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Chapitre 6 Application et légitimité des décisions de la Diète

2. Justifier une action opposée aux décisions de la Diète

2.3. Le refus de l'Interim de 1548

Les deux exemples que nous venons d'évoquer concernaient une infraction à un principe fondamental développé par la Diète et sans cesse répété : celui de la paix publique. Dans les lignes qui suivent, nous allons à présent nous intéresser au refus d'appliquer une décision ponctuelle de la Diète, en l'occurrence l'intérim d'Augsbourg de 1548. La réception et l'application de l'intérim par les États protestants furent extrêmement diverses536. Sa réalisation complète figurent cependant notoirement au rang des exceptions. Ce fut néanmoins le cas dans les électorats du Brandebourg et du Palatinat. Joachim II et Frédéric II y virent une possibilité de se concilier les faveurs du camp impérial après la démonstration de force qu'avait constituée la guerre de Smalkalde537

. Dans les autres territoires protestants, on peut distinguer trois modèles : l'application forcée, l'application formelle et le refus délibéré. Par « application forcée » nous entendons celle qui se fit soit sous le contrôle effectif des forces impériales, dans le sud de l'Allemagne et en particulier dans le Wurtemberg (où 9000 soldats jouèrent le rôle de « gardiens de l'intérim538

»), soit en raison des menaces directes qui pesaient sur les États. Dans ce second cas, l'exemple le plus emblématique est

andern maynung dann vns zü höchster verachtung vnd damit in des heiligen Reichs beschwerlichen obligen desterweniger fruchtbars aufgericht werden möchte », Declaration..., op. cit., p. 10.

535 « Und wievol wir beide […] genugsame vrsachen gehabt hette bey des keysers leben keinen Reichstag persönlich

weiter zubesuche odder auch zu beschickten […] So haben wir dannoch beide hieran nicht mangel sein lassen allein hierumb domit vns jhe keine vorhinderung der Reichs handel noch des Türcken widderstands halben mit warheit, solt mögen auffgelegt werden », Bestendige vnd warhafftige, vorantwortung, auch im Rechten gegründete widderlegung..., op. cit., p. 68.

536 Rappelons que l'intérim, officialisé par le recès de 1548, était une loi d'exception qui ne s'appliquait qu'aux territoires protestants.

537 Voir Gottfried SEEBASS, « L'évolution du protestantisme allemand de 1525 à 1555 » in Jean-Paul CAHN et Gérard SCHNEILIN (dirs.), Luther et la Réforme..., op. cit., p. 213-221, p. 220.

celui de la ville impériale de Strasbourg. Membre important de la Ligue de Smalkalde, Strasbourg avait tout à craindre de la victoire de l'Empereur en 1547. Jakob Sturm parvint à obtenir que le conseil de ville adopte l'intérim afin de préserver les intérêts de la villes, alors que ceux-ci l'avait dans un premier temps refusé, notamment sur les conseils de Martin Bucer (qui préféra s'exiler plutôt que d'accepter ce compromis)539

. L'idée que l'intérim était certes fondamentalement mauvais, mais qu'il relevait de l'intérêt général de l'adopter pour ne pas subir la répression de l'Empereur fut exprimée dans plusieurs autres villes impériales protestantes. À Augsbourg, le conseil indiqua explicitement que s'il était certain du caractère erroné de l'intérim, il avait agi en l'adoptant comme les intérêts de la ville le requéraient540

. D'autres États choisirent d'accepter en apparence l'intérim mais de s'assurer en pratique qu'il soit très peu ou pas du tout réalisé. C'est par exemple le cas du duc de Deux-Ponts qui adopta, selon l'expression de Bernard Vogler, « une politique d'illusion »541

. Le cas le plus intéressant est néanmoins celui de l'Électeur de Saxe. Nous avons vu qu'une alternative à l'intérim avait été proclamée par le Landtag de la Saxe électorale en décembre 1548. Maurice de Saxe, en principe allié de Charles Quint (à qui il devait son titre électoral) justifia cette situation par la crainte qu'une application complète ne suscite de graves troubles parmi ses sujets542

. Cette évocation du danger que pouvait représenter « l'homme du commun » (gemeiner Mann) était une référence directe à la guerre des paysans de 1525, qui avait profondément marqué les contemporains et dont la responsabilité avait été attribuée aux partisans de Luther bien que ce dernier l'ait explicitement condamnée543. Plus tard, Maurice de Saxe, s'alliant au roi de France Henri II, s'attaqua à l'Empereur et obtint de celui-ci l'abolition de l'Intérim par le traité de Passau de 1552544

. Toutefois, sa position initiale introduisait une nouvelle manière de justifier une action contraire aux décisions de la Diète. En indiquant craindre une révolte, Maurice ne s'attaquait pas à la légitimité de l'intérim. Il ne prétendait pas non plus agir pour le bien et l'unité de l'Empire, mais se retranchait derrière les limites de son propre pouvoir. Très différents furent les argumentaires (exclusivement religieux) des territoires qui refusèrent intégralement la mise en place de l'Intérim.

539 Voir Bernard VOGLER, « L'interim à Strasbourg et dans les territoires palatins », Charles Quint, le Rhin et la

France. Droit savant et droit pénal à l'époque de Charles Quint, Actes des journées d'Études à Strasbourg (2-3

mars 1973), librairie d'Istra, Strasbourg, 1973, p. 71-80, p. 72-74 et Anja MORITZ, Interim und Apolalypse..., op.

cit., p. 135-136.

540 Ibid., p. 136.

541 Voir Bernard VOGLER, « L'interim à Strasbourg... », op. cit., p. 75.

542 Voir Eike WOLGAST, « L'homme du commun entre 1525 et 1555 » in Jean-Paul CAHN et Gérard SCHNEILIN (dirs.), Luther et la Réforme..., op. cit., p. 151-161, p. 160.

543 Ibid., p. 152-155.

544 Voir Gottfried SEEBASS, « L'évolution du protestantisme... », op. cit., p. 220. Sur l'alliance entre Maurice de Saxe, Jean-Albrecht de Mecklenburg, Guillaume de Hesse et Henri II en 1552, voir Hermann WEBER, « Le traité de Chambord », Charles Quint le Rhin et la France..., op. cit., p. 81-91.

La ville impériale de Constance fut mise au ban de l'Empire et pillée dès 1548545

. Magdebourg, « lieu de rassemblement de ceux qui s'opposaient, pour des raisons théologiques, à l'Intérim546

», subit le même sort en 1550-1551547

. Encore une fois, la mise au ban et la force militaire s'étaient affirmées comme les principales ressources de l'Empereur pour faire appliquer une décision de la Diète.

545 Voir Bernard VOGLER, « L'interim à Strasbourg... », op. cit., p. 72. 546 Gottfried SEEBASS, « L'évolution du protestantisme... », op. cit., p. 220. 547 Voir Anja MORITZ, « Interim und Apokalypse..., op. cit., p. 182-199 ».