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I. Handicap, sport et mobilisation collective

3. Les associations dans le domaine du handicap : une particularité ?

L’évolution du traitement social et politique du handicap en France, mais aussi au niveau international, n’est pas du simple fait d’une volonté institutionnelle. L’analyse historique du handicap en France montre la place prépondérante du secteur associatif dans le processus de structuration de la politique sociale dans ce domaine. Un ouvrage récent dirigé par Catherine Barral, permet de retracer de manière chronologique « le rôle des associations » dans le développement de ce que l’on peut nommer « l’institution du handicap » (Barral et al., 2000). Ces différents travaux historiques montrent surtout la diversité des formes de mobilisation qui se sont développées au cours du siècle dernier. Au début du XXe siècle, les interventions auprès des personnes handicapées proviennent essentiellement des sociétés de patronage et des sociétés d’entraide mutuelle d’infirme. A la sortie de la Première Guerre mondiale, l’Etat entame une politique de reclassement des mutilés de guerre par la création de l’ONMR (Office National des Mutilés et des Réformés) en 1916. Cet organisme ministériel marque le début de la politique de compensation, tandis que parallèlement on assiste à la création d’associations de mutilés de guerre qui se mobilisent pour obtenir leur reclassement professionnel, combat prolongé par les associations d’infirmes civils (Montès, 2000). Aux

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mouvements des mutilés et des infirmes civils (la FNMIT par exemple13) vont progressivement venir s’ajouter les mouvements associatifs de « personnes malades », tels que LADAPT (Ligue pour l’adaptation du diminué physique au travail) ou l’APF (Association des paralysés de France), et élargir le champ des revendications. La période de l’entre-deux-guerres est ainsi le point de départ des deux logiques qui vont constituer la politique du handicap en France : celle représentée par les pouvoirs publics, qui va investir dans le développement de services et de structures, et celle du secteur associatif des usagers, représentant l’action revendicative.

L’après-guerre est marqué par le développement de la prise en charge spécialisée dans le champ du handicap. L’apparition des associations de parents d’enfants handicapés, tels que l’APAJH (Association pour Adultes et Jeunes Handicapés) ou l’UNAPEI (Union Nationale des Associations de Parents d’Enfants Inadaptés), joue un rôle important dans la relation entre l’Etat et les associations d’usagers (Plaisance, 2000). Progressivement, nombre d’associations vont se retrouver sous la tutelle administrative de l’État et connaître ainsi une refonte de leurs modes de gestions. Ainsi, comme le souligne Michel Chauvière (2000), le secteur de la prise en charge du handicap va « inexorablement s’achever contre l’Etat » (p. 397). Les associations militantes créées pendant l’entre-deux guerres par des personnes handicapées, comme l’APF (Association des paralysés de France), se sont considérablement développées pour devenir des groupements d’intérêts gestionnaires d’établissements et de services, suivies de près par les associations regroupant des personnes concernées par le handicap mental ou intellectuel, tel que l’UNAPEI (Union Nationale des Parents d’Enfants Inadaptés).

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Cette délégation de l’Etat vers les grandes associations va susciter des réactions de protestations dans le secteur associatif de personnes handicapées. Cette collusion est vécue comme une mainmise du modèle gestionnaire sur la politique d’intégration des personnes vivant des situations de handicap, favorisant la ségrégation et l’exclusion. Ainsi, à partir des années 1960, on voit apparaître des mouvements contestataires de personnes handicapées adultes (Turpin, 2000). Trouvant leur inspiration dans le mouvement pour la vie autonome initié aux USA, ces groupements contestataires, tels que le GIHP (Groupement des intellectuels handicapés physiques14), le CLH (Comité de lutte des handicapés) ou le MDH (Mouvement des handicapés), revendiquent l’accessibilité en milieu ordinaire et l’auto- détermination. Ils entendent ainsi représenter la voie des personnes handicapées contre les associations gestionnaires et contre le pouvoir des professionnels de l’action sociale et médico-sociale.

L’ensemble de ces mouvements associatifs, gestionnaires et contestataires, vont jouer un rôle important dans la mise en place des lois relatives au handicap en France. Ainsi, si la politique publique s'est appuyée sur l’action des associations gestionnaires pour élaborer la première loi française pour l’intégration des personnes handicapées en 197515

(Guyot, 2000), le mouvement autonome se fera entendre plus tardivement comme en témoignent les évolutions apportées avec la loi de 200516.

Au-delà de l’aspect historique, un autre élément conceptuel sert à caractériser et à dissocier les associations qui investissent le champ du handicap. En effet, selon leurs stratégies, les caractéristiques des promoteurs et de la population vers laquelle se dirigent

14 GIHP signifie aujourd’hui Groupement pour l’insertion des personnes handicapées physiques.

15 La loi n°75-534 du 30 juin 1975 dite loi d’orientation pour l’intégration des personnes handicapées vise en particulier à structurer le secteur social et médico-social.

16 Loi 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des chances et des droits, la participation sociale et la citoyenneté des personnes handicapées.

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leurs actions, on retrouve différents modes de formation associative : celles qui se traduisent par une forme d’« auto-organisation » et celles considérées comme étant des « organisations pour autrui » (Laville et Sainsaulieu, op.cit.). Pour ces auteurs, l’ « auto-organisation » se définit comme étant une organisation « dans laquelle les promoteurs mettent en place une activité pour le groupe dont ils estiment faire partie, les catégories dominante et bénéficiaire confondues » (Ibid. : 288). A l’inverse, l’« organisation pour autrui » est une organisation dans laquelle « les promoteurs génèrent une activité qu’ils estiment nécessaire ou souhaitable pour un groupe de bénéficiaires dont ils ne font pas partie » (p.288). Ainsi, dans le cas de « l’organisation pour autrui », « il existe au départ une différenciation marquée entre des acteurs forts membres de la catégorie dominante et des acteurs faibles appartenant à la catégorie bénéficiaire » tandis que dans le cas de l’auto-organisation, tous les acteurs « sont placés sur un pied d’égalité » (p.289). Pour Jean-Louis Laville et Renaud Sainsaulieu, chaque forme d’organisation présente ces « dysfonctionnements ». D’un côté, le mode d’organisation « pour autrui » peut évoluer « vers la consolidation des jeux défensifs de la part des acteurs faibles, vers le paternalisme ou des dépendances charismatiques vis-à-vis des fondateurs et vers la limitation de l’engagement en son sein ». D’un autre côté, dans le cas d’un rapprochement de « pairs » que représente le mode « d’auto-organisation », peut s’observer une « dysfonction fusionnelle ». Par ce terme, les auteurs désignent le fait que « plus les individus décident de coopérer étroitement, plus ils stimulent les dynamiques et les projets individuels et moins ils s’entendent sur le projet initial fondateur de leur expérience collective » (p. 290).

Dans le cadre du secteur associatif investis dans le domaine de la prise en charge institutionnelle du handicap, le mode de structuration privilégié est l’organisation « pour autrui ». En effet, l’émergence du secteur, puis son inscription dans l’action publique, a été

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réalisée dans une logique sociale de solidarité, issue d’un modèle caritatif, et de compensation du handicap, issue d’un modèle médical. Ces deux modèles qui ont structuré le secteur de la prise en charge de l’infirmité à la fin du XXe

siècle, se trouvent encore diffusés dans le mode d’organisation des associations gestionnaires d’établissements spécialisés ainsi que celui des institutions administratives et rééducatives (publiques et privées) (Stiker, 2005). Toutefois, si le mode d’organisation « pour autrui » est encore généralisé en ce qui concerne le domaine de la déficience intellectuelle, on a pu voir que celui de la déficience physique cherche progressivement à s’émanciper de cette forme d’organisation. Les premières associations françaises de personnes handicapées physiques, comme la FNIMT puis l’AFP, se sont constituées sur le mode de l’auto-organisation dans le but de réclamer leur participation à une vie sociale active. Par la suite, le basculement de l’APF dans un statut de groupement d’intérêt semble avoir quelque peu modifié la forme initiale, notamment avec l’intégration de personnes valides dans les espaces de décisions.

Ainsi, une différenciation apparaît au sein des modes d’auto-organisation selon qu’elle s’adosse ou non au modèle de réadaptation. En effet, ce terme semble aujourd’hui attribué plus globalement aux mouvements de personnes handicapées physiques qui se sont constitués en opposition au système médical de la prise en charge en France, comme par exemple l’association « Vivre Debout » (Galli & Ravaud, 2000). Dans ce cas, ce sont de jeunes handicapés, en conflit avec la direction de leur établissement, qui ont décidé de s’auto- organiser en « foyer de vie ». Ainsi, ils ont pu, grâce à leur volonté, créer une structure où ils peuvent décider et gérer leur vie.

En conséquence, nous avons pu voir que les associations ne reposent pas toutes sur les mêmes stratégies et n’instituent pas le même rapport entre handicap et société. Les différents

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modes d’organisations et de logiques que nous venons de décrire peuvent s’étudier à travers l’opposition entre le modèle médical et le modèle social qui émerge depuis les années 1970. Le modèle social décrit un rapport « inclusif » dans la relation à l’environnement (Fougeyrollas, 1993, 2010) alors que le modèle médical est plutôt basé sur un rapport « exclusif ». Pour l’auteur, la conception de la prise en charge de la personne dite « handicapée » reflète aussi le contexte culturel et écologique de l’environnement dans lequel elle s’institue. Les formes « exclusives » de la prise en charge tendent à conserver les attitudes et les représentations sociales négatives du handicap. Elles s’appuient sur les principes de la pitié, de la charité, de la peur de la différence, de la tragédie, de la productivité, de l’éducation et de la réadaptation qui découlent des aspects historiques et culturels sous lesquels on peut examiner les différences ou déviances corporelles et fonctionnelles par rapport aux attentes sociales (Chauvière, 1980 ; Stiker, 2005). Les formes « inclusives » sont des conceptions qui cherchent à ce que la société reconnaisse et respecte les différences entre les individus et cherche à diminuer les obstacles environnementaux pour créer la participation sociale.

4. L’organisation sportive des personnes ayant des incapacités motrices :