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Chapitre 6 Application et légitimité des décisions de la Diète

1. Diffusion et adaptation des décisions du Reichstag

1.2. Publication des recès

Formellement adressés à tous les habitants de l'Empire, les recès impériaux étaient portés dans la sphère publique selon un processus bien réglé. Nous avons vu que le texte de chaque recès était établi par un comité inter-curial au sein duquel les représentants de l'archevêque de Mayence possédaient un rôle déterminant. C'était au chancelier de celui-ci que revenait la tâche de s'assurer qu'aucune erreur ne s'y glissait446

. Une fois la lecture achevée, l'empereur apposait son sceau par lequel il conférait au recès un statut officiel447

.

Le recès était en suite transmis à un seul imprimeur qui avait pour mission de le reproduire à de nombreux exemplaires. L'usage était en effet d'en transmettre un exemplaire à tous les membres des États, y compris ceux qui n'étaient pas présents à la Diète448

. Les possibilités offertes par

443 « […] zu furderung gemeines nutz, fur gut und nutz angesehen das gedacht halßgerichtsordenung in druck geben

und in das Reich publiciert und verkundt werde, damit alle und jede unser und das Reichs unterthanen sich hinfurter in peinlichen sachen [...] jetz angezeigter ordenung, dem gemeinen rechten, [...] halten mogen [...] », RTAJR 10 [1532], p. 1075.

444 « sampt der Kayserlichen Maiestat Cammergerichts Ordnung wie die auff disem Reychß durch die Königliche

Maiestat vnd gemeine Stendt widerumb ersehen ernewert vnd an vilen orten geendert », bschiedt der Römischen königlichen Majestat vnd gemeiner Stendt auff dem Reichstag zu Augspurg, Behem, Mayence, 1555, p. 1.

445 Voir Wolfgang WEBER « " Bekennen und thun hiemit kunth und offentlich. " Bemerkungen zur kommunikativen Funktion der Reichsabschiede des 16 Jahrhunderts » in Maximilian LANDZINNER et Arno STROHMEYER (dirs.), Der Reichstag..., op. cit., p. 281-311, p. 284-287. Le cas le plus courant demeurait toutefois que les ordonnances fasse l'objet d'une édition séparée, comme par exemple dans le cas de la paix perpétuelle de 1547,

ibid., p. 295.

446 Voir Rosemarie AULINGER, Das Bild..., op. cit., p. 249.

447 La pose du sceau était consignée dans le texte du recès lui-même, preuve de son importance symbolique : « Des zu

urkundt haben wir unser ksl. insigel an disen abschiedt thun hengken », RTAJR 10 [1532], p. 1082.

l'imprimerie avaient été très vite exploitées dans le cadre de la Diète puisqu'il devint courant d'imprimer les recès dès Maximilien Ier449

. Jusqu'au milieu du XVIe siècle, c'est essentiellement la famille Schöffer, établie à Mayence, à qui était confiée la mission de réaliser l'impression des recès impériaux. Celle-ci avait acquis de longue date (on trouve des traces de l'activité de Peter Schöffer, qui avait probablement été formé auprès de Guttenberg lui-même, à partir de 1457) une réputation d'excellence et s'était attiré une nombreuse clientèle. Outre l'impression des recès, elle assurait également celle d'une bonne part des mandats impériaux450

. Les Schöffer n'étaient cependant pas les seuls sollicités : en 1555, c'est par exemple chez Frantz Behem, toujours à Mayence, qu'est assurée la reproduction du recès de la Diète d'Augbsbourg451

. Dans tous les cas, un seul imprimeur était sollicité. Celui-ci se voyait accorder un privilège qui lui assurait une exclusivité totale :

Nous Ferdinand […] reconnaissons et faisons savoir à tous et en particulier à tous les imprimeurs établis en quelque lieu du Saint-Empire que ce soit que les fidèles Frantz Behem et Théobald Spengel, bourgeois de Mayence, ont entrepris en toute sujétion de porter le recès de la présente Diète sous presses. Afin que ne soit pas porté préjudice à leur travail, nous demandons par la présente à tous et à chacun en particulier de ne pas réimprimer ce recès dans les six prochaines années, par vous même ou quelqu'un à votre service sous peine de verser une amende de dix marcs, à verser pour moitié à la chambre impériale et pour moitié auxdits Frantz Behem et Theobald Spengeln452 ».

Le délai de six ans prévu dans ce cas représente toutefois un exemple extrême. Il était plus courant que l'interdiction d'effectuer de nouvelles version d'un recès ne s'étende que sur deux années453

. Si les droits et la défense des intérêts des imprimeurs désignés étaient invoqués, il s'agissait avant tout pour l'Empereur et le camp impérial d'exercer le meilleur contrôle possible sur le contenu des recès impériaux et d'éviter que d'autres éditions moins fiables ne voient le jour. Cependant la présence de ce privilège n'empêchait nullement les copies illégales. On sait que la contrefaçon, donnée essentielle de l'édition des temps modernes, était d'abord le fait de motivations économiques. Dans le cas des recès impériaux, la situation semble néanmoins différente. Les recès

449 Ibid., p. 75. 450 Ibid.

451 « Getruckt inn der churfürstlichen Stadt Meynz durch Fransiscum Behem », Abschiedt der Römischen königlichen

Majestat vnd gemeiner Stendt auff dem Reichstag zu Augspurg, Behem, Mayence, 1555, p. 1.

452 « Wir Ferdinand […] Bekennen und thun kundt allermeniglich und sonderlich allen und jeden Büchtruckern wo

vnd welcher orten die im heiligen Reych gesessen sein. Das vnsere vnd des Reichs lieben getrewen Frantz Behem vnd Theobald Spengel Bürgere zu Meyntz vnns zu vnderthenigster gehorsamb sich vndernommen haben den Abschied ditz jetzgehaltenen Reichßtags in Truck zü bringen. Damit Sie dann solcher irer mühe und arbeit halben in keinen nachtheil vnnd Schaden gefürt werden. So gebieten wir demnach Euch allen und jeden in sonderheit hiemit, bey peen vnd Straff Zehen Marck lötigs Solts vnns halb in vnser und des Reychs Cammer vnd den andern theyl gedachten Frantz Behem und Thobalden Spengeln vnablößlich zü bezalen und wollen daß jr oder einicher auß euch/ durch sich selbst oder sonst jemandts von Ewrent wegen den berürten Abschid gemelten Frantz Behem vnnd Theobalden Spengeln inn Sechs Jaren den nächsten nacheinander volgent nit nachtrucket [...] », Abschiedt der Römischen königlichen Majestat vnd gemeiner Stendt auff dem Reichstag zu Augspurg, Behem, Mayence,

1555, p. 2.

étaient d'abord copiés par les membres des États eux-même, à partir de la version qui leur était remise, afin de faciliter la diffusion de l'information à l'échelle de leur propre territoire454

. Il serait à ce titre intéressant de relever si des condamnations furent effectivement prononcées pour de tels actes. Il y aurait en effet dans ce cas une contradiction entre la volonté affichée par l'empereur de s'adresser à tous par l'intermédiaire du recès et ces freins posés à sa diffusion effective. Le contrôle de celle-ci se trouve encore complexifié par les nouveaux enjeux qui apparaissent avec la Réforme. Les décision adoptées par la Diète en matière de religion intéressaient en effet un très large public455

. En janvier 1531, soit trois mois après la fin de la Diète d'Augsbourg de 1530, l'humaniste catholique Johannes Cochlaeus fit imprimer à Dresde des extraits du recès impérial. Cochlaeus, qui était alors au service du duc Georges de Saxe, avait personnellement assisté à la Diète en raison de son expérience des débats avec les partisans de Luther456

. Dans une courte introduction, il écrivait :

[…] j'ai fait imprimer, pour l'enseignement véritable du peuple ordinaire, une courte présentation du contenu du recès impérial, qui concerne en grande partie la question de la foi. J'y ai ajouté le conseil de Luther [à l'électeur de Saxe] et sa réfutation afin que l'homme du commun puisse aisément comprendre que sa Majesté Impériale est injustement accusée de vouloir s'imposer par la guerre en matière d'évangile et que la faute par laquelle nous autres Allemands ne nous présentons pas unis et en paix en ce qui concerne la foi ne doit pas nous être imputée mais au contraire à ceux de la nouvelle secte qui se sont séparés de nous, ont commencé la discorde et n'ont pas voulu céder457.

Cochlaeus ne fait à aucun moment référence à l'interdit qui touche l'impression du recès impérial (d'une durée de deux ans dans le cas de la Diète de 1530458

). Il est intéressant de constater que selon toutes les apparences, Cochlaeus contrevient aux dispositions de l'Empereur justement pour prendre la défense de celui-ci. S'il demeure très difficile d'établir avec précision le schéma de diffusion des recès impériaux459

, cette entreprise montre que l'Empereur était loin de contrôler entièrement celui- ci.

454 Voir Wolfgang WEBER, « Bemerkungen zur kommunikativen Funktion... », op. cit., p. 286. 455 Ibid., p. 287.

456 Voir Heinrich GRIMM, « Cochlaeus, Johannes » in Neue Deutsche Biographie..., op. cit., p. 304-306.

457 « [...]hab ich gemeinem volgk zu warhafftiger vnterricht einen kurtzen Auszug vnd innhalt des kaiserlichen

Abschieds alsvil den glauben belangt inn druck gegeben vnd darneben auch lassen mitlauffen des Luthers Ratschlag vnd desselbigen widerlegung gemeinem mann gütlich zuversteen zugeben das Ka. Ma. Vnbillicher weys bezichtigt vnd berüchtigt wirt als wolte sie yemant vmbs Evangelions willen mit Krieg vberziehen vnd das der Mangel so wir Teutschen im glauben nicht widerumb zu frid vnd einigkeit kommen nicht bey vns alten Christen ist Sonder bey den Newen Secten so von vns abgewichen zwysalt vnd vnfrid angefangen vnd davon nicht wöllen abtretten », Johannes COCHLAEUS, s.t., Stöckel, Dresde, 1531, p. 4.

458 « Und wollen daß obgemelte büchdrücker noch sunst jemants von jrent wegen den berürten Abschiedt auch

vereynigung der geystlichen und weltlichen beschwert darzü Ordnung vnnd Pollicey Matheissen Awerbach inn zweyen jaren den nechsten nach eynander folgent nit nachdrucken », Abschied des Reichßtag zü Augspurg Anno M. D. XXX. gehalten, Awerbach, Mayence, 1530, p. 72.