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Chapitre 7 Regards extérieurs sur le Reichstag

1. Perception de la Diète dans les Flugschriften

1.1. Description de la présence de Luther à la Diète

Au sein des Flugschriften qui se rapportent à la Diète les plus imprimés et réimprimés au cours de la première moitié du seizième siècle figurent en bonne place les récits de la comparution du réformateur saxon devant la Diète de Worms de 1521. Luther avait déjà été auditionné à la Diète d'Augsbourg de 1518 par Cajetan, le légat pontifical549

. Cette audition avait donné lieu à une première séries de gravures, dans lesquelles les États apparaissaient comme simples spectateurs550

. Le 15 juin 1520 était parue la bulle pontificale Exsurge Domine, qui condamnait certaines des positions de Luther. Celui-ci, au lieu de se rétracter, brûlait publiquement la bulle à Wittemberg. Le 3 janvier 1521, Martin Luther était excommunié par Léon X551

. Le 28 janvier s'ouvrait à Worms la première Diète du règne de Charles Quint. Luther n'était mentionné ni dans les lettres de convocation ni dans la « proposition », cependant, du côté des États, il existait une véritable attente que soient évoqués les problèmes soulevés par le moine augustin552. Après un mois de tergiversations, Luther fut finalement invité à comparaître à Worms. Il y parvint à la mi-avril et fut interrogé le les 17 et 18 avril par Johannes von Eck, un théologien appartenant à la suite de l'Électeur de Trêves553. Luther reconnut la paternité de ses écrits et refusa de se déjuger. Cette position amena l'Empereur à proclamer l'édit de Worms, prononçant la mise au ban de l'Empire de Luther, et interdisant la diffusion de ses thèses554

. Cette seconde comparution de Luther à la Diète provoqua l'impression et la diffusion d'un très grand nombre d'images et de textes. La majorité d'entre eux étaient favorables au réformateur, qu'ils présentaient comme un martyr injustement condamné555

. Une première catégorie de textes relataient en détail les deux journées du 17 et 18 avril et présentait une reproduction du discours tenu par Luther556

. Ils étaient le plus souvent accompagnés d'une illustration montrant Luther devant l'Empereur et les électeurs, plus rarement

549 Voir Heinrich LUTZ, Reformation und Gegenreformation..., op. cit., p. 24.

550 Voir Rosemarie AULINGER, « Der Reichstag im Spiegel bildlicher Quellen » in Maximilian LANDZINNER et Arno STROHMEYER (dirs.), Der Reichstag..., op. cit., p. 313-341, p. 335.

551 Voir Heinrich LUTZ, Reformation und Gegenreformation..., op. cit., p. 26. 552 Voir Armin KOHNLE, Reichstag und Reformation..., op. cit., p. 86-87. 553 Ibid., p. 95

554 Ibid., p. 100.

555 Voir Rosemarie AULINGER, « Der Reichstag im Spiegel... », op. cit., p. 335.

556 Parmi les plus diffusés, citons : Doktor Martini Luthers offentliche verher zu Worms im Reichstag von Ka. Ma. Red

vnd wider red, am 17. tag Aprilis im Tausend Fünffhundert vnd ainundzwainttzigigsten Jar, Nadler, Augsbourg,

1521 : Ain ainzaigung wie D. Martinus Luther zu Wurms auff dem Reichstag eingefahren durch K. M. In aygner

person verhört vnd mit jm darauff gehandelt, Rauminger, Augsbourg, 1521 et Die gancz handlung szo mit dem Hochgelerte D. Martino Luther taglichen die weyl er auff dem Keyserlichen Reychs tag tzu Wormbs gewest, ergangen ist, auffs kurtzest begriffen, sl., 1521.

devant le pape lui-même557

. D'autres textes adoptent un ton plus littéraire et allégorique. Urbanus Rhegius, théologien initialement au service de Johann Eck mais très vite convaincu par Luther558

, écrivit ainsi un dialogue entre un certain Simon Hesse (un pseudonyme qu'il adopta pour signer certaines de ses œuvres postérieures) et Martin Luther, censé se dérouler au cours de la Diète de Worms559

. Sous la plume de Rhegius, Hesse s'étonne que Luther soit encore vivant malgré son excommunication560

et loue son courage d'« apparaître seul, pauvre [habillé en moine] et sans armes ici à la Diète de Worms561

». Dans la suite du dialogue, Hesse explique à Luther que les lettrés se montrent réticents à engager le débat avec lui, ce à quoi le réformateur répond :

Pourquoi donc ? Je ne suis pourtant pas assez savant pour m'ériger comme le plus érudit du pays. Il doit y avoir une autre raison pour laquelle personne ne veut s'opposer à moi. J'avais pourtant l'espoir de trouver dans la grande Diète si fréquentée quelqu'un qui me contredise non pas par des sophismes mais par les saintes Écritures562.

La Diète est avant tout décrite comme un lieu de rassemblement de la noblesse allemande, à laquelle l'auteur oppose systématiquement les « Romains » (le Pape et le nonce Aléandre, présent à Worms) mais aussi ceux qui servent leurs intérêts (en particulier Johannes Eck). Rhegius, par l'intermédiaire de Hesse, souligne en particulier la capacité de Luther à ne pas infléchir son discours dans ce contexte prestigieux :

Ils [les Romains] espéraient que tu parlerais très différemment ici qu'à Wittemberg […]. Les Romains espéraient qu'aussitôt que Martin Luther se tiendrait sous les yeux de ces grands seigneurs […] il serait contredit par les mots sophistiqués des juristes jusqu'à ce qu'il renonce à toutes choses et réinstalle le Pape sur son trône [...]563. »

Ici apparaît la Diète telle qu'elle devait apparaître à Luther, encore simple moine augustin en 1521, comme à l'immense majorité de la population de l'Empire : un rassemblement extrêmement intimidant de grands seigneurs. La perception de la Diète de 1521 par les protestants fut également

557 Voir Rosemarie AULINGER « Der Reichstag im Spiegel... », op. cit., p. 335-336.

558 Voir Julius WAGENMANN, « Rhegius, Urbanus », Allgemeine Deutsche Biographie, op. cit., t. 28, p. 374-378. 559 [Urbanus Rhegius], Dialogus Simonis Hessi et Martino Lutheri Wormacie nuper habitus: lectu non iniucundus,

s.l.n.d. [1521], traduit dès 1521 en allemand : [Urbanus Rhegius], Ein Gesprech D. Martini Lutheri vnd Symonis

Hessi mit eynader auf dem Reichstag zu Wurms gehalten, s.l., 1521.

560 « Zu aller erst verwundert mich fast daß du noch lebendig bist […] diweil du doch jn des Bischoffs von Rom Bann

bist […] noch dann lebst du/ vnd lebest frolich », Ein Gesprech..., op. cit., p. 2.

561 « […] eyniger/ arm/ on waffen/ [...] hie zu Worms vff dem Reichßtag erscheynen », ibid.

562 « Warumb ? Nun bich doch nit so hochfertig/ das ich mich fur den geleertesten des lands auff werff / Es muss ein

andre vrsach sein/ das sich niemant gegen mir will ein legen. Nun hett ich doch ein hoffnung/ ich wurd in dem grossen betriempten Reichßtag etwa einen finden/ der mich vnderwise nit mit sophistrey/ sonder mit der heiligen geschrifft », ibid., p. 4.

563 « Sie haben verhoft/ du werdest vil andern reden zu Worms dann zu Wittenberg/ [...] Darumb hofften die

Romanisten/ so bald Martinus Luther sollichn grossen herren vndter die augen stan wurd […] es wurden in die Juristen mit geschmitbten worten uberreden/ daß er alleding widerrueffte/ den Bapst wider insatzte in seinen thron/ [...] », ibid., p. 7.

grandement influencée par son dénouement (la proclamation de l'édit de Worms). Ainsi Hermann von dem Busche (1468-1534), un humaniste favorable à Luther, assimila l'épisode de Worms à la passion du Christ564

. Preuve du succès et de l'influence de ce texte, on en trouve encore une réédition en 1550565

.