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PARTIE I : Une enquête au cœur de l'élite sportive

Chapitre 5 : Passer sa jeunesse en structure : les tentations de la jeunesse ordinaire

1. La construction d'une réseau relationnel exclusif

1.3. Des modes de socialisation qui organisent les processus d'intégration

1.3.1. Des regroupements par affinité : l'influence des contextes

En fonction des contextes, des structures, mais aussi des groupes, les modalités d'intégration diffèrent. Si les contextes d'homosociabilité ou d'hétérosociabilité proposent des socialisations différenciées, les structures de formation se différencient également en fonction de la composition des groupes en présence.

Dans les structures pôle, les sportifs sont mélangés à d'autres disciplines. Matéo souligne ses difficultés d'intégration et d'adaptation qui varient d'année en année en fonction des sportifs qui partagent sa chambre. Ses propos pointent deux paramètres essentiels dans la création du réseau relationnel : le partage des mêmes rythmes de vie et donc par conséquent la pratique de la même activité sportive, et l'âge92 qui constitue un facteur de différenciation entre générations au sein d'un

même groupe de sportifs ou d'une même équipe.

« Quand je suis arrivé à X, je ne connaissais personne. Puis quand je suis allé là-bas, ça s’est super bien passé de suite avec tout le monde. [...] Après il y a eu des années plus faciles que d’autres, la

92 En effet, l'âge est un facteur structurant des relations et ce, de manière évidente pour la catégorie d'âge inférieure à 24 ans (Bidart, 1997).

première année j’étais dans une chambre où c’était assez difficile, il y avait un footballeur, un lutteur qui n’avaient pas le même rythme de vie. Moi je me levais tôt le matin pour aller à l’entraînement, le mercredi, le soir, je rentrais j’étais fatigué, eux ils foutaient rien, le soir ils foutaient le bordel, j’étais mort, c’était un peu difficile. L’année après, je suis allé dans une chambre, où il n’y avait que des

nageurs, là je me suis régalé. L’année d’après, j’étais en terminale, c’était une chambre où j’étais le

plus grand, il y avait des nageurs qui étaient plus jeunes, ça a été un peu plus difficile » (Mateo, nageur sorti de structure Pôle France).

L'âge participe à la hiérarchisation au sein des groupes, fortement associé par ailleurs au niveau de performance. En effet, l'entrée en structure s'impose comme une épreuve d'humilité pour les plus jeunes. Meilleurs sportifs dans leur club, ils se retrouvent comme « les moins bons des

meilleurs » en structure pôle. À l'entraînement, en intégrant tout d'abord le Pôle Espoir, ils sont à

nouveau séparés des meilleurs pendant les entraînements. Cette frontière, objectivée à l'entraînement, se perpétue également symboliquement dans la vie quotidienne, structurant l'organisation des chambres et les moments de repas ou de temps libre. Progressivement, le groupe des plus forts (mais aussi des aînés), devient un exemple à suivre, tant dans leurs comportements à l'entraînement que dans leur mode de vie au quotidien. Dans les disciplines individuelles, l'institution sportive désigne souvent l'aîné du groupe et/ou celui ou celle qui a le plus d'expérience sportive comme le leader du groupe, équivalent du capitaine dans les sports collectifs. Le leader est chargé de maintenir l'ordre à l'entraînement et de guider les plus jeunes dans l'accès à l'autonomie sportive (respect des horaires, routines d'échauffement, étirements, hydratation...).

Dans le cas du basket-ball féminin, le passage en équipe professionnelle et donc l'augmentation des exigences sportives impliquent également des modifications en terme de sociabilité.

« Les relations avec les coéquipières c’est différent d'équipe en équipe et en fonction du niveau

également. Je pense qu'ici, quand on n'était pas encore en équipe professionnelle on faisait davantage

de choses ensemble pas seulement au niveau des sorties, on allait au foyer, et on se faisait des soirées ensemble. En équipe professionnelle les rapports sont beaucoup plus fermés » (Namé, basketteuse, ligue féminine).

En fonction du niveau et donc des exigences sportives, les sportifs et les sportives n'entretiennent pas les mêmes formes de sociabilité. L'intensité des relations baisse ainsi avec la diminution des activités extra-sportives partagées. Zoé raconte les différences de sociabilité entre la structure P. où elle vivait au quotidien avec les autres joueuses, et le club professionnel qu'elle a intégré où les sociabilités de l'équipe n'organisent plus la vie quotidienne.

« Plus le niveau augmente plus j'ai l'impression que la proximité entre les joueuses diminue. Quand tu es jeune tu pars dans le bus, tu manges, tu rigoles, tu écoutes la musique, tu chantes, tu joues ton match, si tu gagnes tu bois un coup tu fais des rencontres. Après à P. c'est différent parce qu'on était

toutes du même âge, et puis de vivre ensemble on était très proche les unes des autres. Et puis ici,

c'est un métier. Et puis la première année il y avait des problèmes de langue. Il y avait une américaine qui ne parlait pas un mot de français, une serbe, une croate, une russe... Donc c'est vrai que les problèmes de langue complexifient les relations. Mais ça dépend des années. On vient tellement

d'horizons différents que soit ça prend bien soit ça ne prend pas bien » (Zoé, basketteuse, ligue

féminine).

Par ailleurs, les groupes se forment au sein d'une même équipe en fonction des affinités, de la culture mais également de la sexualité (Sablik, 2005)93.

« Au centre de formation on avait vraiment un super groupe, mais ça peut arriver quand même qu'il y

ait des groupes au sein d'équipes. Et forcément ça change l'ambiance, il n'y a pas forcément une

super ambiance. C'est super néfaste dans un sport collectif, et après tu vois il y a des équipes qui ne s'entendent pas du tout en dehors, mais sur le terrain elles vont être capables de faire abstraction et avoir de super résultats sur le terrain. Mais bon après c'est toujours difficile quand tu fais un sport collectif quand il y a des groupes, parce que si tu vas à l'entraînement à reculons parce que tu sais que tu vas voir une telle ou une telle et que tu ne l'aimes pas, dans un sport collectif c'est difficile » (Delphine, basketteuse, Nationale 1).

Ainsi, progressivement, les sociabilités des jeunes sportifs se construisent au sein d'un monde « diminué », le monde sportif, mais s'organisent finalement de manière hiérarchisée comme dans le monde ordinaire. Elles se structurent en fonction de la discipline sportive pratiquée, de l'âge, de l'orientation sexuelle mais également de l'appartenance culturelle, comme le montre le cas du Pôle France de boxe française avec le recrutement de boxeurs réunionnais.

Pôle France de boxe française : un recrutement favorisant le regroupement culturel

Dès que l'entraînement autorise les regroupements par affinités, les interactions s'organisent majoritairement en fonction de celles-ci. Dans le cas du Pôle France observé, le recrutement d'une majorité de réunionnais favorise les regroupements de sportifs partageant une même appartenance culturelle. Originaires de la même île, partageant la même culture, les boxeurs réunionnais n'hésitent pas à parler réunionnais lorsqu'ils entrent en interaction. Ainsi, en début d'entraînement, pendant les temps de récupération ou en fin d'entraînement, ils partagent leur vie quotidienne, discutent de leurs 93 Dans le cas du basket-ball féminin, une enquête au cœur d'une équipe a montré que la sexualité des joueuses pouvait

organiser ces sous-groupes et que l'opposition des sous-groupes structurait les sociabilités au sein de l'équipe (Sablik, 2005).

entraînements, des prochains combats ou d'anecdotes diverses en utilisant leur dialecte. Seuls les boxeurs présents depuis plusieurs années au sein de la structure arrivent à comprendre des bribes de discussions sans pour autant pouvoir partager réellement leurs conversations. Ce mode de sociabilité organise fortement les sociabilités au sein du groupe pendant l'entraînement et hors de la scène sportive. Sans exclure réellement les boxeurs non réunionnais, il contribue à renforcer les liens entre les sportifs originaires de la Réunion (Forté, 2010).

« C'est vrai qu'on est plusieurs à venir de la Réunion. Ça arrivait déjà sur l'île qu'on mette les gants ensemble, c'est une petite île. Et puis bon voilà on vient du même endroit, on a la même culture donc

forcément ça rapproche. […] C'est vrai qu'on sort plus souvent entre nous, et puis la vie là-bas et ici

c'est différent donc c'est vrai que dans les sorties on aime les mêmes choses » (Waly, boxe française, réunionnais, Pôle France).

« On s’entend tous très bien mais après forcément il est des affinités plus ou moins fortes entre certains. Les réunionnais par exemple, ils sont souvent entre eux. Ils viennent tous du même

endroit donc c’est un petit peu normal. La boxe française à la réunion s’est très répandue, c'est très

pratiqué. C’est vrai que dans l'autre structure il y avait beaucoup de réunionnais. mais bon aujourd’hui c’est vrai qu’ils sont tous ici. » (Daye, boxe française, Pôle France).

« On a un bon groupe, on s'entend bien mais c'est sûr que dans le groupe il y en a qui ont plus d'affinités ensemble que d'autres. David et Waly par exemple, ils viennent tous les deux de la

Réunion et c'est vrai que tous ceux qui sont de la Réunion sont beaucoup plus proches » (Daouda,

boxe française, Pôle France).

Ainsi les sociabilités créées au sein des structures construisent et reproduisent les hiérarchies établies dans le monde ordinaire. Comme le café ou le bar du coin, « la cafet' » et le « club house » participent au développement de ces sociabilités spécifiques. Les déplacements en compétition, qui remplacent les week-ends entre amis, favorisent le renforcement des liens établis mais également l'élargissement et le renouveau du réseau relationnel exclusif au monde sportif.