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CHAPITRE 2 L’ANALYSE DES MOTS COMPOSES [VN] N/A DU FRANÇAIS DANS LE

2.4 B ARBAUD (1991, 1994, 1997)

2.4.1.1 Contre l’hypothèse lexicaliste

Barbaud réfute l’hypothèse lexicaliste qu’il qualifie de « syndrome de l’atome ». Il la remet en cause notamment à l’occasion de l’examen des diverses propositions

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avancées par Di Sciullo & Williams (1987) et Lieber (1992)26 pour rendre compte du statut d’unité lexicale des composés français [VN]N/A, propositions qui conduisent

toutes à poser une règle de conversion jugée ad hoc.

Quelle explication devons-nous envisager pour comprendre pourquoi la grammaire générative a pu aboutir à une telle incohérence interne ? Nous invoquerons le fait que la conception chomskyenne de l’interface lexique/syntaxe (ILS) exclut rigoureusement l’idée qu’une entrée lexicale puisse être autre chose qu’une catégorie lexicale, c’est-à-dire un atome syntaxique. (Barbaud (1994 : 7))

Il est en revanche favorable à ce que la syntaxe ait accès à la formation des mots, en particulier des mots composés27.

C’est pourquoi nous disons que les règles de la syntaxe sont pertinentes à la formation des mots […] Il s’ensuit logiquement qu’elles peuvent manifester les mêmes propriétés formelles que les règles morphologiques. (Barbaud (1994 : 13))

Cette position est motivée par une répartition entre composant syntaxique et composant morphologique qui tient aux unités que chacun manipule et aux rapports qu’ils construisent entre ces unités. La composition est la pierre angulaire de cette répartition.

2.4.1.2 Les unités de la morphologie

Le composant morphologique, pour Barbaud (1991, 219), se distingue du composant syntaxique en ceci qu’il ne manipule pas le même type « d’entités primitives ». La morphologie (dérivationnelle et flexionnelle) combine entre elles des entrées lexicales dites « liées » qui correspondent à des affixes et des « lexies » (comprenant des « racines » et/ou des « bases »). La syntaxe, quant à elle, combine

26 Barbaud (1994 : 1 & 3) prend les règles de Di Sciullo & Williams (1987) et Lieber (1992) qui

rendent compte des propriétés lexicales des [VN]N/A, pour des règles de conversion morphologique.

Or Di Sciullo & Williams (1987) précisent que leur règle est périphérique à la grammaire, et ne relève ni du composant morphologique, ni du composant syntaxique (cf. § 2.2.3.3.1), et Lieber (1992) envisage cette règle uniquement dans une perspective syntaxique puisqu’elle ne reconnaît pas de composant morphologique autonome dans la grammaire (cf. § 2.3.3.2).

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La syntaxe n’a accès qu’à la formation des mots composés puisque Barbaud (1991 ; 1994) considère que les mots affixés sont construits par la morphologie.

L’analyse des mots composés [VN]N/A du français dans le cadre de la grammaire générative du 20e siècle entre elles des entrées lexicales dites « libres », c’est-à-dire des « mots » ou « lexèmes »28.

2.4.2 La composition

Le type d’unité propre à chacun des composants détermine lequel construit les mots composés : puisque seule la syntaxe manipule des « mots » ou « lexèmes », alors la composition relève d’une construction syntaxique.

Toute entrée lexicale construite avec au moins deux lexèmes relève d’un processus de composition imparti à ce que nous appelons la « syntaxe dérivationnelle » tandis que toute entrée lexicale construite à partir d’une lexie (« racine », « base ») et d’affixes relève d’un processus de composition imparti à la morphologie flexionnelle et dérivationnelle. (Barbaud (1991 : 219))

La syntaxe capable de rendre compte de la composition est dénommée « syntaxe dérivationnelle », terminologie qui rend compte du fait qu’au lieu de produire en sortie des syntagmes, elle produit des unités lexicales. Cette double capacité de la syntaxe de construire des syntagmes et des mots permet à Barbaud (1994) d’unifier le traitement de la composition, là où ses prédécesseurs disjoignent systématiquement la formation des propriétés internes des composés et celles ressortissant à leur statut d’unité lexicale (Di Sciullo & Williams (1987), Zwanenburg (1992), Lieber (1992)) (cf. 2.4.3).

Outre l’argument du type d’unité en jeu, Barbaud (1991) justifie son choix d’une composition de nature syntaxique en invoquant l’économie linguistique qui en résulte du point de vue de l’acquisition : appréhender les mots composés comme des construits morphologiques est inadéquat parce que cela conduirait à une double redondance :

– d’une part, cela contraint à dédoubler le composant morphologique en dérivation/flexion et composition;

Faire l’hypothèse que la structure interne des mots composés est appréhendée par l’enfant en vertu d’un dispositif de nature non syntaxique, i.e., morphologique, aboutit à une inconsistance du point de vue de l’acquisition parce qu’une telle hypothèse implique qu’il existe

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Barbaud ne fait pas de distinction entre mots et lexèmes à la différence des théories contemporaines de morphologie dont je suis les propositions (cf. § Chapitre 5 )

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deux systèmes de règles parallèles et concurrents, autrement dit deux modules distincts de formation des mots, selon qu’ils sont engendrés par des règles de morphologie flexionnelle et dérivationnelle dans un cas ou par des règles de morphologie compositionnelle dans l’autre […] (Barbaud (1991 : 220))

– et d’autre part, cela contraint à reproduire en morphologie, les mêmes règles qui existent déjà en syntaxe.

En ayant l’élément X° comme domaine d’application, toutes ces règles ne font en définitive que dupliquer au niveau du lexique ce que font les règles de réécriture syntagmatiques au niveau de la syntaxe en ce qui a trait aux propriétés formelles de chaque langue, i.e., vectorialité, pivot, sous-catégorisation, etc. (Barbaud (1991 : 220))

La composition, chez Barbaud, relève donc entièrement de la syntaxe.

Le mot composé se définit ici comme une entrée lexicale syntaxiquement construite. (Barbaud (1991 : 218))

2.4.3 L’analyse des composés [VN]

N/A

du français

L’analyse des composés [VN]N/A du français dépend du type d’unité que manipule

chacun des composants morphologique ou syntaxique dans la théorie de Barbaud : comme toute unité composée de deux « lexèmes » et répondant aux propriétés d’une unité lexicale, les composés [VN]N/A du français relèvent d’une construction

syntaxique. Pour générer ces structures, Barbaud (1994) met en place une règle syntaxique, la « conversion syntaxique » (cf. § 2.4.3.2) qui prend en charge l’ensemble des caractéristiques des [VN]N/A sans distinction de propriétés internes et

externes.

Barbaud (1994) amorce sa démonstration par une déconstruction des arguments en faveur d’une formation morphologique de ces structures (cf. § 2.4.3.1).

2.4.3.1 Des constructions non morphologiques

Au-delà des principes généraux définis pour la formation des mots composés, Barbaud (1994) démontre que les composés [VN]N/A du français ne relèvent pas

d’une formation morphologique en montrant qu’aucune de leurs propriétés n’est imputable à une règle morphologique.

L’analyse des mots composés [VN]N/A du français dans le cadre de la grammaire générative du 20e siècle – du point de vue de leur construction interne :

(i) la morphologie ne rend pas compte du fait que l’ordre des constitua nts des composés [VN]N/A a historiquement suivi celui de la syntaxe : les

composés maintenir, colporter, saupoudrer observent l’ordre COD-V requis par la syntaxe à l’époque de leur création, de même que tire-

bouchon, porte-parole ou garde-fou respectent celui de la syntaxe

moderne où le verbe précède le « terme COD » (Barbaud (1994 : 9)) ; (ii) la morphologie est inapte à exprimer la relation entre le V et le N des

composés [VN]N/A. Barbaud (1994 : 9-10) analyse ce N comme un

« substantif muni du Cas accusatif parce qu’il observe la sous- catégorisation verbale ». Or « l’actualisation du Cas accusatif ainsi que la « préemption » du rôle thématique […] font partie de la connaissance syntaxique qu’a le locuteur de sa langue et non de sa connaissance morphologique » ;

(iii) la morphologie, qui manipule des morphèmes dépourvus de marques de temps, ne peut construire les composés [VN]N/A dont « le verbe doit être

fléchi […] obligatoirement à la troisième personne du singulier de l’indicatif présent » (Barbaud 1994 : 11-12) comme le prouve la présence de marques de flexion dans les composés un cessez-le-feu, un rendez-vous,

un pensez-y-bien, un décrochez-moi-ça.

– du point de vue de leurs propriétés catégorielles :

(iv) aucune règle morphologique, pas même celle de la conversion proposée par Di Sciullo & Williams (1987), Zwanenburg (1992) ou Lieber (1992), ne peut expliquer l’obligation qu’ont les composés [VN]N/A de porter le

genre masculin. Barbaud (1994 : 12) pose que ce genre masculin résulte d’une règle d’accord, qui, en sa qualité de règle d’accord, est exclusivement imputable à la syntaxe.

– du point de vue de leurs propriétés sémantiques d’unités lexicales :

(v) alors que « les règles de formation des mots sont nécessairement régies par le mode de la compositionnalité » (Barbaud 1994 : 6), elles ne peuvent prédire l’interprétation sémantique des [VN]N/A, dont le référent renvoie

soit à un humain, soit à un instrument, notamment parce que ce sens est incalculable à partir du sens des constituants des composés. (Barbaud 1994 : 12)

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2.4.3.2 Des constructions syntaxiques ou la « conversion