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REFLEXIONS A PROPOS DE L'ASILE J-P. Hocké

Dans le document Réfugiés et formation (Page 145-155)

PROJET D' INTEGRATION POUR FEMMES REFUGIEES TURQUES ET KURDES ST A TUT AIRES, VIVANT DANS LA

REFLEXIONS A PROPOS DE L'ASILE J-P. Hocké

Question 1

Malgré le fait que de plus en plus la mobilité des populations est abordée dans le cadre des politiques d'immigration, pensez-vous qu'il est important pour nos sociétés occidentales de défendre encore la notion de protection et d'asile qui est l'une des valeurs de nos sociétés ?

Il me semble que pour l'instant, l'Europe reste empêtrée dans le schéma qui a prévalu durant ces dix dernières années: geler les politiques d'immigration à ce qu'elles étaient il y a vingt ans. L'Europe n'est pas un continent d'immigration- et à utiliser la définition du réfugié dans les termes de sa définition de la convention de Genève de 1 951 pour rejeter pratiquement la totalité des requêtes d'asile (95 à 97 % ces deux dernières années). Il y a donc urgence à réactualiser la politique d'immigration dans chaque pays et à définir les lignes directrices à suivre dans les dix-neuf pays de l'Espace Economique Européen pour parvenir enfin à intégrer le phénomème migratoire contemporain dans une politique commune qui tienne compte des intérêts légitimes des pays d'origine et ceux d'arrivée des migrants. Enfin il y a lieu de préserver la convention de 1951 et ses acquis, ceci à tout prix, pour accorder une protection efficace aux réfugiés nombreux qui, pendant lontemps encore hélas, devront fuir leur pays où sévissent l'arbitraire et la violence.

Question 2

Peut-on penser le droit d'asile comme une question de politique intérieure, ou faut-il également aborder une telle question d ans une perspective internationale? Quels

seraient les aspects les plus importants d'une perspective internationale? Comment abordez-vous aujourd'hui, entre autre, la question des causes de l'asile?

Ces dernières années ont démontré que !e sort des réfugiés et en conséquence du droit d'asile devait reposer sur la concertation internationale. En effet, dans ce domaine comme dans tant d'autres, il n'y a plus de place pour les réponses isolées et locales, en premier lieu, il faut se souvenir qu'un réfugié a besoin de protection. L'analyse des causes de l'exil est donc fondamentale. Cet examen ne doit pas par contre conduire les Etats à privilégier le critère dit objectif de la situation qui prévaut dans le pays d'origine des réfugiés. Ces dernières années, les gouvernements des pays d'accueil européens ont unilatéralement écarté le critère dit subjectif qui sous-tend la définition de 1951 -crainte de la part du requérant d'être exposé à la persécution ou soumis à la violence dans son pays-. Un juste équilibre doit être réinstauré dans l'examen des requêtes d'asile.

Question 3

Les personnes qui s'occupent en Suisse des réfugiés (travailleurs sociaux et de la santé, enseignants, fonctionnaires, etc.) parlent de plus en plus dans leur pratique de "seuil de tolérance humanitaire". Ne trouvez­

vous pas étonnant qu'un terme qui a été utilisé pour des actions humanitaires à l'étranger apparaisse en Suisse?

Pensez-vous que la philosophie, les lignes d'action, les critères développés par des grandes organisations humanitaires pourraient être intégrées dans l'action sociale et éducative en Suisse? Quel en serait l'intérêt? Quels seraient les éléments, les critères utiles? Quelles seraient les limites d'un tel transfert?

Le seuil de tolérance a été d'abord évoqué par les politiciens prompts à utiliser, à des fins démagogiques ou électoralistes, les crispations de l'opinion publique. Pareille manipulation leur permet d'occulter les causes réelles du phénomène migratoire contemporain et en conséquence les délivre dans le court terme de la nécessité de définir des politiques adéquates. Il y a donc une nécessité urgente à expliquer au public les raisons véritables d'un phénomène qui les inquiète, à lui rappeler les obligations contractées par les Etats en signant la convention de 1951 et a mettre en place des politiques qui permettent de maîtriser l'afflux de réfugiés.

Lorsqu'on parle de solutions, les gouvernements doivent mobiliser les éducateurs aussi bien que les assistants sociaux et encourager les initiatives de la société civile pour répartir les rôles que chacun, à titre individuel ou collectif doit remplir. La politique développée par le

DAR

ces dernières années constitue

à

cet égard l'antithèse de ce qu'il

y a

lieu de faire pour susciter la solidarité de la population et l'éloigner de la xénophobie.

Question 4

En Suisse et en Europe, il y a une crise du droit d'asile.

Quand il y a crise,

le

besoin de réflexion, de recherche apparaît . . . Quels sont les thèmes, les questions les problèmes de recherche que devraient aborder d'urgence les Sciences de l'éducation, vu qu'un programme de recherche sur les migrations, est semble-·t-il, en préparation?

Comment verriez--vous se développer la recherche dans ce domaine? ou en d'autres termes, quel type de rapports, de conditions serait�il souhaitable de développer entre les milieu de l'intervention ou de pratiquc�s (HCR, organismes internationaux, services fédéraux et cantonaux, ONG) et l'université?

Lorsqu'il y a crise, seule une solution concertée des divers acteurs peut permettre d'en venir à bout. U n inventaire exhaustif doit être établi rapidement entre les divers partenaires publics et privés des causes, des solutions des flux de réfugiés et des rôles respectifs que chacun est appelé à jouer. Il revient à l'université de conceptualiser les donn ées actuelles du phénomène et d'élaborer des modèles actualisés qui puissent guider les opérationnels (haute autorité et ONG) dans leur activité. Il y a lieu de mettre en oeuvre un interface continu entre réflexion et action dans le domaine politique, conventionnel et social.

CONCLUSION

Avec la journée du 1 2 mars 1 992 et les divers articles de ce cahier, nous avons pu mesurer combien les transformations sociales, économiques, juridico-politiques dans le domaine des réfugiés et les questions éducatives qui s'y rattachent interpellent les décideurs, les professionnels de l'action sociale, de la santé, de l'information, les juristes, les chercheurs, les exilés, les militants, les membres d'association, les enseignant-e-s, les patrons et les travailleurs des entreprises, les syndicalistes, etc. Nous avons pu constater qu'elles concernent autant les populations « sédentaires » que les populations «mobiles» .

L a journée de formation s'est déroulée à u n moment où au niveau fédéral se définissent des politiques de formation pour le personnel s'occupant de réfugiés avec des enjeux quant aux objectifs d'une telle formation. Elle s'est voulue un lieu de rencontre, de dialogue, de partage de constats , d'expériences , d'acquis , de doutes, d'interrogations pour que puisse s'élaborer depuis plusieurs points de vue et expériences un premier inventaire de questions et de besoins de recherche dans le domaine de la formation. La démarche supposait que soient conciliés des intérêts pour u ne ouverture internationale avec des questions intérieures à la Suisse et locales. La diversité des invités a exprimé ce souci.

L'appel à des personnes de Suisse alémanique a montré une vol onté d'ouverture à l'intérieur des frontières nationales. Finalement, pour les organisatrices, le cours public était une possibilité de travail d'équipe à partir de formations, de pratiques, d'intérêts et de statuts divers, avec un axe d'intérêt central commun.

Les objectifs fixés étaient ambitieux en fonction du temps et des moyens dont nous disposions. Par ailleurs, le public du cours avait des attentes hétérogènes et parfois difficilement conciliables, notamment en ce qui concerne

la compatibilité entre les objectifs des professionnels travaillant avec les réfugiés et les chercheurs.

Ainsi, l'échange établi avec des personnes avec une expérience dans les organisations internationales a été riche d'enseignement. M . Moussali nous a rappelé le poids du contexte international et des autres continents en nous décrivant la « crise du système international de protection » . Il nous a rappelé combien toute approche de problèmes locaux aujourd'hui ne peut faire l'économie du contexte général. Avec J.P. Hocké, nous avons appris qu'on ne peut faire l'économie de s'interroger sur les causes d'exil lorsque l'on s'intéresse aux réfugiés. Il nous a permis aussi de prendre conscience que certaines questions et procédures élaborées dans le cadre d'organisations internationales chargées de missions humanitaires, prenaient un sens très effectif dans des pratiques professionnelles internes à la Suisse et à certains actes éducatifs. Il est significatif, que le Haut Commissariat dans sa séance ordinaire de 1 992, ait mis l'accent sur l'urgence d'un lien plus étroit entre les actions juridiques et humanitaires et la recherche. L . Franco,

directeur de la protection du HCR l'a souligné dans son texte en nous formulant également des questions de recherche.

Comme nous l'a exposé G. Arlettaz, la Suisse a été, continue et continuera à être une terre d'immigration.

Avec l'intégration européenne et la mobilité des populations qui est devenue un phénomène mondial, la Suisse est confrontée à la fois à l'installation d'une société duale à l'échelle planétaire et à une nouvelle étape de construction d'une société multiculturelle. Par ailleurs, R. E . Verhaeren a analysé les nouvelles contraintes qui pèsent sur la force de travail et qui sont lourdes d'enjeux, tant pour les possibilités et les conditions du marché du travail que pour les nouvelles exigences de formation. M.C. Caloz-Tschopp a montré certaines des implications philosophiques pour la

recherche et la formation sur le terrain du droit d'asile importance d'une analyse des systèmes de pensée;

prise en compte des questions d'éthique politique qui se posent aux professionnels s'occupant d'exilés et à l'ensemble de la population.

Les questions urgentes des travailleurs sociaux qui se sont exprimées nous ont permis d'aborder des thèmes pertinents et actuels. D. Burnat et D. Rophé de l'AGECAS à Genève ont décrit comment les travailleurs sociaux s'investissent dans la formation et les contraintes qui sont les leurs. D'autres travailleurs sociaux de divers cantons ont formul é , dans le débat, des questions d'éthique professionnelle qu'il est difficile d'ignorer dans la recherche et dans la formation. On peut imaginer qu'un travail utile pourrait être l'établissement d'un vade-mecum pour les travai l l e u rs sociaux, de la santé et fonctionnaires d'autres secteurs mandatés pour la prise en charge des requérants d'asile et des réfugiés.

K. Heberli et M . Gigli-Trübi de l'Oeuvre Suisse d'Entr'aide Ouvrière (OS EO) à Bâle ont mis l'accent sur les contraintes existantes dans un projet de formation pour des fe mmes ku rdes et turques. Elles ont souligné combien il leur était difficile de former des femmes alors que les moyens de financement sont de plus en plus difficiles a acquérir. N. Berthoud-Aghili et S. Perez­

Maldonado ont proposé, à partir de leurs articles, la mise sur pied d'expériences de formation souples pour les femmes réfugiées dans la perspective de développer l'autonomie de ces dernières sur les plans économique et social . De plus , elles ont suggéré la nécessité d'augmenter les recherches quantitatives et qualitatives concernant les femmes réfugiées.

Pour notre journée de formation, nous avons choisi de ne pas nous centrer en priorité sur l'école mais plutôt d'aborder les questions de recherche et de formation qui apparaissent dans certains milieux professionnels s'occupant de requérants d'asile et de réfugiés.

Nous pouvons constater que les structures et le fonctionnement universitaire sont directement interpellés par l'existence d'acteurs d'autres terrains sociaux qui amènent des problèmes inattendus et qui formulent des demandes auxquelles il peut être difficile de répondre.

Ces structures nous ont montré également u ne nécessité de réévaluer les modèles des liens entre l'Université et la Société, telles qu'elles ont pu être posées ces dernières années à propos du thème des réfugiés. Quel est donc le rôle de l'Université aujourd'hui par rapport au domaine des réfugiés? Nous pouvons souhaiter entre autres que l'Université de Genève développe davantage des liens de recherche avec des institutions internationales et des organisations non gouvernementales s'occupant de réfugiés.

Nous avons pu constater que les Sciences de l'Education auraient un champ important de recherche concernant les pratiques professionnelles des personnes s'occupant de requérants d'asile et de réfugiés. Du point de vue de la recherche et de la formation, depuis un lieu public, nous pouvons également nous interroger, si les expériences de formation concernent uniquement certains acteurs privés du « marché de l'asile » , ou si elles doivent rester de la responsabilité des services publics. Le service public dispose d'une marge de manoeuvre plus grande pour prendre de la distance par rapport au profit direct et peut par conséquent aborder des questions liées aux objectifs et aux contenus de la formation des professionnels de l'asile. Pour que cela soit possible, il serait cependant nécessaire qu' u n système de partenariat diversifié puisse s'installer pour définir les projets de formation et de recherche. Il serait également nécessaire que les critères et les finalités de tels projets de formation soient explicités.

Pour mieux connaître et améliorer l'éducation dans le domaine des réfugiés, il est important de considérer le champ de l'éducation: lorsqu'il concerne l'éducation

o b l i g ato i re , l o rsq u ' i l transfo rme des pratiques professionnelles, mais aussi lorsqu'il touche l'ensemble des relations sociales (de travail, de logement, de loisirs, administratives, etc .. ) Les données actuelles de la mobilité des populations est en train de transformer en profondeur nos sociétés. Si nous ne voulons pas que la société multiculturelle soit un risque de conflits sociaux graves , les instances de recherche devraient se préoccuper des moyens pouvant favoriser la médiation entre les groupes de population de nos sociétés. Les Sciences de l ' Education ne sont pas à l'abri des changements sociaux. Elles voient leur mandat redéfini, dans le sens d'un élargissement de la notion d'éducation, d'une recherche d'outils de médiation à l'école et dans tous les lieux où se développent des expériences de formation .

N. Berthoud-Aghili, M-C. Caloz-Tschopp, S. Perez-Maldonado

Dans le document Réfugiés et formation (Page 145-155)