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Chapitre 5 Aspects informels de la Diète

2. Négociations informelles

2.1. Négocier en dehors du cadre collégial

Les négociations accomplies en dehors du strict cadre officiel des collèges présentent à la fois un grand intérêt et une difficulté méthodologique. En effet, en raison du caractère contraignant de l'Umfrage et des contraintes normatives que nous avons évoqué au chapitre précédent, ce n'est souvent que par leur intermédiaire que pouvaient être accomplies les démarches permettant de faire évoluer la position d'un ou de plusieurs des participants à la Diète. Cependant, par nature, ces négociations informelles ont laissé des traces beaucoup moins nombreuses et qu'il est souvent difficile d'analyser. Cela est d'autant plus vrai qu'elles étaient mal perçues par les contemporains. Ainsi, on trouve régulièrement dans les instructions des princes à leurs envoyés l'ordre « de ne pas prendre part à des négociations particulières mais de délibérer comme il se doit librement et collégialement des articles proposés408

». Il faut cependant analyser avec prudence ces déclarations.

eur kfstl. Gn. resolution passiren lassen », RTAJR 20 [1555], p. 1762.

407 « Nun bitten euer kfstl Gna. wir underthenigst, euer kfstl. Gn wöllen uns auf schleunigst als muglich mit gnedister

resolution versehen lassen, dan es lassen sich die andern fast alle, die doch keine sonderliche post haben, hören, sie wollen in acht tagen erclerung haben und dan diesen fridt schliessen helfen », RTAJR 20 [1555], p. 1770.

408 « […] keiner sonderung oder particularhandlung anhengigk noch teilhaftig machen, sonder in gemeinen rathe zu

den proponirten artickeln nach gelengenheit frei und erbarlich reden », extrait des instructions de le l'Électeur du

Remarquons en premier lieu que leur mention atteste de leur existence : il n'y aurait pas de sens à exhorter ses représentants de se tenir à l'écart d'une pratique inconnue. Par ailleurs, bien qu'uniquement destinées à un usage confidentiel, les instructions écrites pouvaient tomber entre des mains étrangères. On peut par conséquent imaginer que leur contenu demeurait consensuel afin de ne pas présenter de danger dans ce cas de figure. Des instructions complémentaires pouvaient avoir été données oralement. À ce titre, la conclusion des instructions données à l'envoyé de Nördlingen avant la Diète de Nuremberg de 1542 est particulièrement intéressante :

L'envoyé de notre bourgmestre se référera dans les autres négociations [que celles déjà évoquées] aux instructions qui lui avaient été données pour la Diète de Spire [également en1542] et par ailleurs [...] il saura comment se comporter au mieux en vertu de tout ce qu'il a entendu et reçu oralement de notre part409.

Cette référence directe à des consignes orales qui vient clore une lettre d'instructions longue de plusieurs pages laisse penser que ces dernières n'ont pas été couchées par écrit pour une raison précise, qui pourrait être celle que nous venons d'évoquer. L'évolution de la situation au cours de la Diète et la nécessité de donner par écrit de nouvelles directives aux représentants pouvait amener à l'abandon de cette réserve. Ce fut le cas pour l'envoyé de l'Électeur de Saxe Franz Burckhard à Worms en 1545. Alors que ses instructions initiales s'en tenaient aux articles de la « proposition », la correspondance des semaines suivantes se montrait plus précise, comme le relève Rosemarie Aulinger :

Pour maître Burckhard, Nicolas Perrenot de Granvelle, qui fit son entrée en mars 1545 à Worms, était l'interlocuteur le plus important dans toutes les affaires concernant l'électorat de Saxe. L'Électeur répétait sans cesse l'ordre de traiter avec le ministre de l'empereur en détail de questions précises, de sonder son opinion et de lui présenter son propre point de vue410.

Le cas le plus courant de négociations particulières était la séparation des membres de la Diète selon leur appartenance confessionnelle. Cependant, le caractère récurrent de cette pratique dont l'origine remontait à la « protestation » des luthériens à Spire en 1529, conduisit à sa quasi- institutionnalisation. Nous avons vu que dès la Diète de Nuremberg de 1542, une salle de l'hôtel de ville est spécifiquement affectée aux délibérations des protestants411

. En 1546 à Ratisbonne, la

409 « Sonst wurdet sich der gesant unser burgermaister in andern fellen und handlungen seiner hievor zum

speierischen reichstag gegebnen instruction sovil vonnothen zu geprauchen und sich sonst [...], wie er uns in dem allen muntlichen angehort und vernomen, zum besten zu halten wissen », RTAJR 13 [1542], p. 291.

410 « Für Mag. Burckhard war Nicolas Perrenot de Granvelle, der im März 1545 in Worms eintraf, der wichtigste

Ansprechpartner in allen Kursachen betreffenden Angelegenheiten. Immer wieder erteilte der Kurfürst den Befehl, mit dem kaiserlichen Minister ausführlich über bestimmte Fragen zu konferieren, dessen Meinung auszuloten und die eigenen Ansichten darzulegen », Rosemarie AULINGER, « Ein treuer Dienst... », op. cit., p. 98.

« proposition » donna lieu à deux réponses spécifiques des États protestants et catholiques. Celle des protestants commençait de cette manière :

Les électeurs de Cologne, du Palatinat et de Saxe, ainsi que les conseillers, envoyés et représentants des princes, comtes, seigneurs et villes de la confession d'Augsbourg, ont écouté en toute sujétion puis lue avec attention la « proposition » de sa Majesté impériale romaine, notre seigneur le plus gracieux412.

Même si les protestants affirmaient formellement qu'ils auraient préféré délibérer « dans les différents collèges, selon la vieille coutume en vigueur dans l'Empire413

», leur démarche s'inscrivait bien dans le cadre officiel de la Diète. D'ailleurs, dans sa réplique, le camp impérial désigna ce texte comme « la réponse à la " proposition " dernièrement transmise par sa Majesté impériale414

», ce qui atteste que ces « collèges confessionnels » étaient désormais perçus comme officiels. Il nous semble donc que les véritables exemples de négociations informelles doivent être cherchées en dehors des seules réunions en groupes confessionnels. En 1532, confronté au refus des protestants de consentir l'aide militaire destinée à faire face aux Turcs, l'Empereur entreprit de convaincre individuellement certains États protestants de se rallier à lui. Dans le volume des Reichstagsakten consacré à la Diète de Ratisbonne de 1532, Rosemarie Aulinger souligne qu'Arnold von Siegen, conseiller impérial membre de la kleiner Ausschuss, s'adressa directement au représentant d'Augsbourg pour tenter d'infléchir sa position. Elle ajoute que « des entretiens similaires furent sans aucun doute menés avec d'autres États protestants415

», sans toutefois donner plus de détails à ce sujet. L' exemple le plus documenté dont nous disposions concernant des tractations informelles entre des membres des États et l'Empereur est sans doute constitué par les débats qui ont accompagné la mise en place de l'Interim en 1547-1548. Au cours du mois de mars 1548, à la demande de l'Empereur et de Ferdinand, l'Électeur palatin et du Brandebourg s'employèrent ainsi en privé à convaincre le nouvel Électeur de Saxe et le margrave Johann de Brandebourg-Küstrin d'accepter le principe d'un Intérim416

. L'empereur renouvela directement ces tentatives aux mois de mai et juin. En plus des deux princes mentionnés, il s'adressa alors individuellement à certaines villes protestantes

412 « Der röm ksl Mt unsers allergnedigsten herrn, proposition, sonabents den fundtn diß monats Juny, gemainen

reichsstenden furgebracht, haben der Kff. Cölln, Pfalcz und Sachssen, dergleichen der andern irer mitverwandten fursten, graven, herrn und stett der augspurgischn confession rette, gesandten und bottschaftn in underthenigkhait angehert auch volgends mit vleiß gelesen », RTAJR 17 [1546], p. 410.

413 « […] in die gemaine underschidliche rette, dem altem, im Reich herkhommen gebrauch nach », RTAJR 17 [1546], p. 410.

414 « […] « die antwurt auf irer ksl. Mt. jungst ubergeben proposition [...] », RTAJR 17 [1546], p. 432.

415 Voir RTAJR 10 [1532], p. 463, note 13 : « […] Ahnliche Gespräche wurden zweifelsohne auch mit anderen

evangelischen Ständen geführt »

(principalement Augsbourg, Francfort et Nuremberg) afin de rompre le front protestant contre l'Interim417

.