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Chapitre 6 Application et légitimité des décisions de la Diète

1. Diffusion et adaptation des décisions du Reichstag

1.3. Adaptation des décisions de la Diète à l'échelle territoriale

Si les recès étaient donc formellement adressé à tous les habitants de l'Empire et largement diffusés en son sein, il serait erroné de penser que les dispositions qu'ils contenaient entraient immédiatement en application. En effet, en raison de la grande autonomie dont disposaient les membres des États et en particulier les princes, c'était le plus souvent à eux que revenait la tâche d'assurer leur véritable exécution. En fait, il arrivait souvent que les compétences politiques des princes et de la Diète entre en concurrence. Les différentes tentatives de règlement des problèmes relatifs à l'usage des monnaies dans l'Empire sont à cet égard révélatrices. La nécessité d'égaliser les modes de fabrication et les usages de celle-ci apparaît en effet dans les débats de nombreuses Diètes. Mais la conclusion est presque invariablement un constat d'échec. En 1532, le recès de la Diète de Ratisbonne rappelle que ce problème n'avait pas été tranché à Augsbourg en 1530 « en raison de l'absence de certains représentants460 » et souligne qu'« il n'a pas pu non plus être correctement traité au cours de la présente Diète parce que de nombreux points et difficultés demeurent à régler461

». En 1545, à Worms, un comité inter-collégial est spécifiquement chargé d'étudier la possibilité de mettre en place d'une réglementation commune concernant la monnaie462. Cela n'empêche pas Charles Quint, dans un mandat impérial daté du 3 août 1545, d'annoncer une nouvelle fois une suspension des négociations à ce sujet :

Nous nous étions accordé avec les électeurs, princes et États du Saint-Empire et les représentants des absents au cours de la récente Diète de Spire [1544] qu'au cours de cette Diète devait être conseillée et négociée la mise en place d'une bonne et durable monnaie commune, qui devait être adoptée dans le Saint-Empire de nation allemande. Cependant, après que les anciens conseils sur la manière concernant la monnaie aient été pris en main et étudiés par les États et les représentants des absents, des empêchements sont survenus dans les négociations et la mise en place de la monnaie commune n'a pu trouver de véritable réalisation. Par conséquent, ces négociations ont été suspendues jusqu'à la prochaine Diète463.

Mais en parallèles de ces atermoiements, certains princes n'hésitaient pas à légiférer à ce sujet sur leurs territoires. C'est par exemple le cas, en 1534, du duc et de l'Électeur de Saxe qui publièrent

460 « […] abwesens halber etlicher verordenten [...] », RTAJR 10 [1532], p. 1079.

461 « auch alhie auf disem reichstag nit entlich und wol beschlossen werden mogen, in ansehung, das vil puncten und

beschwernus deßhalben zu erledigen sein », RTAJR 10 [1532], p. 1079.

462 RTAJR 16 [1545], p. 961-973.

463 « Als wir uns mit Kff., Ff. und stenden des hl. Reichs und der abwesenden bottschaften auf unserm nehern

reichstag zu Speier gehalten, verglichen und vernugt, das auf disem unserm reichstag alhie von einer gemeinen, guthen und bestendigen muncz geradtschlagt und gehandelt, die furder im hl. Reich teutzscher nation aufgericht und gehalten werden solle, und demnach die alten rathschlege, so hiebevor der muncz halben gemacht, durch die stende und der abeseinden potschaften fur die handt genhumen, besichtigt und erwegen worden, nachdem aber in der handlung ursachen und verhinderung furgefallen sein, dadurch die vergleichung und uffrichtung der gemeinen reichsmuncz dißmals nit hat gefunden noch wirckliche volcziehung gericht werden mogen, ist solche handlung biß uff negstkunftigen reichstage geschoben worden », RTAJR 16 [1545], p. 975.

conjointement une ordonnance relative à la monnaie464

. Sur l'essentiel des points techniques traités à Diète (monnaie, justice, paix perpétuelle, police, etc.) il existait une véritable dualité entre les lois de l'Empire et les différentes réalités juridiques à l'échelle territoriale. De plus, de même que l'Empereur et la Diète possédaient chacun des compétences législatives à l'échelle de l'Empire, les princes devaient composer à l'intérieur de leurs propres territoires avec des diètes locales, les Landtage. En décembre 1548, celle de l'électorat de Saxe, après de longues tractations, choisit d'adopter une version alternative de l'Intérim465

. Un texte de 15 articles avait été rédigé par les théologiens de Wittenberg, parmi lesquels Philippe Melanchton. Cet « intérim de Leipzig » (d'après le lieu où se tenait le Landtag) introduisait une distinction entre les éléments sur lesquels les théologiens saxons n'étaient pas prêts à transiger et les choses qu'ils jugeaient « indifférentes à la foi » (Adaphiora) qui pouvaient de ce fait faire l'objet de concessions466

. Pourtant, la version originale de l'intérim avait été incluse dans le recès impérial de juin 1548 et de ce fait élevée au rang de loi d'Empire467

.

Par ailleurs, il existait un second échelon territorial qui pouvait avoir la responsabilité d'adapter les décisions de la Diète : celui des cercles. En 1555, le recès de la Diète d'Augsbourg les chargeait de garantir le maintien effectif de la paix publique (dont la paix religieuse n'était en réalité qu'un aspect468

). Le rassemblement de soldats en dehors d'un cadre spécifique et sans autorisation préalable de l'Empereur était interdit. S'il se produisait qu'une armée « sauvage » se constitue, l'Électeur, prince ou membre des État responsable de la principauté ou du territoire concerné devait effectuer tout son possible pour la disperser.

Si toutefois il ne pouvait le faire par lui-même, les dirigeant et délégués du cercle auquel il appartient doivent essayer de fournir leur aide, qui doit être en relation avec le nombre et la puissance de l'armée rassemblée sans le contrôle d'un seigneur, comme contenu dans les dispositions à l'intention des responsables de cercles [...]469.

464 Des Chürfürsten und herzog Georgen zu Sachsen etc. Muntz Ordenung., Dresde, 1534.

465 Voir Thierry WANEGFFELEN, « Protestants assurés contre catholiques incertains... », op. cit., p. 255. 466 Ibid.

467 Voir Claire GANTET, « 1530-1548-1555. Les Reichstage et la paix d'Augsbourg... », op cit., p. 264.

468 Voir Thomas NICKLAS, « Les idées de paix en 1555 et les motifs d'un compromis indispensable » in Jean-Paul CAHN, Françoise KNOOPER et Anne-Marie SAINT-GILLE, De la guerre juste à la paix juste..., op. cit., p. 49- 64, p. 56 et Jacques POLLET, Julius Pflug (1499-1564) et la crise religieuse dans l'Allemagne du XVIe siècle, Brill, Leyde, 1990, p. 316.

469 « So ferr ihm aber solches vor sich selbst nicht möglich wäre, alsdann soll er des Kreyß, unter dem er begriffen,

Obersten und Zugeordnete [...] ersuchen, ihme nach Gelegenheit der Zahl und Macht der versammleten Herrnlosen und andern Kriegsvolcks auf Maß und Gestalt, wie abermals in nachgehender Disposition von der Obersten Befelch und bestimmter Creyß-Hülff begriffen, Hülff zu erweisen, zu leisten […] », Abschiedt der Römischen königlichen Majestat vnd gemeiner Stendt auff dem Reichstag zu Augspurg, Behem, Mayence, 1555,

La mise en place de telles mesures, désignées sous le nom de Reichsexekutionsordnung, dépendait cependant du bon vouloir des cercles eux-mêmes. Le cercle souabe se réunit en décembre 1555 à Reutlingen pour étudier la manière dont devait être adaptée et appliquée les décisions de la Diète. De nombreuses questions demeurèrent cependant en suspens (en particulier la question de savoir si l'aide accordée par les cercles devait prendre la forme d'une véritable armée ou d'une contribution financière)470

. En Bavière, un Kreistag, tenu également en décembre 1555 à Ratisbonne, dans la même optique ne fut que faiblement fréquenté471

. D'une manière générale, la transcription de la Reichsexekutionsordnung dans la constitution des cercles se montra très partielle472

.

L'étude de la Türkenhilfe permet d'appréhender la complexité des problèmes posés par l'application des décision de la Diète, en particulier dans le cas où une offensive était consentie. Généralement, c'était au niveau des cercles qu'étaient principalement décidées les modalités pratiques de son exécution473

. Néanmoins, on trouve également des ordonnances et mandats princiers474

, mais aussi des recès de Landtage475

qui légifèrent à ce sujet. La superposition des compétences et des acteurs rendaient l'application des décisions de la Diète inégale et incontrôlable, ce qui ne signifie cependant pas qu'elle était nulle. Les très grandes diversités observables selon les territoires contrastent néanmoins avec l'ambition, au moins formelle, des recès impériaux de posséder une validité immédiate et uniforme à l'échelle de l'Empire.