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CHAPITRE 6 STATUT DE LA COMPOSITION PAR RAPPORT A LA MORPHOLOGIE

6.2 A RGUMENTS CONTRE L ’ EXCLUSION DE LA COMPOSITION HORS DE LA MORPHOLOGIE

6.2.2 Relation entre les composants

Un autre argument qui conduit à traiter la composition comme un processus non morphologique est fondé sur l’analyse de la relation entre les composants. Ainsi, Anderson (1992 : chapitre 11) reconnaît que les unités lexicales qui entrent dans les composés [NN]N ou [VN]N de l’anglais entretiennent des relations sémantiques qui

correspondent à des relations argumentales traditionnellement observées dans les constructions syntaxiques.

[…] other arguments also support the suggestion that compounding is […] a process of word- internal syntax. For exemple, the elements of compounds typically fill […] argument position in the semantics of other elements : cf. cutthroat, dogcatcher. […] It is clear that whatever the principles governing the internal relations of these elements, they are syntactic in a way which is somewhat different from other aspects of morphology. (Anderson (1992 : 293))

Par exemple, dans le composé cutthroat (‘assassin’), Anderson (1992) interprète la relation sémantique que le prédicat to cut (‘couper’) entretient avec le nom throat (‘la gorge’) comme une relation syntaxique de type verbe / argument, et plus

3 En outre, Anderson (1992 : 293), qui comme Aronoff (1994) exclut la composition de la

morphologie, reconnaît néanmoins que certains mots composés présentent des modifications phonologiques (qu’il appelle, au même titre qu’Oniga (1992) des « règles de réajustement phonologiques »). « There is every reason to believe that the stems combined, as lexical items, will already have undergone rules at various levels ; but a newly formed compound might itself then be subject to phonological adjustements appropriate to all levels of the lexicon, including comparatively deep ones. » (Anderson (1992 : 293))

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précisément comme une relation de type verbe / complément d’objet (to cut the

throat ‘couper la gorge’). Autre exemple, dans le composé dogcatcher, Anderson

(1992) reconnaît que le nom dog entretient avec le verbe to catch sur lequel est construit le nom catcher qui apparaît dans le composé, une relation argumentale identique à celle d’un verbe et de son complément (to catch the dog ‘attraper le chien’). Il en infère alors que la composition est une règle « quasi syntaxique » qui organise des unités lexicales de la même manière que le fait la syntaxe, à cette différence près qu’elle produit, comme résultat, un nom et non un syntagme ou une phrase.

We began this chapter with a consideration of some reasons to believe that at least one traditional category of words, namely compounds, do indeed ha ve internal constituent structure despite the arguments of chapter 10 (and elsewhere) that such structure should not be assigned to words in general. To accommodate the structure of compounds, we proposed that the syntax includes Word Structure Rules that can develop lexical categories. These are similar to phrase-structure rules but have rather different properties with respect to the notions of X-theory. (Anderson 1992 : 318) [c’est moi qui souligne]

Ce type d’argument est similaire à ceux évoqués par Di Sciullo & Williams (1987), Lieber (1992), Barbaud (1991, 1994, 1997) ou Zwanenburg (1992) présentés ici en première partie. Il pêche par la confusion qu’il opère entre un niveau d’analyse sémantique et un niveau d’analyse syntaxique ; en effet, il rend compte de relations sémantiques de type prédicat / Patient4 entre des unités lexicales comme d’une relation syntaxique. L’objet du Chapitre 8 de la présente thèse consistera justement à contrecarrer ce genre d’analyse, en montrant qu’une relation de type prédicat /

Patient est une relation sémantique mise en jeu par des lexèmes (c’est-à-dire des

unités lexicales hors emploi) et que cette relation peut se réaliser soit dans une construction syntaxique, soit dans une construction morphologique, la composition, en l’occurrence.

Ainsi, l’argument d’Anderson (1992) ne peut constituer un obstacle pour appréhender la composition comme une règle morphologique.

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6.3 Bilan

Si un mot composé répond à la définition donnée en (30), et si la morphologie constructionnelle est un composant autonome, indépendant de la syntaxe, qui construit des lexèmes sur la base de lexème, alors la composition est une règle de construction de mots qui appartient à la morphologie. Le composant morphologique constructionnel prend donc en charge la formation des mots par composition, de même que la formation des mots par dérivation et par conversion (comme l’a montré par ailleurs Kerleroux (1996a, 1996b, 1997, 1999)). J’emploierai dorénavant le terme de morphologie constructionnelle pour faire référence au composant morphologique lexical dont les règles de construction de mots sont des règles de dérivation, de composition et de conversion.

Conclusion

La deuxième partie a montré que la grammaire doit comprendre un composant morphologique autonome, distinct du composant syntaxique. Dans un premier temps, j’ai montré qu’une des conditions pour maintenir un composant morphologique qui soit indépendant des contraintes de la syntaxe était d’exclure la morphologie flexionnelle de la morphologie constructionnelle parce que la flexion entretient des liens avec un mode d’organisation syntaxique.

J’ai posé que l’objet du composant morphologique constructionnel est de rendre compte des relations lexicales entre lexèmes, c’est-à-dire des relations de forme, de catégorie et de sens entre des unités lexicales hors emploi syntaxique.

J’ai montré que les unités primitives de la morphologie constructionnelle sont (notamment) de type lexème et que les unités de type préposition, conjonction, déterminant et pronom en sont exclues parce qu’elles constituent des primitives de la syntaxe.

J’ai déduit de la définition de l’objet de la morphologie constructionnelle et de ses unités primitives que la composition est une règle de formation de mots qui appartient à la morphologie constructionnelle. J’en ai déduit, en outre, que la

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morphologie constructionnelle ne construit pas les expressions nominales complexes qui mettent en jeu des unités fléchies ou des unités propres à la syntaxe, telles que les prépositions, les conjonctions, les pronoms ou les déterminants.

Ainsi, la deuxième partie a montré que la morphologie constructionnelle dispose des concepts appropriés pour analyser les mots composés [VN]N/A selon des

modalités différentes de celles définies par la syntaxe. Il reste cependant encore à prouver que les composés [VN]N/A sont des construits morphologiques, c’est-à-dire

des construits qui répondent aux propriétés définitoires de la morphologie constructionnelle telles que je les ai présentées ci-dessus.

Troisième partie

Analyse morphologique des mots

Introduction

Cette troisième partie s’attachera à montrer que les mots composés [VN]N/A du

français sont construits par la morphologie constructionnelle. Cette analyse est fondée dans la mesure où les composés [VN]N/A répondent aux conditions d’une

construction morphologique telles qu’elles ont été définies en deuxième partie. En

l’occurrence, les composés [VN]N/A sont analysés comme des construits

morphologiques parce que les unités en jeu dans ces constructions sont du type lexème et que les relations que ces unités entretiennent entre elles sont d’ordre sémantique et non pas d’ordre syntaxique.

Comme l’ont montré les Chapitre 1 et Chapitre 2 de la première partie, les points de tension traditionnels contre une analyse morphologique de ces composés concernent le verbe, à la fois dans son identité (s’agit- il d’une forme fléchie ou d’un thème du verbe ?) et dans le type de relations qu’il entretient avec le nom qui suit dans la construction (entretient- il des relations syntaxiques ou sémantiques avec le N ?). Les Chapitre 7 et Chapitre 8 étudient respectivement ces deux questions.

Le Chapitre 7 a pour objet d’analyser la forme du verbe qui apparaît dans les composés [VN]N/A et aboutit à montrer que cette forme correspond à un thème

verbal, c’est-à-dire à une forme du lexème verbe.

Le Chapitre 8 a pour objet d’analyser les relations sémantiques qu’entretient le verbe des composés [VN]N/A avec le nom de la construction et aboutit à montrer que

ces relations ne sont pas d’ordre syntaxique mais d’ordre sémantique. Surtout, le Chapitre 8 détermine avec précision la nature des contraintes sémantiques qui pèsent sur la composition [VN]N/A en français.