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Des constructions syntaxiques ou la « conversion syntaxique »

CHAPITRE 2 L’ANALYSE DES MOTS COMPOSES [VN] N/A DU FRANÇAIS DANS LE

2.4 B ARBAUD (1991, 1994, 1997)

2.4.3.2 Des constructions syntaxiques ou la « conversion syntaxique »

Les critiques qu’avance Barbaud (1994) contre une analyse morphologique des mots composés [VN]N/A du français lui permettent de justifier son approche

syntaxique de la construction. L’originalité de sa proposition est de construire l’ensemble des propriétés des [VN]N/A au moyen d’une règle unique, la « conversion

syntaxique ».

Grâce au concept de conversion syntaxique qui sous-tend le changement distributionnel des catégories syntaxiques au niveau de la structure-D, nous sommes à même de rendre compte de manière unifiée des propriétés lexicales et syntaxiques qui sont le lot des NCV [noms composés verbaux, c’est-à-dire les [VN]N/A] (Barbaud (1994 : 20))

Cette règle de « conversion syntaxique » est une règle de réécriture qui s’inscrit dans le cadre de la théorie X barre. Mais à la différence des règles X barre, elle ne respecte pas le principe d’endocentricité catégorielle et se caractérise, au contraire, par l’exocentricité.

Barbaud (1994) la transcrit sous (33a.) :

(33) a. Z’’ → SPEC X’ (Barbaud (1994 : 14))

La règle (33a.) dit qu’elle accomplit une conversion syntaxique uniquement lorsque la valeur catégorielle de Z est différente de celle de X’, en d’autres termes, seulement en cas d’exocentricité catégorielle. C’est en raison de cette exocentricité catégorielle que la formation des composés [VN]N/A peut avoir lieu en syntaxe, parce

qu’à la différence d’une règle morphologique, elle rend compte d’un phénomène de « changement distributionnel » et non de changement catégoriel.

Ainsi, pour concilier mode de construction syntaxique et statut d’unité lexicale, Barbaud (1994) conçoit une règle de réécriture X barre spécifique pour la formation des mots composés et définie par l’ « exocentricité ».

[…] l’exocentricité syntaxique est une propriété formelle des langues naturelles exploitée à des fins lexicales […]. (Barbaud (1994 : 20))

Cette règle de « conversion syntaxique », par sa propriété d’exocentricité, conduit Barbaud à remettre en cause le principe chomskyen d’endocentricité des règles X barre.

L’analyse des mots composés [VN]N/A du français dans le cadre de la grammaire générative du 20e siècle Dans cette nouvelle perspective, il convient d’admettre que le rapport entre la syntaxe et le lexique n’est plus assujetti à l’exclusivité de la contrainte qu’impose la forme atomique aux catégories lexicales, comme dans le modèle chomskyen. Il s’ensuit […] que l’endocentricité des structures syntagmatiques ne peut plus être ce postulat exclusif de la grammaire universelle, ce qui veut dire en clair qu’un syntagme n’est pas la nécessaire projection de son pivot. (Barbaud (1994 : 20))

Appliquée précisément aux [VN]N/A, la règle de conversion syntaxique exprime

leur statut de prédicat lexicalisé (« nominalisé ») dominé par un syntagme nominal : (33) b. SN → DET SV (Barbaud (1994 : 14))

La mise en œuvre des mécanismes propres à la syntaxe X barre, appliqués à cette « règle de conversion » spécifiquement dévolue à la formation des mots composés, rend compte ensuite de la totalité des propriétés des composés [VN]N/A du français.

– du point de vue de leur cons truction interne :

(i) Barbaud (1994 : 11-12) analyse le verbe des [VN]N/A comme étant fléchi.

Il s’attache à expliquer d’une part (1) comment le verbe prend sa marque de flexion, d’autre part (2) pourquoi le verbe ne varie pas flexionnellement, et enfin (3) comment le sujet du verbe a disparu de la structure. Pour (1), le verbe monte dans l’arbre prendre sa marque de flexion comme il le fait normalement en syntaxe (Barbaud (1994 : 15)). Pour (2), Barbaud (1994 : 16) explique la contrainte de l’absence de variation flexionnelle du verbe et l’exclusivité du temps présent par la sémantique de la nominalisation : selon lui, la fonction dénominative de la composition est uniquement compatible avec le temps présent. Quant au point (3), il résulte de l’inexistence d’une position SPEC (cf. règle de conversion syntaxique (33a.)) à l’intérieur du syntagme tronqué qui constitue la structure interne des [VN]N/A (cf. le point (iii) ci-dessous) :

puisque le sujet figure normalement en position SPEC, l’absence de cette posit ion explique « pourquoi il n’existe aucun composé avec SN sujet » (Barbaud (1994 : 17)) ;

(ii) l’ordre V-COD que Barbaud (1994 : 9) attribue aux constituants des [VN]N/A respecte celui des syntagmes, et à ce titre ne pose pas de problème

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(iii) pour rendre compte de la disparition du déterminant propre au second constituant des constructions [VN]N/A, Barbaud (1994 : 13) stipule que la

structure interne de ces composés est constituée d’un « quasi-SV », c’est- à-dire d’un syntagme verbal tronqué, dépourvu de position SPEC. Cette propriété du complément de s’actualiser dans une structure tronquée est justifiée par une contrainte sémantique générale qui « s’exerce sur la formation des mots au niveau de la structure-D » (Barbaud 1994 : 17) et qui reflète « une ‘servitude’ conceptuelle liée à ‘l’indétermination de base’ des éléments contribuant à la formation d’une entrée lexicale » (Barbaud (1994 : 22, note n°14)). En d’autres termes, le syntagme nominal inclus dans le syntagme verbe qui construit les [VN]N/A est dépourvu de

déterminant parce que les lexèmes qui le constituent requièrent sémantiquement l’indétermination. Les contre-exemples que constituent les noms trompe-la-mort, traîne-la-patte ou tire-au-flanc sont évincés parce que ces entrées lexicales sont de catégorie Vmax et non de catégorie V’ comme les [VN]N/A (Barbaud (1994 : 17)) ;

(iv) le figement syntaxique des structures [VN]N/A, qui n’acceptent aucun

modifieur adverbial, est également justifié par l’absence de la position SPEC, étant attendu que ce type de modifieur est aussi généré dans cette position (Barbaud (1994 : 17)) ;

(v) le rapport entre le V et le N au sein des structures [VN]N/A est appréhendé

comme celui d’un verbe et de son objet29 (Barbaud (1994 : 18)). Il reste à justifier l’apparition obligatoire d’un verbe transitif suivi d’un COD. Barbaud l’explique, là encore, syntaxiquement au moyen du théorème de Burzio (1986 : 185) qu’il met en relation avec l’exigence d’un sujet hyperonymique abstrait associé à chaque composé [VN]N/A (cf. le point

(vi) ci-dessous), et de la forme fléchie du verbe. Le théorème de Burzio « dit que si un verbe marque son argument interne pour A(ccusatif), alors

29 Bien que le rapport soit celui d’un verbe et de son objet, Barbaud (1994 : 9-10) précise qu’il y a

cependant mise en suspension de l’interprétation thématique pour justifier le fait que le sens des composés français [VN]N/A ne correspond pas au sens compositionnel de tout constituant S. Ainsi, le

N des [VN]N/A est marqué par le cas accusatif mais est dépourvu du théta-rôle « c’est-à-dire de

l’interprétation littérale qui s’adresse normalement à l’objet du verbe » : « Par exemple, le mot

couvre-feu, au sens actuel de « mesure de police » ne veut pas dire que quelque chose « couvre le

feu » même si étymologiquement parlant, il existe un lien rhétoriquement motivé avec la réalité historique. » (Barbaud (1994 : 10)). Cette idée est en relation avec celle de l’interprétation imprédictible de ces composés (cf. § 2.4.3.1 point (v)).

L’analyse des mots composés [VN]N/A du français dans le cadre de la grammaire générative du 20e siècle ce verbe doit aussi marquer son argument externe (sujet) d’un rôle-θ approprié. L’inverse est aussi vrai. » (Barbaud (1994 : 23, note n° 22)). Ainsi, parce que le déterminant de la structure est théta- marqué par l’argument externe, le théorème de Burzio impose que l’élément en position post- verbale soit marqué par le cas accusatif.

– du point de vue de leurs propriétés d’unités lexicales :

(vi) selon Barbaud, l’interprétation sémantique des unités lexicales de structure [VN]N/A n’est pas compositionnelle (cf. § 2.4.3.1, point (v)) mais est

construite à partir de la notion de sujet abstrait lequel est imprédictible à partir des lexèmes constituants. Le « Principe du Sujet Hyperonymique » établit que « pour toute entrée lexicale i à fonction dénominative, il existe un sujet abstrait S tel que S est l’hyperonyme H de i » (Barbaud (1991 : 238)). Dans le cadre théorique de Barbaud (1994 : 17), ce sujet lexical hyperonymique est pris en charge par le spécifieur de la structure exocentrique, c’est-à-dire par le déterminant du mot composé. Le déterminant du [VN]N/A porte ainsi la séma ntique du sujet hyperonymique

(par exemple, « instrument », « personne », « bâtiment ») et le transmet au mot composé, grâce à son statut de spécifieur ;

(vii) le genre systématiquement masculin des structures [VN]N/A est expliqué

par le lien qu’entretient l’attribution du genre avec le « Principe du Sujet Hyperonymique » : Barbaud (1991 : 240) soutient, en effet, que le sujet hyperonymique doit obligatoirement porter un genre non marqué, qui en français est pris en charge par le masculin. « C’est donc la sémantique des classes hyperonymiques qui motive l’uniformité du genre dans ce type de formations » (Barbaud 1994 : 17) ;

(viii) s’il y a transmission du sens et du genre aux constructions [VN]N/A par leur

« sujet » DET, son trait [+pluriel], en revanche, ne se transmet pas à la flexion verbale. Barbaud (1994 : 18) avance une raison ad hoc, qui tient au fait que « la règle d’accord en nombre, qui opère normalement en contexte local SN/I°, n’est pas analysable pour le contexte DET/I° ».

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2.4.4 Bilan

L’analyse des mots composés [VN]N/A du français comme des constructions

syntaxiques est essentiellement motivée par un traitement des relations entre le V et le N en termes de relation syntaxique de type verbe-COD. La syntaxe ayant l’exclusivité de la formation de ce type de relation, la morphologie n’est pas apte à construire les composés [VN]N/A.

La règle de conversion syntaxique qu’ajoute Barbaud (1991 ; 1994) à la théorie X barre permet de construire, dans un cadre syntaxique, la structure des mots composés tout en justifiant leurs propriétés d’unité lexicale. Il s’agit d’une règle de réécriture à laquelle Barbaud apporte quelques modifications ad hoc de manière à aménager les conflits entre le pouvoir des règles et les propriétés des mots composés. Dans le cas des [VN]N/A du français, ces aménagements ont pour rôle de contraindre les règles de

formation des syntagmes verbaux de sorte que le verbe analysé comme fléchi ne varie pas selon son paradigme, que le syntagme verbal n’ait pas de sujet et le N complément du verbe pas de déterminant, mais que ce syntagme soit réalisé comme un nom, et enfin que l’interprétation sémantique de l’ensemble ne relève pas de la compositionnalité des constituants.

L’approche de Barbaud est dictincte de celle de Di Sciullo & Williams (1987), Zwanenb urg (1992) et Lieber (1992) en ceci que c’est le même ensemble de règles qui a le pouvoir de construire la structure interne des composés et les propriétés liées à leur statut d’unité lexicale. C’est sur ce dernier point que ses prédécesseurs, soit pour respecter le principe d’« atomicité » lié à l’hypothèse lexicaliste, soit pour convenir aux principes de la théorie X barre, étaient contraints de mettre en place, qui une règle de changement catégoriel périphérique à la grammaire (Di Sciullo & Williams (1987)), qui une règle de conversion morphologique (Zwanenburg (1992)), qui une règle de conversion syntaxique par suffixe zéro (Lieber (1992)).

2.5 Conclusion

Dans ce chapitre, j’ai voulu rendre compte de l’analyse des mots composés [VN]N/A du français telle que la proposent les grammairiens post- génératifs, en

L’analyse des mots composés [VN]N/A du français dans le cadre de la grammaire générative du 20e siècle mettant en valeur les liens qu’entretiennent ces analyses avec l’architecture des cadres théoriques au sein desquelles elles sont exprimées, et les choix théoriques qui résultent de ces architectures. En conclusion de ce chapitre je reprendrai chacun de ces points :

- le premier (cf. § 2.5.1) rappelle les résultats des analyses avancées pour rendre compte de la formation des mots composés [VN]N/A, en précisant les deux

grandes étapes autour desquelles elles s’organisent systématiquement ;

- le deuxième (cf. § 2.5.2) a pour objet de relier les résultats des analyses à l’architecture des cadres théoriques de façon à montrer la dépendance des premières par rapport aux seconds ;

- le dernier paragraphe (cf. § 2.5.3) a pour objectif de mettre au jour les concepts théoriques qui ont été les moteurs du rejet d’une analyse morphologique des mots composés [VN]N/A. Il s’agit, en d’autres termes, d’élucider les points de blocage

qui, dans la grammaire post-générative, empêchent qu’un composant morphologique prenne en charge la formation de ce type de composés.

2.5.1 L’analyse

L’analyse des mots composés [VN]N/A s’opère généralement en deux temps selon

que les auteurs traitent leur structure interne ou leur fonctionnement lexical.

En ce qui concerne la structure interne, il y a unanimité pour que la construction ait lieu en syntaxe. L’analyse suit grossièrement trois étapes : (1) identification des propriétés relationnelles entre le verbe et le nom comme une relation de type tête verbale/argument ; (2) interprétation de ces propriétés relationnelles comme une relation verbe/complément ; (3) représentation de cette relation verbe/complément au moyen d’un syntagme verbal.

Cette analyse syntaxique de la relation entre le V et le N nécessite de justifier les incohérences qui en résultent, eu égard au comportement des composés [VN]N/A :

– la question de la forme du verbe : interpréter la structure interne des [VN]N/A en

termes de syntagme verbal implique nécessairement que le verbe soit marqué par une flexion verbale qu’il s’agit de déterminer et de justifier. Or la majorité des auteurs passent ce point sous silence et s’en tiennent à identifier le verbe par sa catégorie. Seul Barbaud (1991 ; 1994) prend position en faveur d’un verbe

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conjugué à l’indicatif présent singulier, et justifie théoriquement à la fois l’attribution de cette flexion et le blocage flexionnel du verbe ;

– la question de l’absence du déterminant du nom dans le syntagme verbal. Ce point, là encore, a été largement négligé, et seul Barbaud (1994) l’aborde en le justifiant sémantiquement.

La représentation de la structure interne des composés [VN]N/A au moyen d’un

syntagme verbal exige une seconde étape dans l’analyse qui rende compte de leur fonctionnement lexical. L’ensemble des auteurs reconnaît en effet que les [VN]N/A,

bien qu’ils soient construits d’un syntagme verbal, n’en présentent pourtant pas le comportement, mais possèdent les propriétés catégorielles et sémantiques d’un nom ou d’un adjectif. Pour construire ces propriétés dans la grammaire, tous ont recours à une règle dite de conversion, terminologie unique qui recouvre cependant des opérations distinctes qui ont lieu dans des composants différents.

Le statut le plus fréquemment accordé à la « conversion » (Di Sciullo & Williams (1987), Zwanenburg (1991, 1992), Lieber (1992)) est celui d’une règle indépendante des principes de construction de la structure interne des [VN]N/A. La règle est, soit

reléguée à la périphérie de la grammaire et ne relève d’aucun composant grammatical, ni syntaxique, ni morphologique (Di Sciullo & Williams (1987)), soit appartient à la grammaire. Dans ce dernier cas, la règle de conversion participe du composant morphologique s’il est reconnu au sein de la grammaire (Zwanenburg (1992)), ou du composant syntaxique lorsque la morphologie n’est pas autonome mais prise en charge par la syntaxe (Lieber (1992)).

L’autre statut accordé à la « conversion » (Barbaud (1991, 1994)) est celui d’une règle qui partage les mêmes principes que ceux mis en œuvre pour construire syntaxiquement la structure interne des [VN]N/A et génère la totalité des propriétés de

ces composés.

2.5.2 Liens entre l’analyse et l’architecture des