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II. Le contexte guadeloupéen à l’épreuve des concepts du handicap et de l’organisation

3. Le regroupement associatif en Guadeloupe

Selon une étude récente (Bazin et al., 2011), la Guadeloupe fait partie des régions les plus actives dans le secteur associatif (710 créations d’association en 2010 contre 490 dans la moyenne nationale par département). En 2011, on compte environ 7000 associations animées par 55.000 à 60.000 bénévoles. Par ailleurs, 806 associations emploieraient environ 10000 personnes ce qui fait de la Guadeloupe l’une des régions les plus employeuses dans le secteur associatif (14,2% de la part du privé contre 9,5% dans la moyenne nationale). Ce secteur est donc producteur d’emplois, ce qui lui confère un statut privilégié dans une région où le chômage est important (environ 30%). Outre cet aspect, les chiffres démontrent une intense vie associative en Guadeloupe. Malgré leurs stagnations, les associations classées dans les secteurs culturels et sportifs restent très présentes. Le secteur du handicap n’est pas clairement caractérisé dans cette étude de 2011. Nous ne savons donc pas s’il se situe dans la catégorie « social » ou celle de « santé ». Selon les archives de la Maison Départementale des Personnes Handicapées de la Guadeloupe (MDPH), on peut comptabiliser 33 associations gestionnaires d’établissements médico-sociaux en 2005 (MDPH, 2005).

Le mouvement associatif observé dans les Antilles Françaises est le plus souvent relié aux concepts de solidarité, d’entraide et d’identité culturelle (Lanoir l’Etang, 2005). Les fondements du tissu associatif puisent leurs origines au cours de la période de l’esclavage, où la solidarité entre « déportés » était vitale. Les solidarités entre esclaves ont pris différentes formes au cours de l’histoire comme par exemple les « nasyons »27

pour les rassemblements d’esclaves de mêmes origines ou d’une même « habitation »28

, les « marrons » pour les regroupements de fugitifs, les confréries noires ou « sociétés » qui ont vu le jour dans les

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ceintures urbaines des Antilles avec l’apparition des affranchis puis des gens de couleurs libres (Celma, 1998). Les confréries noires sont décrites comme des communautés « d’entraide mutuelle, de résistance, d’épargne et réhabilitation face aux humiliations de l’esclavage » (Lanoir L’Etang, id. : 88) et apparaissent ainsi comme les premières formes d’associations observées aux Antilles, telles qu’on peut les définir dans les sociétés occidentales. Ce sont des formes d’entraide organisées, des « solidarités tournantes » qui se manifestent autour d’un moment de convivialité et de manifestations culturelles.

Ces formes d’entraide, encore présentes dans la société guadeloupéenne actuelle, se sont construites autour de la précarité qui prévalait pendant la période coloniale d’abord dans les « habitations » puis ensuite dans les « lakous »29. Aujourd’hui, selon certaines études, l’arrivée de la société de consommation semble avoir quelque peu délité ce type de solidarité. Les familles se sont dispersées, les prestations sociales généralisées et les conditions de vie améliorées. Les solidarités de type « mécanique » ont fait place à celles de type « organique » (Durkheim, 1950), même si ces dernières semblaient déjà exister à travers les « solidarités de productions », tels que les « konvwas » et les « koudmens »30. Ces formes de solidarités sont essentiellement des aides à caractères économiques. Toutefois, comme nous l’avons vu, il s’agit aussi de prendre en compte les nouvelles formes de solidarités (Attias-Donfut et Lapierre, op.cit.) afin d’avoir une vision objective sur ce phénomène.

Dans l’ensemble, les dynamiques solidaires semblent immédiates, spontanées, voire occasionnelles. Selon Luciani Lanoir L’Etang, ces formes d’entraide « égalitaires » et « circulaires » ne semblent pas propices à promouvoir un fonctionnement associatif efficace et

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Forme d’habitat regroupant les familles pendant l’exode rural qui a suivi l’abolition de l’esclavage. Lire : Flagie A., Baroches, Quartiers de la ceinture urbaine de Pointe-à-Pitre, contribution à une sociologie de la Guadeloupe, thèse de doctorat, université de Paris V, Juillet 1982.

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Les « convois » et les « coups de main » sont des formes d’organisations solidaires à des fins d’entraide productive. Elles se réalisent, par exemple, lors d’un travail agricole important. Autrefois régies par des règles de coordination variable (service, bénéfice de la récolte, dette), elles ont subis les effets de l’arrivée de la société de consommation (individualisme, salariat). Pour développer ce sujet voir : Fallope J., Esclaves et citoyens, les

noirs en Guadeloupe au XIXème siècle, Société d’histoire de la Guadeloupe, Basse-Terre, 1992 ; Laplante A., Un système d’échange de journées de travail, le convoi Marie-Galantais, centre de recherche Caraïbes,

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durable : « Les solidarités historiquement déterminées de l’espace guadeloupéen sont en inadéquation avec la solidarité historiquement déterminée de l’espace hexagonal français. Les individus et les groupes en Guadeloupe ont instrumentalisé la solidarité hexagonale et se sont installés, pour la frange la plus précarisée de la population, dans la dépendance économique et sociale. » (p.358)

Dans cet extrait, l’auteure souligne l’influence extérieure qui semble transformer voire pervertir le champ associatif guadeloupéen. Pour elle, l’arrivée d’une solidarité nationale massive depuis 1946 est à l’origine de l’affaiblissement des « solidarités de proximité ». Ce changement de lien social peut être alors vécu comme une dilution de l’identité culturelle. Les réactions associatives qui suivent les mouvements nationalistes des années 1970 sont encore fortement ressenties aujourd’hui. Depuis les années 1980, de nombreuses associations qui ont pour objectif de revaloriser le patrimoine culturel voient le jour. Ces associations peuvent adopter différentes formes de réappropriation du passé. Soit en renouant avec les traditions perdues ou sous la forme de combat culturel avec notamment les groupes carnavalesques (AKIYO, VOUKOUM31). Les mouvements collectifs carnavalesques sont interprétés comme une forme de « patrimonialisation » de la culture antillaise (Giraud, 1999). Un processus de réinterprétation, ou de créolisation, cherchant à réinventer la tradition dans un but de contestation. Ainsi, comme le montre Stéphanie Mulot (2003), les groupes de « masques » sont un exemple de ces actions culturelles contestataires qui font appel à la « tradition [pour] garantir la virginité et l’originalité d’un phénomène, en prouvant que la colonisation, pourtant incontournable, ne l’aurait pas affecté » (p. 120).

En outre, malgré une forte activité associative, la durée de vie de nombreuses associations est souvent très courte. Pour certaines d’entre elles, le but recherché est

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l’obtention d’une manne financière que le secteur associatif génère. Pour d’autres, cette instabilité proviendrait du mode de fonctionnement associatif propre à l’univers guadeloupéen. En effet, Luciani Lanoir L’Etang soulève l’absence de « contrat social » dans le cadre de la solidarité en Guadeloupe. Pour l’auteur, le fonctionnement associatif en Guadeloupe est hérité du fonctionnement des sociétés des générations précédentes. Ces dernières possédaient une structure hiérarchisée, où les dirigeants étaient omnipotents et paralysaient ainsi toutes les initiatives bénévoles. Or, le bénévolat associatif est essentiellement basé sur les principes de la spontanéité et de l’absence de contraintes, ferments indispensables à l’engagement et à l’altruisme. Dès lors, l’absence de verticalité fausse les « règles du jeu déterminant la répartition du pouvoir et les prises de décisions » (Laville et Sainsaulieu, 1997 : 39) qui permettent l’action collective en association. Le principe démocratique du fonctionnement associatif est donc remis en question, ce qui aboutirait à « un manque d’efficacité et surtout à des rivalités internes et externes » (Lanoir L’Etang, op.cit. : 208).

L’histoire du mouvement associatif et sportif en Guadeloupe est un espace privilégié pour analyser le processus de quête identitaire qui a jalonné l’histoire de la société guadeloupéenne. En effet, des premières associations sportives créées au début du XXe siècle jusqu’à la forte médiatisation des athlètes antillais au niveau international, le sport apparaît comme un outil pour s’identifier puis revendiquer une identité culturelle. Cette quête identitaire oscille entre une volonté de rattachement au système sportif métropolitain et celle d’une émancipation afin d’exprimer son indépendance.

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