement de ce réseau

renforcent le sentiment de vocation et réunissent les sportifs autour de ce sentiment par des affichages d'anciens champions, d'évènements sportifs, de victoires et de trophées (surtout dans les clubs house). Ce lieu de sociabilité permet ainsi également de rappeler aux sportifs qui les fréquentent leur appartenance à une élite sportive.

95 Cette mise en retrait s'est également construite en lien avec la concurrence des sociabilités liée à sa socialisation universitaire et à l'élargissement de son réseau relationnel hors contexte sportif.

relationnel spécifique.

« Les sélections c'était super. On rencontrait plein de joueuses comme nous, passionnées. C'était pendant les vacances scolaires et après en sélection équipe de France c'était beaucoup de stages d'été. Et puis à force de faire des sélections on commençait à se connaître, on était souvent le même groupe. Donc on se retrouvait toute une semaine voire même un mois. On avait un super groupe. On était des joueuses, on arrivait des quatre coins de la France on ne se connaissait pas, on partageait les repas ensemble, et donc voilà on n'allait pas se regarder dans le blanc des yeux donc on faisait connaissance, on se racontait des conneries et puis on est ensemble, on vit ensemble pendant

plusieurs jours voire plusieurs semaines donc forcément ça rapproche assez rapidement. Dans des contextes comme ça tout est amplifié ! » (Delphine, basketteuse, Nationale 1).

« On se croisait sur les régionales, après tu pars en sélection régionale, en compétition, donc on avait appris à se connaître déjà là et on était super copines, on s'appelait tous les jours. En stage tu te lies

vite d'amitié avec les gens parce que tu partages beaucoup de trucs. Partager la même passion ça aide à créer des liens. Mais c'est marrant parce que j'ai créé des liens au lycée, mais les liens les plus

forts que j'ai créé c'est en natation. Avec des nageurs parce qu'on vit les mêmes choses. Et puis en équipe de France c'est l'occasion de créer des liens encore plus forts » (Coralie, nageuse, club élite).

Les stages et les compétitions augmentent les temps libres et donc de sociabilité avec les « semblables ». Les jeunes sortent de leur contexte de formation et partent parfois en stage dans des régions différentes où ils retrouvent d'autres sportifs d'une autre structure mais de la même discipline. Parfois des activités différentes de leur pratique sportive sont organisées. L'ensemble de ces éléments renforcent les liens, par le partage d'une chambre ou la découverte de nouvelles activités (randonnées, V.T.T., surf...). Les liens qui unissent les sportifs partageant « la même

passion » s'intensifient dans ces contextes de sociabilité intense.

Si le contexte de formation et les contraintes imposées facilitent la construction d'un réseau relationnel exclusif, les jeunes se retrouvent cependant confrontés aux difficultés d'intégration et aux risques d'exclusion inhérents à la sociabilité juvénile.

1.3.3. Les difficultés d'intégration : du bizutage aux jugements des autres